L’Algérie acquiert son indépendance le 5 juillet 1962, au prix d’une guerre de libération sanglante, dont la Déclaration du 1er Novembre 1954 marque le point de départ officiel. Mais ce que les hirakistes considèrent aujourd’hui, c’est que l’indépendance leur a été « volée » par une partie de l’État-Major Général (EMG) de ce qui était alors l’Armée de Libération Nationale (ALN), devenue par la suite l’Armée nationale populaire (ANP). Après de multiples mues nécessaires à sa survie, ce régime prétorien tente aujourd’hui de se faire oublier derrière une scène d’apparence démocratique.
Alors que son sol regorge de pétrole et de gaz, l’Algérie souffre d’un sous-investissement structurel. Résultat, les algériennes et les algériens importent quasiment tout ce qu’ils consomment, la rente des hydrocarbures devant assurer le financement de ce modèle économique. Cette faiblesse industrielle et agricole n’est pas le fruit du hasard puisque c’est sur les importations que les élites militaires, politiques et économiques se taillent la part du lion.
La corruption est en effet endémique en Algérie, du plus haut sommet de l’État à l’échelon local. Dans certaines régions, ce sont les habitants qui doivent collectivement s’occuper des travaux publics pour pallier l’incurie et/ou à l’incompétence des pouvoirs locaux. Autre problème majeur, évidemment lié au précédent, la contestation politique y est fortement entravée et le « régime » est depuis longtemps passé maître dans l’art de la manipulation, de l’infiltration et de la prestidigitation.
Dans un pays très majoritairement jeune, le double-phénomène de corruption généralisée et d’entrave aux libertés d’expression, d’information et d’association, conduit au départ constant de milliers de jeunes hommes et femmes considérant ne pas avoir d’avenir dans ce pays massivement touché par le chômage, traversant la Méditerranée par avion et muni·es d’un visa pour les plus chanceux·euses, dans un bateau de fortune pour les plus pauvres.
Les premiers mois du hirak avaient pourtant freinés ces départs, laissant espérer l’avènement d’une société plus saine. Mais il est apparu clairement que le régime n’était absolument pas prêt à lâché le pouvoir, et qu’il opérait plutôt une énième mue. Abdelmadjid Tebboun, le candidat tout désigné, est élu Président de la République le 12 décembre 2019, au terme d’élections marquées par le plus haut taux d’abstention jamais enregistré pour des présidentielles, et où les cinq candidats présentés étaient tous liés au « système ». Malgré des discours promouvant la réforme et quelques arrestations - d'envergures - dans l’élite politique, économique et militaire pour se donner l’apparence d’une lutte contre la corruption - et par là même écarter de possibles rivaux -, le nouveau Président a intensifié la répression, d’autant plus depuis quelques semaines afin de contenir la contestation à l’approche des élections législatives qui se sont tenues le 12 juin dernier et que les hirakistes ont boycottés, jugeant que les conditions pour des élections libres n'étaient pas remplies, et qu’elles ne le seront pas tant qu’une véritable transition n’aura pas eu lieu. Le taux de participation a été, une nouvelle fois, historiquement bas, descendant en-dessous des 1% dans certaines localités. Mais peu importe pour le pouvoir qui maintien sa feuille de route. Arrestations massives de manifestant·es et systématiques des journalistes lors des marches (afin de contenir au maximum la diffusion d'images), justice arbitraire, cas de torture, interdiction de séjour durant de longs mois pour les binationaux résidant à l’étranger, les atteintes aux droits humains se multiplient dans un pays déjà de multiples fois endeuillé par une répression féroce.
Pire, on assiste dernièrement à l’intensification de la criminalisation des militant·es. Outre les tentatives de dissolution de mouvements politiques comme le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ) ou l’arrestation de cadres de partis, une association politico-religieuse, Rachad, et un parti, le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK), dont la revendication principale est l’indépendance de cette région, ont été classés comme « organisations terroristes » par l’État algérien, plaçant ainsi de fait leurs militant·es, jusque là totalement pacifiques, dans l’illégalité.
Le pouvoir tente ainsi d’instiguer l’idée que le hirak actuel diffère ontologiquement du « hirak originel », que ses revendications sont désormais illégitimes et infondées, qu’il est noyauté par des terroristes œuvrant de l’intérieur du pays, mais aussi depuis l’extérieur, renouant ainsi avec la sempiternelle « main de l’étranger » que le régime accuse régulièrement de porter atteinte à l’unité nationale. Cette criminalisation de militant·es pacifiques couplée à l’accentuation de la répression poursuit un double-objectif : contraindre la majorité des contestataires à stopper leur mobilisation et radicaliser les plus téméraires, afin que le régime puisse ensuite se présenter comme l’unique solution pour rétablir l’ordre.
Ce schéma que le régime tente de mettre en place ressemble à s’y méprendre, sans pour autant affirmer que l’histoire se répète, à celui des sanglantes années 90, la "Décennie noire", durant lesquelles de nombreux massacres et assassinats ont été commis au nom des islamistes. « Au nom » puisque le rôle de l’armée et des forces de sécurité algériennes a été plus que trouble durant ces évènements, qui trouvent leur origine au début de l’année 1992, lorsque les généraux stoppent le processus électoral dans l’entre-deux-tours des élections législatives, considérées comme les plus libres de l’histoire du pays et dont le résultat du premier tour annonçait la victoire du Front Islamique du Salut (FIS), parti islamiste hors du giron du régime.
Le hirak est donc dans un moment décisif. Malgré plus de deux ans de lutte, le régime est encore bien accroché au pouvoir, accompagné par ses alliés internationaux, notamment la France.
La sénatrice et présidente de l’Assemblée des femmes Laurence Rossignol a à ce sujet interpellé le Ministre des Affaires Étrangères français, Jean-Yves Le Drian, demandant ce que la France pouvait faire pour contribuer à la défense des droits fondamentaux des algériennes et des algériens. Le Ministre a prétendu être étonné de la temporalité de cette question et ne pas vouloir s’ingérer dans les affaires de l’Algérie qui venait d’entrer en campagne électorale. Comment comprendre alors l’interdiction de manifestation, la deuxième en quelques semaines, émise par la Préfecture de Paris à l’encontre des hirakistes parisiens pour une marche qui aurait dû se dérouler le dimanche 6 juin 2021, prétextant de menaces de « troubles à l’ordre public », alors que des évènements similaires ont régulièrement lieu depuis plus de deux ans sans la moindre violence, dans une étrange concomitance avec l’intensification de la répression en Algérie ? De même, si un recourt n'avait pas été fait devant le Tribunal administratif, le Préfecture de police de Paris aurait de nouveau interdit la marche qui s'est déroulée le dimanche 13 juin, lendemain des élections, entre République et Stalingrad.
Il est donc temps que nous montrions massivement notre soutien au combat que mènent les algériennes et les algériens pour leur souveraineté et le respect des droits fondamentaux dans leur pays, que nous fassions pression sur les autorités françaises pour qu’elles cessent ce soutien à un système corrompu et que nous rendions leur lutte plus visible dans nos médias. Allons les écouter les dimanches après-midi sur la Place de la République où ils et elles se réunissent, échangeons avec elles et eux et créons les fondations d’une relation équitable, saine et apaisée entre nos deux pays.