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Billet de blog 31 mars 2025

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Inventaire, par Anita Perez, monteuse

Il y a longtemps que j'avais le projet de faire ce récit, l’inventaire de la scission syndicale intervenue au sein du SNTPCT-CGT ( syndicat national des techniciens et travailleurs de la production cinématographique et de télévision ) en 1981, en comprendre les raisons, les motifs, mesurer la responsabilité de ceux qui l’ont provoquée, et permettre ainsi aux plus jeunes de s’informer.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a longtemps que j'avais le projet de faire ce récit, l’inventaire de la scission syndicale intervenue au sein du SNTPCT-CGT en 1981, en comprendre les raisons, les motifs, mesurer la responsabilité de ceux qui l’ont provoquée, et permettre ainsi aux plus jeunes de s’informer.

Ce récit est devenu d’autant plus nécessaire qu’il apporte un éclairage sur ce qui s’est passé au cours de l’hiver 2023/2024, lors de la mobilisation des techniciennes et techniciens, pour obtenir 20% de rattrapage des salaires de l’audiovisuel, pour tous. Alors que le mouvement de grève atteignait un niveau exceptionnel, un coup d’arrêt brutal a été infligé par ce syndicat, le SNTPCT - devenu autonome - soutenu ensuite par la CFDT et la CFTC.

Ces trois syndicats ont signé « l’accord du 11 janvier 2024 » dit avenant 17 à la convention collective de la production audiovisuelle. Ils ont accepté des augmentations très inférieures aux 20% pour tous demandés, donc loin de compenser le décrochage vertigineux de nos salaires par rapport à l’inflation depuis plus de 15 ans.

Mais plus grave encore, ils ont détruit l’unité de notre secteur professionnel en signant le morcellement en 4 filières, avec toujours la même ligne : fractionner les salariés en catégories selon les genres (fiction, reportage, flux, captation).

Ce bouleversement, qui ne répond à aucune des revendications des salariés, s’est fait dans des conditions très peu démocratiques. Il a été conclu sans l’aval de la très large majorité des techniciennes et techniciens qui avaient pris des risques pour faire grève et participer aux différentes actions.

En effet, le SNTPCT a assis sa décision sur le résultat du vote de leur assemblée générale : 25 adhérent.es se seraient prononcé.es pour l’avenant et 19 contre... Ces chiffres ont été relayés et non démentis sur les différentes boucles - Telegram et WhatsApp - qui ont réuni des milliers de techniciens et techniciennes (dont des adhérent·es au SNTPCT) au cours des grèves de l’hiver 2023/2024.

J’ai retrouvé là, toujours et encore comme en 1981, le même manque de démocratie et la même obsession : diviser les salariés.

Il demeure incompréhensible que, depuis quarante-quatre années, cette même ligne subsiste au sein d'un syndicat, sachant que différencier les salariés en fonction des genres sur lesquels ils travaillent ne peut que les affaiblir face aux employeurs.

C’est cela qui m’a rappelé ce qui s’était passé en 1981 : dans un contexte différent évidemment, mais c'est toujours la même ligne élitiste qui est à l'œuvre ou à la manœuvre.

À l'époque le SNTPCT-CGT était organisé par secteurs : Long métrage - Court métrage - Animation - EPTV (Entreprises Privées travaillant pour la Télévision). Les adhérents de chacun de ces secteurs élisaient un bureau et ces élus devenaient membres du Conseil national du syndicat.

J'ai adhéré au syndicat quand j’ai commencé à travailler dans le montage en 1977. J’ai rejoint l’EPTV sur les conseils d'un collègue, bien qu’ayant déjà travaillé sur des longs métrages cinéma et dans l'audiovisuel en tant qu'assistante.

J'ai très vite été élue au bureau en même temps que d'autres nouveaux adhérents car les collègues plus anciens avaient envie de laisser leur place.

Je suis donc devenue membre du Conseil National du syndicat. J’y ai entendu certaines paroles étonnantes : « l'audiovisuel (c’est à dire la télévision) c’est comme la FNAC, on y trouve de tout ! » et encore « attention l'audiovisuel, ce n'est pas le cinéma, ne confondez pas les torchons et les serviettes... ». J'étais plus que choquée d'entendre ces paroles prononcées par des adhérents d'un syndicat de salariés affilié à la CGT.

Néanmoins, avec mes camarades nous étions des syndiqués actifs...

La scission intervenue dans le syndicat SNTPCT- CGT en 1981 a eu comme origine la grève menée en 1980 par notre secteur, l’EPTV.

Pendant six semaines, les techniciennes et techniciens, tous corps de métiers confondus, travaillant dans l'audiovisuel, engagés par les prestataires de service et/ou les chaines de télévision de l’époque ainsi que l’INA ont arrêté le travail pour obtenir une augmentation de salaires.

Dans les premiers jours du mouvement, une autre revendication s’est ajoutée, car nous avons appris que certains de nos employeurs, les prestataires, avaient le projet de changer notre statut : ils voulaient nous transformer en intérimaires et ainsi nous faire perdre les droits et les usages liés à « l’intermittence » à savoir la caisse des congés spectacles, l’AFDAS, les droits aux Assédic (l’annexe 8)...

Le mouvement s’est alors renforcé, un comité de grève s’est constitué avec l’élection de représentants syndiqués et non syndiqués.

Une caisse de grève a été mise en place : une indemnité journalière était accordée aux grévistes qui en avaient besoin.

C’était animé, dynamique et unitaire.

Nous avons reçu le soutien et l’aide financière de la Fédération du spectacle CGT, que je n’avais jamais rencontrée auparavant, celui de la CFDT ainsi que de nos camarades des autres secteurs de notre syndicat (long métrage, court métrage et animation).

Ce fonds était géré par les membres du bureau de l’EPTV, avec bien sûr la Direction du SNTPCT.

Nous avons pu faire reculer le projet patronal du passage à l’intérim.

En ce qui concerne les négociations salariales, le Bureau national a voulu les mener, d’une part avec les employeurs privés, d’autre part avec l’INA, mais sans prendre en compte l’intégralité de nos revendications : nous voulions une augmentation de salaires avec comme but un rattrapage du niveau des salaires de la Convention Collective Nationale de la Production Cinématographique. Nous n’étions pas naïfs, nous savions que cela ne se ferait pas en une seule étape, mais c’était notre revendication, et d’ailleurs, elle était inscrite au programme de notre syndicat le SNTPCT- CGT.

Nous avons pris part aux négociations en tant qu’élus mais cela a été un moment difficile pour nous. Nous avions peu d’espace pour intervenir et de surcroit nous étions fragilisés devant nos employeurs puisque notre direction syndicale n’allait pas dans le même sens que nous, les grévistes.

Il y a eu des augmentations de salaires qui ne furent pas à la hauteur de ce que nous aurions pu obtenir, mais surtout il n’y eut aucun calendrier de rattrapage, il n’en était pas question...

Personnellement, et comme tous les autres grévistes, j’ai très mal vécu ce déni de démocratie après des semaines de lutte...

Nous avons repris le travail et demandé qu’une Assemblée Générale du syndicat avec tous les adhérents ait lieu pour faire le point : est-ce que l’extension de la convention collective de la production cinématographique pour tous les techniciens travaillant dans le cinéma comme dans l’audiovisuel était toujours dans l’orientation du syndicat ? Réponse de la direction syndicale : « Ne vous inquiétez pas, il y aura une AG très bientôt ».

Les mois ont passé et... Rien.

Nous avons alors décidé de demander l’application d’un article des statuts du syndicat, qui prévoyait l’obligation pour la Direction de convoquer une AG exceptionnelle si elle était demandée par un certain nombre d’adhérents.

Ayant obtenu les signatures nécessaires, nous avons remis ce document au Bureau du syndicat, conformément aux statuts.

Au cours du Conseil National suivant, où cinq d’entre nous siégeaient en tant qu’élus, les membres du bureau et le délégué général nous ont signifié notre exclusion du syndicat.

Nous étions atterrés, nous avions juste demandé l’application des statuts ! Cela a été dur et violent : nous avons été sommés de quitter la salle sur le champ.

Nous avons tenté de discuter, pour essayer de comprendre. La menace s’est alors précisée, quelques-uns se sont levés dans l’intention de nous pousser vers la sortie...

L’un d’entre nous a suggéré de ne pas obtempérer mais nous, les quatre autres, étions effarés, effrayés, même. Nous sommes sortis. Très émue, je me souviens avoir pleuré avec l’une de mes camarades.

Le choc passé, et indignés d’un tel déni de démocratie, nous avons alors saisi la Commission des conflits au niveau confédéral. Quelques jours après, le Bureau National du SNTPCT a convoqué une AG des adhérents de notre secteur à laquelle nous - les cinq exclus - n’avons pas eu le droit de participer : il a été demandé à nos camarades d’élire de nouveaux représentants mais tous ont refusé.

Le Bureau national du SNTPCT a alors décidé de dissoudre notre secteur, l’EPTV !

Puis arrive le 10 mai 1981, avec la victoire de la gauche.

Alors certains d’entre nous se rendent au siège du syndicat le soir où se tenait un Conseil National. Nous rencontrons certains conseillers sur le pas de la porte à qui nous disons : « La gauche a gagné ! Cessons de nous diviser... ». Cette fois encore, nous n’avons pas été entendus.

Je me rends compte aujourd’hui que nous étions réellement naïfs...

De son côté, consciente de la situation, la Fédération CGT du spectacle engage des pourparlers avec notre direction syndicale.

Nous apprenons seulement à ce moment-là que plusieurs conflits existent déjà entre notre syndicat et d’autres syndicats de la Fédération, dont la Direction s’était toujours gardée de nous informer.

Nous demandons que soit convoquée une Commission des conflits, mais à ce stade, c’est une Commission d’enquête fédérale qui est mise en place. Elle reçoit à plusieurs reprises les témoignages des uns et des autres pour une tentative de conciliation.

Finalement, la Fédération du Spectacle et la Confédération Générale du Travail convoquent une réunion le 13 juillet 1981 : les membres du Conseil National de notre syndicat ainsi que certains d’entre nous y sont présents. Les organisateurs de cette réunion demandent à la Direction du syndicat de respecter ses statuts pour que se tienne à la rentrée une assemblée générale des syndiqués qui doit débattre et voter sur l’orientation.

Au cours du mois d’août, pas de nouvelles, malgré des échanges entre les différentes parties...

Puisque la Direction refuse d’organiser une assemblée générale du syndicat, faisant ainsi persister le conflit, la Fédération et la Confédération convoquent alors une AG le 17 septembre 1981.

Les membres du Conseil du SNTPCT arrivent avec des huissiers qui vérifient que les présents sont bien adhérents du syndicat...

La salle est pleine, l’ambiance un peu chaude. Il est proposé de voter sur la validité des décisions que prendraient les syndiqués au cours de cette assemblée générale. Tout le monde participe alors au vote, y compris les membres de la direction (toujours en présence des huissiers).

Le résultat est clair : la majorité (bien au-delà du nombre d’adhérents du secteur EPTV), se prononce pour la validité délibérative et décisionnelle de cette AG. La direction du SNTPCT, mise en minorité et refusant la sanction d’un vote auquel elle a participé, décide de quitter la salle avec une partie d’adhérents « fidèles ».

Une commission chargée de préparer l’assemblée délibérative est élue.

Elle se tient le 3 octobre pour mettre en place la nouvelle direction du syndicat. Nous procédons donc à l’élection partielle du conseil syndical : 9 conseiller·es sont élu·es et 9 sièges sont laissés à nos collègues absents.

Un courrier leur est envoyé dans ce sens, disant que des sièges au Conseil leur sont réservés.

Face à cette situation, les membres de la Direction en désaccord pouvaient réclamer une Commission des conflits mais ils optent pour assigner en justice de la Confédération et de la Fédération ainsi que des 9 élus de la nouvelle direction du SNTPCT.

Cette action juridique est engagée et signée nommément par les membres du Conseil national. En accord avec la Confédération, la Commission exécutive fédérale - dont nous ne faisions pas partie - se réunit le 23 novembre 1981 et décide d’exclure de la CGT ceux qui l’assignent devant les tribunaux, à savoir les signataires de l’action en justice.

À partir de là et jusqu’en 1985, deux syndicats vont coexister : le nôtre, le SNTPCT-CGT et le SNTPCT devenu autonome, surnommé Trétaigne (nom de la rue où se trouvent toujours les locaux du SNTPCT).

De notre côté, le SNTPCT-CGT, nous avons supprimé la division en secteurs (long métrage, animation, etc.) afin de fonctionner dans l’unité de tous les adhérents, avec des branches et des commissions.

À notre demande, la procédure légale de demande d’extension de la Convention collec- tive du cinéma a été engagée pour la production cinématographique et audiovisuelle, revendication inscrite au programme du SNTPCT mais jamais demandée. Il faut se rappeler qu’alors, dans le cinéma, une seule chambre syndicale patronale était signataire de la convention.

Une négociation s’est alors déroulée pendant plusieurs années, sans aboutir.

Comme les employeurs, Trétaigne s’est opposé à notre revendication. Ce syndicat s’est comporté en réel adversaire de nos propositions et les employeurs en ont bien profité.

En 1985, notre syndicat contraint par jugement d’abandonner le sigle SNTPCT à la rue de Trétaigne, prend le nom de « Syndicat National des Techniciens et Réalisateurs de la Production Cinématographique et Télévisuelle, film et vidéo », soit le SNTR (P.C.T.F.V) - CGT » (devenu ensuite le Syndicat des Professionnel·les des Industries de l'Audiovisuel et du Cinéma (SPIAC-CGT).

Outre le manque évident de démocratie dans le fonctionnement du SNTPCT, cette scission résulte de la conception élitiste et corporatiste de certains, attachés à un esprit de caste : cinéma contre télévision, fiction contre documentaire, etc. Pour ceux-là alors, seul le cinéma et seule la fiction trouvaient officiellement et hypocritement droit de cité, alors même qu’une grande partie d’entre eux travaillaient essentiellement pour la télévision. Curieuse aussi cette non-reconnaissance du documentaire, devenu invisible dans leur histoire du cinéma...

La scission a été voulue et conduite par certains dirigeants avec comme seule ligne : séparer les salariés au nom du mythe du « Technicien-supérieur-et-qualifié-qui-fait-du- cinéma » toujours vivace, à un moment où la mobilité des salariés d’un secteur à l’autre, ainsi que les évolutions techniques déjà en cours, auraient dû les inciter à une réflexion inverse.

Il s’agit bien en fait de critères idéologiques, et au final politiques.

Cette même idéologie (élitisme et déni de démocratie) explique ce qui s’est reproduit en 2023 : les employeurs, avec le SNTPCT et ses partenaires, ont négocié ensemble l’avenant 17 et l’avenant 19.

Ce syndicat a instrumentalisé la grève de l’hiver 2023/2024 pour servir son propre programme : en promettant que cette grève était uniquement pour les 20% pour tous, puis par une première tentative de trahison en décembre, suivie d'un tête-à-queue pour re-prendre la grève et enfin signer cet accord mortifère en janvier.

Pour rappel, le SNPCT a signé cet accord suite au vote à peine majoritaire d’une cinquantaine d’adhérent.es. Comment un petit groupe de personnes peut-il ainsi prétendre peser sur le présent et l’avenir de plusieurs milliers de salariés techniciens intermittents ?

Pourquoi un syndicat de salariés s’acharne-t-il depuis des années à soutenir une politique corporatiste ? Rappelons aussi que, lors des grands mouvements contre la réforme des annexes 8 et 10 en 2003, le SNTPCT avait pour projet la création d’une caisse indépendante !

Pourquoi, aujourd’hui encore, cette obsession de compartimenter les salarié·es en catégories distinctes alors qu’il est de notoriété publique que c’est précisément ce que cherchent les employeurs dans tous les secteurs d’activité ?

Les employeurs veulent multiplier les statuts pour atomiser les individus, casser tous les collectifs, toutes les solidarités, créer des régimes d’autoentrepreneurs, des contrats de natures différentes, ubériser le travail... Tout cela va dans la même direction.

Cette politique signifie un réel démantèlement de nos métiers avec la menace d’une remise en cause de nos droits sociaux.

Pourtant notre corps professionnel est un atout important qui contribue à la richesse et à la diversité du cinéma et de l’audiovisuel en France.

Aujourd’hui, nous pouvons remettre en cause cet accord. Il est encore temps de nous manifester pour empêcher le démantèlement de nos métiers.

Au moment où le champ de notre exercice professionnel s’élargit, accepter le morcellement, c’est accepter une déstructuration dangereuse : si nous nous retrouvons divisés et seuls face à nous employeurs, ce serait un retour en arrière de plusieurs décennies dans nos droits. Qui le souhaite ?

PS : Au moment où sont rédigées ces lignes, le résultat des élections TPE semble confirmer une ligne solidaire, démocratique et anti-élitiste, car le SNTPCT tomberait à 25% de représentativité dans le cinéma et autour de 10% (voire de disparaître complètement) dans l’audiovisuel.

Je remercie celles et ceux qui m’ont aidée à la rédaction de ce texte. Anita Perez, 22 mars 2025

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