Houssem Hajlaoui travaille pour le site Nawaat, l'un des journaux en ligne les plus lu de Tunisie. Il nous livre ses impressions sur la liberté de la presse en Tunisie, sur la nouvelle constitution et sur les élections présidentielle et législative à venir.
Peux-tu nous parler de Nawaat, quel a été son rôle pendant la révolution et quel en sont les objectifs actuels?
Nawaat fut fondée en 2004. A l'origine il s'agit d'un blog collectif destiné a fournir une tribune a tout ceux qui s'opposaient à la dictature. Dans les dernières années de la dictature les forces d'opposition ont mis leurs divergence de côté pour constituer un front commun sur la base d'un minimum démocratique. Nawaat s'inscrivait dans cette vision des choses puisque elle visait à fournir un espace d'expression à toute l'opposition, aussi bien de gauche qu'islamiste. Nous proposions une plate forme ouverte sur laquelle l'ensemble de l'opposition pouvait s'exprimer.
A l’origine nous étions cinq, aussi bien des tunisiens de étrangers que des locaux. Bien entendu nous étions censuré en Tunisie.
Comment le site et de manière plus générale la blogosphère tunisienne ont joué un rôle dans la révolution?
.A partir de 2009 une part importante de la population, notamment les jeunes vont accéder à la blogosphère tunisienne. On peut voir un réel changement entre le mouvement de Sidi Bouzid ou la circulation de petites vidéos de smartphone, notamment sur Facebook, a permis une diffusion de l'information et les mouvements antérieur ou le pouvoir central bloquait tout. On a vu parallèlement beaucoup plus de jeunes contourner les pares feux de protection pour accéder à des sites interdits.
A partir de 2011 Nawaat a voulu se professionnaliser pour répondre aux exigences de la période. Tout en restant une plate forme pluraliste ouverte à tous les démocrates et permettant de creuser le débat sur la constitution nous souhaitions proposer à nos lecteurs des enquêtes de fond sur des sujets d'actualité.
Nous avons donc recrutés une dizaine de journalistes et nous nous sommes imposé comme un média reconnu dans le pays.
Peux-tu nous expliquer les évolutions dans le monde de la presse depuis 2011?
Il faut savoir qu'avant la révolution seul les journaux du régime étaient tolérés et les voix dissidentes étaient complètement censuré. A partir du moment ou la censure a été levé nous avons vu une explosion du nombre de journaux et sites d'informations. Dans le même temps les principaux journaux du pays ont fait le choix de se montrer très critique vis à vis du pouvoir en place. C'est une manière pour eux de se racheter une conduite auprès de la population. De plus les journalistes de ces revues appartiennent à la frange de la population la plus opposé à l'islam politique.
Progressivement comme l'alternance politique commence à exister les médias n'ont plus d’intérêt à faire allégeance à un régime en place. Ainsi le mécanisme de soumission propre aux dictature est brisé.
Le tunisien lui développé un vrai regard critique vis-à-vis de l'information, à accepter plusieurs interprétation d'un même fait. Là encore le développement de ces réflexes démocratique rend de plus en plus difficile le retour à une situation de dictature.
Au niveau des institutions la reconnaissance de liberté de la presse dans la constitution constitue le barrage juridique qui manquait à l'édifice.
Peut-on alors dire que la presse est totalement libre en Tunisie ?
Non. Se développe désormais en Tunisie une "censure économique" propre aux démocratie. En l'absence de modèle de financement alternatif les principaux médias du pays se retrouvent dans une situation de dépendance vis à vis des principaux groupes financier.. Quand un média comme Nessma peut s'offrir un plateau télé entièrement à charge contre le gouvernement, quand Al Jazeera reçoit le leader d'Ennahdha en campagne comme un chef d'état, les médias sont pris en otage par des intérêts particuliers et c'est la démocratie qui recule.
Cependant, en dehors de ces principaux médias, de nombreux journaux tentent de développer des financement alternatif afin de sortir de ces cercles de dépendance. Nawaat fonctionne grâce à des financements issues de la société civile ainsi que grâce à l'argent que nous rapporte les services, notamment informatique que notre personnel propose. Cet aspect est fondamental car face à une presse papier dont la qualité laisse à désirer une part importante de la population se tourne vers les médias en ligne. Ces derniers jouent en Tunisie un rôle bien plus important que dans de nombreux pays. Au regard du nombre de journaux et d'association qui se créent, qui expérimentent des choses nouvelles, on peut dire que la Tunisie est actuellement un véritable laboratoire pour la société civile de demain.
Assiste ton à une bipolarisation du paysage politique tunisien autour de Ennahdha et de Nidaa Tounes?
Assurément. Après une phase post révolutionnaire qui a vu la création et la réapparition de nombreux partis ces différents acteurs se sont pour la plupart rangés autour de ces deux blocs. On peut expliquer cette bipolarisation, qui se fait au détriment d'autres formations pourtant très active sur le terrain, par plusieurs raisons. D'une part ces deux partis, défendent sur le plan social des choix qui correspondent aux attentes d'un pays conservateur comme la Tunisie. Par ailleurs ces deux partis se partagent le portefeuille du monde économique en Tunisie comme à l’étranger. Enfin Nadia Tounes comme Ennahdha, qui proposent toutes deux des voix économiques ultras libéraux, se partagent le soutien des puissances internationales qui considèrent la Tunisie comme un marché potentiellement rentable.
Quel bilan faire de la constitution qui a été voté?
C'est un bilan positif. La liberté de la presse, la liberté d'expression, le droit syndicat et le droit de grève, ainsi que le caractère civil de l'état sont désormais protégé constitutionnellement
Il faut cependant signaler le rôle extrêmement important qu'à joué la société civile dans ce débat. En effet dans une assemblée partagée entre les islamistes et les laïcs les situations de blocages furent nombreuses. Dans ces cas là c'est la société civile qui a joué un rôle d'arbitre. Celle ci fut extrêmement dynamique. Il me semble nécessaire de rappeler qu'elle à fait tomber deux gouvernements en trois ans.
Cette pression populaire a signifié au parti Ennahdha e à l'assemblée dans son ensemble la détermination de la Tunisie progressiste à ne rien laisser passer sur le caractère civile de l'état et les libertés. Cette capacité de mobbilisation est d’extrêmement bonne augure pour la suite des événements. Rappelons qu'il y a seulement 3 ans de cela Ennahdha proposait une constitution dont les principes serait inspiré de la Charia dans son premier article. Dans la version finale si l'article premier reconnaît bien l'islam comme religion le second article affirme le caractère civil de l'état tunisien. De même la "complémentarité entre l'homme et la femme a disparu du projet final et mieux que ça, la constitution tunisienne est l'une des quatre seules au monde qui reconnaît la parité. On réalise le chemin parcouru.
Reste t-il des zones d'ombres dans cette constitution?
Un certain nombre de formulation restent ambigu. Une bataille a été perdu puisque la constitution tunisienne n'abolit pas la peine de mort. En effet de nombreux députés ont préféré ne pas inclure un article garantissant le "droit à la vie" puisque la question de l'avortement aurait pu rentrer dans le champ d'application de ce même article.
Comme cette constitution a été voté par 90% de la population elle bénéficie d'une légitimité exceptionnelle. il nous reste à nous progressistes a continuer le combat pour qu'un arsenal législatif vienne confirmer ces droits et arbitrer des zones d'ombres potentielles. nous espérons que la société civile sera à la hauteur des événement, quelle que soit la couleur de l'assemblée qui sera élue
Dans quelle état d'esprit la population tunisienne se rend t-elle à ces élections? Peut on attendre s'attendre à une participation ou a une abstention massive?
Tout d'abord il faut relativiser la participation aux dernières élections. la Tunisie est une jeunes démocratie et la participation lors de l’élection de notre assemblée constituante ne fut que de 54%. Même si l’ISIE mène une grande campagne pour inciter les gens à s'inscrire sur les listes électorales, nous ne devons pas nous attendre à des taux de participation élevés.
Une part considérable de l'abstention est une abstention volontaire. Il existe chez les jeunes, et notamment chez ceux qui sont parfaitement aux fait de la vie politique, une véritable tentation à l'abstention citoyenne. C'est un pari dangereux dans la mesure ou l’électorat islamiste est lui extrêmement discipliné. Rappelons que l'assemblée qui va être élu va gouverner le pays pendant 5 ans et va écrire les premières lois post révolutionnaire. La couleur politique de cette assemblée est donc déterminante pour l'avenir du pays
L'ISIE mène cependant une grande campagne pour inciter les gens à s'inscrire sur les listes électorales et à voter
Parlons un peu des principales forces politiques du pays. Quel bilan peut on faire après 3 ans de présidence d'Ennahdha? Comment le parti à t'il évoluer?
La pression de la société civile à joué un grand rôle dans l'action et l'orientation politique d'Ennadha. D'une part elle a obligé le parti à tenir ces engagements sur la place des femmes dans la société, sur le caractère civile de l'état. Il faut comprendre qu'avec une majorité relative à l'assemblée et une société civile largement mobilisé contre elle Ennahdha a du montrer patte blanche car un pas de travers aurait pû entraîner la chute du gouvernement et la dissolution de l'assemblée. L'assassinat des deux leaders du front populaire et les suspicions qui ont pesé sur le parti ont par ailleurs renforcé cette pression de la société civile. Le cas égyptien, avec la chute et la répression violente des frères musulmans a aussi inciter Ennahdha à la prudence et à la modération
Pour répondre à ces accusation d'agenda caché et de double discours Ennahdha a fait le choix du consensus en se ralliant sur beaucoup de points aux positions de l'opposition. Elle a ensuite accepté la formation d'un gouvernement d'union nationale et la remise en cause de nombreuses nomination partisane lorsque la pression populaire s'est faite trop forte. En faisant ainsi elle répond aux accusation d’autoritarisme et fournit un argument à ceux qui lui reproche de noyauter les institutions de l'état. Elle permet ainsi de calmer la pression populaire et protège ainsi l'assemblée constituante qui a pu finir son travail. De plus elle aborde ainsi les élections depuis l'opposition ce qui, étant donnée le contexte économique tunisien, est toujours plus confortable. C'est assurément un choix très pertinent.
On peut dire que c'est clairement la branche modérée d'Ennahdha qui l'a emportée. Ce qui entraîne un évident mécontentement chez les plus radicaux, notamment les jeunes. Toujours pour montrer patte blanche le parti islamiste à fait de la surenchère en adoptant des positions plus radicales que les partis laïcs dans la lutte contre le terrorisme, notamment en votant l'inscription d'Ansar Al Shariaa sur la liste des organisations terroristes.
Que pouvez vous dire à propos de Nidaa Tounes, le principal parti d'opposition.
C'est un parti hétéroclite qui rassemble d'anciens cadre du RCD et des transfuges de partis libéraux tunisien. C'est clairement devenu le parti des élites laïcs tunisienne. Ils disposent de moyen financier énorme ainsi que de nombreux médias, comme la chaîne de télé Nesmaa, largement acquis à leur cause. Ils ont réussi par ailleurs à présenter dans chaque gouvernorat des personnalités nationales bénéficiant d'une implantation locale.
Ils ont développé un discours sur l'identité tunisienne, sur la culture, la tradition et l'islam des lumières très parlant pour le tunisien moyen. lls sont directement aller cherché dans l’électorat d'Ennahdha. Ils ont pris le parti islamiste à contre-pied en présentant l'islam radical comme une menace importée d'ailleurs.
Notons que malgré les oppositions de discours il est fort probable que les deux partis qui vont arriver en tête se trouvent obligé de constituer un gouvernement de coalition. Si cela devait arriver Enharnacha devra faire accepter à sa base le principe d'une gouvernance avec un parti laïc et composé d'anciens rcdistes. Il est cependant possible que ce choix soit considéré comme une ligne rouge par la branche la plus radicale de'Ennahdha et qu'elle s'accompagne d'une scission.
Quels autres partis peuvent avoir un rôle à jouer dans ces élections ?
Nous ne pouvons qu’espérer que ces élections ne confirment pas l'existence d'un simple bi-partisme qui mettrait de facto une part importante de la population tunisienne hors de la représentation nationale. Beaucoup d'observateur espèrent ainsi de la troisième force de ces élections, le Front populaire fera un bon score.
C'est un rassemblement des principales organisations de la gauche traditionnelles. très présent dans le syndicat, dans l'Union des diplômés chômeurs et dans la société civile elle dispose d'un maillage militants impressionnants. Elle ne peut cependant pas égaler ses deux principaux rivaux dans les moyens qu'elle met à disposition pour sa campagne.
Cette organisation joué un rôle considérable dans les mobilisations de ces trois dernières années. Et comme nous l'avons déjà expliqué le degrés de mobilisation de la société civile peut, en Tunisie dans le contexte actuel, radicalement changer le travail d'une assemblée.
Dans la mesure où un gouvernement de coalition libérale Enharnacha-Nidaa Younes peut émerger de cette élection il est possible que le front Populaire devienne la principale force d'opposition, au parlement comme dans la rue. C'est la raison pour laquelle de nombreux observateurs souhaitent qu'elle fasse le score le plus important possible.
Qu'en est s’il du CPR et d'Ettakatol, les deux partis laïque de la troïka ?
Du fait de désaccord avec la ligne prônée par la direction la plupart des militants d'Ettakatol ont quitté le parti pour rejoindre d'autres formation politique, notamment Al Joumouri et Nidaa Tounes. Il s'agit donc actuellement d'une coquille vide, sans réelle incidence sur la vie politique tunisienne.
Le CPR a lui aussi été mis en difficulté puisque la plupart des militants progressistes, notamment les opposants proche de la blogosphère de gauche ont quitté le parti. Ne reste désormais que la branche la plus complaisante vis à vis des islamistes.
Largement disqualifiée ces deux partis ne jouent plus un rôle de premier plan dans la vie politique tunisienne.