L'un des leadeur de l'organisation de jeunesse du Front Populaire Tunisien, Mohamed Amine Jebari nous livre ses impressions sur le climat social dans le pays et sur les éléctions de l'année qui vient
Comment est nait le Front populaire, organisation unitaire de la gauche tunisienne?
Tout d'abord il faut savoir que le parti des travailleurs (ancien parti communiste) a toujours eu une démarche unitaire. Nous fûmes, parmi les signataires de l'appel du 18 octobre 2005 regroupant l'ensemble de l'opposition à Ben Ali. Aucune évolution n’étant possible sous la dictature il était nécessaire d'ouvrir un front commun contre le tyran afin de s'engouffrer dans toutes les brèches d'un régime vieissant
En 2011 dans un contexte d'ébullition politique, et alors que de très nombreuses organisations politiques naissent en Tunisie nous n'avons pas pu mener à bien ce travail unitaire et nous sommes partis aux élections sans un rassemblement à la taille de l'enjeu. Le résultat s'est fait sentir.
Nous avons ensuite constitué le Front Populaire. Celui-ci regroupe actuellement une dizaine de partis marxistes, panarabistes et sociaux-démocrates de gauche.
Sur quelle base se rassemble ces partis?
40 points ont été votés par les différentes organisations et constituent l'orientation politique du Front. Si l'on devait résumer ce texte il s'articule autour de trois axes. La lutte contre la dépendance économique, la défense de la culture nationale et l'appartenance aux pays arabes
Après la mort de Chokri Belaïd, face à l'implantation progressive d'Ennhdhda dans nos institutions nous avons engagé le Front Populaire dans un Front encore plus large contre l’islamisme. Il regroupait notamment Nidaa Tounes, UDC et l'UGET. Nous réclamions la dissolution de l'assemblée constituante, la fin du gouvernement Laarayeth et la constitution d'un gouvernement d'Union nationale composé de technocrates.
Nous n’avons obtenu que ce dernier point, jugé suffisant par nos partenaires.
Quel bilan tirez-vous du gouvernement Jomaa?
La prise de contrôle d'Ennahdha sur l'administration n'a pas cessé et les violences policières ont continué. Les discours salafistes se développent dans beaucoup de mosquées.
Les cellules terroristes sont encore là et malgré la mort de 15 de nos soldats l’armée n’a pas obtenu les moyens nécessaires pour les éradiquer définitivement.
Même si la forme du gouvernement a évolué et que l'état des libertés s'est considérablement amélioré en Tunisie les mécanismes d'exploitations qui placent la Tunisie sous la dépendance du capitalisme international sont toujours là. Notre dette de 43 milliards est toujours là.
Nous ne sommes pas autosuffisants d’un point de vue alimentaire. Nous importons un blé que nous pourrions produire. La vente de terre agricole à des sociétés étrangères se poursuit.
Sur le long terme quels sont les propositions du Front populaire pour la Tunisie
Pour que les objectifs de notre révolution soient atteints il faudra une forte implication populaire du citoyen tunisien à tous les niveaux, locaux régionaux et nationaux. Les principaux changements pour lesquelles nous militons ne passeront pas par l'élection d'une assemblée mais grâce à un de grand mouvement d’implication populaire.
A notre échelle nous militons pour une société ou les libertés individuelles et notamment religieuses sont respectées, une société reconnaissant et appliquant les principes du droit à la santé, au travail et à l'éducation.
Quel est l'état d'esprit de a jeunesse tunisienne à deux mois du début des élections?
La jeunesse tunisienne est déçue du bilan du gouvernement et semble très critique quant au déroulement des premières élections.
En effet lors de nos premières élections le parti Enndhda a reçu une aide financière du Qatar lui offrant ainsi des moyens considérables pour organiser sa campagne.
Nous réclamons ainsi que les cas de clientélisme ou de corruption soient sévèrement sanctionnés, que les comptes de campagne soient publiés et qu'un plafond de campagne soit fixé afin que les différentes organisations partent sur un pied d'égalité.
Quels sont les principaux points de votre programme?
Nous plaçons au cœur de notre programme l'indépendance économique. Les principaux secteurs publics comme l'eau et les télécoms doivent être complètement publique. Les parts étrangères dans ces sociétés doivent être rachetées.
Il faut financer le développement d'un secteur d'industrie lourd pour sortir d'une situation de dépendance dans nos exportations.
Il faut développer notre système de transport. Certaines régions sont tellement enclavées que l'investissement y est impossible.
Il faut développer sur l'ensemble du territoire un tourisme durable respectueux des normes écologiques et sociales. Pour l'instant notre tourisme est un tourisme de masse, concentré autour des hôtels clubs sur la côte. Il détruit notre littoral et ne permet pas de faire vivre dignement ceux qui y travaillent.
Il faut mettre fin au terrorisme qui sévit actuellement en Tunisie. Un contrôle strict des imans par le gouvernement doit être fait. Tous les imans qui traitent de politique dans leur prêche doivent être remerciés.
Pour finir il faut totalement redessiner notre système fiscal. Il n'est pas normal que les salariés gagnant 600 dinars par mois et ceux gagnant 50.000 dinars par mois aient le même taux d’imposition. Par ailleurs des organes indépendants doivent être mis en place pour lutter contre la fraude fiscale car l'impunité actuelle des fraudeurs conduit à des pertes considérables.
Dans le domaine de l'agriculture nous devons lutter contre l’endettement des paysans. En effet de nombreux paysans continuent de payer des dettes contractées pour des achats de terre à des taux exorbitants. Le payement de ces dettes les étrangle et rend impossible tout investissement.
Un audit de la dette doit être fait. Les Tunisiens n'ont pas à payer pour des prêts contractés par l'ancien régime, surtout lorsque on sait qu'une part importante de ces frais a été détourné.
Les nominations dans le secteur public doivent se faire sur la base de la compétence et de l’expérience. Toutes les nominations doivent être rendues publiques.
Comment aborder vous cette campagne électorale?
Le gouvernement en place n'a apporté de réponse concrète à aucun des problèmes qui ont mis la jeunesse dans la rue il y a trois ans. Beaucoup estiment que la révolution a été volée. La tentation de l'abstention est forte.
Nous menons un travail dans les quartiers pour inciter les jeunes à s'investir dans la vie citoyenne. Cette révolution c'est la leur. Nos députés ne sont que le relai de leur lutte. C’est par leur action et leur mobilisation que nous reprendrons le contrôle de notre pays et que nous parviendrons à une véritable indépendance nationale.