Nous avons rencontrré Salem Ayari et Samir Sedik, respectivement coordinateur national et responsable du gouvernorat de Nabeul de l'Union des diplomés chomeurs. Il nous livre un bilan très critique de l'action des gouvernements en place depuis l'éléction de l'assemblée constituante.
On a beaucoup entendu parler de l'Union des diplômés chômeurs pendant les trois dernières années. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette organisation ?
il s'agit d'un regroupement de chômeur, ayant pour la plupart une expérience au sein de l'UGET. Pour bien comprendre sa genèse il faut savoir que le chômage des jeunes atteignait 18% de la population active en 2011 et s'élève à 25% aujourd’hui. C'est dire le poids des chômeurs dans notre société. J'ai pour ma part été diplômé en 2004 et comme de nombreux jeunes je n'ai pas réussi à accéder au marché de l'emploi. Comme l'avenir semblait bouché pour nous, nous avons décidé en 2006 de créer une organisation pour faire valoir notre droit au travail. Comme les étudiants et les travailleurs et les étudiants ont leur organisation, il est normal que nous ayons la nôtre.
Sous Ben Ali de petites cellules clandestines ont été créé et nous nous sommes joints aux différentes luttes, notamment celle de mineurs de Gafsa. Nous avons alors pris conscience par notre militantisme et nos liens avec les autres organisations en lutte du poids du clientélisme dans ce pays. Le fait d'avoir de la famille ou un ami haut placé au RCD, tout comme le fait de verser un pot de vin à un responsable du régime donne accès un meilleur emploi tandis ce que les meilleures formations restent sans débouchés. Le régime a proposé en 2008, au moment où nous commencions à nous développer, des postes de professeur dans la fonction publique à nos leadeurs. Face à un gouvernement corrompu dont le seul but était de conserver le pouvoir, ce clientélisme était aussi un moyen d’acheter la paix sociale.
Quel rôle a pris votre mouvement lors de la révolution?
Tout d'abord je tiens à rappeler que notre révolution est partie des régions pauvres du centre de la Tunisie, ou le chômage des jeunes faits des ravages. C'est ainsi qu'avec la révolution de très nombreux chômeurs ont rejoints notre mouvement pour faire pression sur les gouvernements et obtenir des actions concrètes pour l’emploi.
A la fin de janvier 2011 nous avons effectué une tournée dans l'ensemble des gouvernorats pour structurer notre mouvement. De nos jours nous avons 24 bureaux régionaux et 170 bureaux locaux. Nous avons autour de 18.000 adhérents.
Quelles propositions faites-vous pour régler le problème du chômage en Tunisie?
Tout d'abord il faut faire un constat sur les causes du chômage en Tunisie. Les gouvernements de Ben Ali ont mené une politique de massification dans l'accès aux études supérieures. Cela ne signifie pas que le niveau de formation du tunisien moyen c'est soudainement accru puisque dans le même temps tous les indicateurs internationaux montraient une baisse dans la qualité du système éducatif tunisien. L'état tunisien a tout simplement bradé les diplômes depuis le baccalauréat jusque aux diplômes universitaire pour présenter sur la scène internationale un pays formant un nombre impressionnant de diplômés.
Les conséquences furent bien sur dramatiques pour le marché de l'emploi. En effet l'économie tunisienne, largement tournée vers le tourisme et l'industrie n'est en mesure d'absorber que 10.000 emplois de diplômés tous les ans là ou notre système éducatif en produit 70.000.
Par ailleurs ces dernières années les privatisations d'entreprises publiques, et les licenciement qui les accompagnèrent contribuèrent à la hausse du chômage dans la dernière décennie.
De manière plus générale l’état tunisien est trop faible pour imposer des contraintes au secteur privée qui bénéficie d’une totale impunité. Prenons un exemple. L'état a mis en place des contacts de formation avenir, permettant à l'entreprise engageant un jeune pour une période limité de bénéficier de dispense d'impôt. Or comme l'état n'exerce aucun contrôle sur le recrutement à long terme de ces jeunes les entreprises les mettent à la porte dès que les déductions fiscales ne font plus effet pour recruter à leur place...d'autres jeunes en contrat aidé.
Quelles propositions apportez-vous aux partis politiques?
L'état doit se donner les moyens d'imposer sa volonté au monde de l'entreprise. Nous réclamons ainsi:
-La renégociation de tous les contrats aidés. Les déductions fiscales ne peuvent se faire qu'en échange d'une embauche du jeune en contrat à durée indéterminé
-La création d'un organisme de crédit à taux nul permettant de faciliter la création d'entreprises. De plus en échange du respect d'un cahier des charges écologique et sociale (recrutement important, investissement dans les zones sinistrées, respect des normes écologiques internationales) les entreprises doivent bénéficier d'avantages divers, comme la mise à disposition à prix symbolique de terrain ou de locaux appartenant à l'état. Des déductions fiscales peuvent aussi être envisagées dans les premières années
- Une loi cadre contre la corruption dans le recrutement des fonctionnaires. Imaginez qu'un véritable marché noir des postes dans la fonction publique tunisienne c'est développé. Aucun contrôle ne s'exerce sur les concours de recrutement des fonctionnaires. Ainsi que l'on estime que 9000 dinars sont suffisants pour acheter le CAPES tunisien. Les grandes entreprises privées doivent aussi faire l’objet d’un contrôle pour éviter le népotisme. Pour cette raison la loi cadre que nous proposons doit s'accompagner de la création d'un office indépendant de lutte contre la corruption. On peut imaginer une composition paritaire regroupant des membres des syndicats, du patronat, du gouvernement et du monde associatif.
-Enfin nous souhaitons encourager les jeunes diplômés à créer eux-mêmes leurs entreprises. Pour cela indépendamment du système de micro crédit déjà évoqué un travail doit être mené pour faciliter et rendre lisible les démarches administratives.
Comment s'est déroulé le dialogue avec l'assemblée nationale constituante?
Nous avons été très déçus par l'absence de collaboration avec l'assemblée nationale constituante. Une seule réunion avec une commission de l'ANC a eu lieu ces quatre dernières années. La mise en place d’un minimum chômage à 300 dinars ainsi qu’un décret sur la transparence des nominations publiques ont été refusé.
Pourriez-vous nous décrire la condition de chômeur en Tunisie en 2014?
Comme nous ne recevons pas d'allocation de l'état nous vivons pour la plupart chez nos parents qui nous perçoivent souvent comme une charge. La comparaison avec nos frères et sœurs travaillant est parfois difficile à vivre. Le chômage, bien que généralisé en Tunisie, est mal vu et non accepté par la société.
En étant au chômage il nous est impossible de n ou marier ou de faire des projets sur le long terme. Or une part importante des chômeurs tunisiens est déjà trentenaire. Nous sommes à bien des égards une "génération sacrifiée".
Notre budget ne nous permet pas d'acheter autres choses que du café et des cigarettes. Beaucoup choisissent l'exil, souvent de manière illégale, vers l'Europe et la France. Souvent en situation de mal être nos chômeurs sont aussi la proie des groupes fascistes qui leur proposent de partir en Syrie, souvent avec une contrepartie financière à la clef.
Comment vous positionnez vous vis à vis des futures élections législatives et présidentielles? Envisagez-vous de supporter l'un des différents partis ou considérez-vous que votre devoir est de rester neutre?
Tous d'abord nous avons rédigé une chartre de l'emploi composé d'un ensemble de mesure pour lutter contre le chômage que nous proposons aux différentes organisations.
Nous soutiendrons les organisations dont les propositions et les objectifs affichés sont conformes aux objectifs de la révolution. Nous appellerons sans doute à voter pour front populaire, principale organisation de la gauche tunisienne dans la mesure où cette organisation a accueilli favorablement notre chartre et a fait sienne plusieurs de nos propositions.
Nous nous attendons en revanche à une abstention record dans a mesuré les principales attentes de la jeunesse vis à vis de la révolution n'ont pas été satisfaite. Lors de ces 4 dernières années peu de choses ont été faites pour lutter contre le chômage, la corruption et la misère, d'où un certain rejet de la chose publique par une partie de la jeunesse, y compris ceux qui ont massivement adhérer à des partis et à des association sans pouvoir cependant y trouver leur place.