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Billet de blog 9 novembre 2012

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Les salariés de Turkish Airlines en grève depuis 4 mois

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est en descendant du bus qui m’amenait à l’aéroport que j’ai brusquement été tiré de ma rêverie par un joyeux bordel à l’entrée des départs internationaux. Un groupe de gens, des drapeaux syndicaux et une sono crachant « Guzel Gunler Goreceyız Cocuklar »,  un des plus beaux chants révolutionnaire de Turquie (« nos enfants verront des jours heureux » pour ceux qui ne parlent pas turcs couramment….). Je venais à ce moment chercher des informations pour un vol en provenance de Marseille, pour le compte d’un ami qui ne parvenait pas à savoir si on pouvait garder sa guitare en cabine et qui tenait à garder avec lui son précieux sésame. J’étais plutôt agacé par cette mission qu’il m’avait confiée viaSkype la veille et que j’avais dû accepter au vu de son insistance. Je comptais prendre l’info et repartir en un temps record. Cependant ayant toujours envie de connaitre des histoires de grèves et de lutte et adorant les chansons d’Edıp Akbayran, je me suis approché et j’ai demandé dans un turc hésitant, les raisons de ma mobilisation. Mon interlocutrice me répondit alors qu’une partie du personnel était en grève depuis 4 mois, pour protester contre un projet du gouvernement turc. Elle me félicita ensuite pour mon turc et me demanda d’où je venais. Je lui répondis que j’étais français, elle arbora alors un grand sourire, me dit qu’elle était hôtesse de l’air et qu’elle parlait français. Elle me proposa alors un thé, préalable turc à toute conversation.

Pour revenir sur les raisons de cette grève revenons quelques mois en arrière. En mai dernier le parlement turc, dominée par le parti libéral conservateur AKP décide de restreindre le droit de grève dans le secteur aéronautique. Il s’agit d’introduire un service minimum et d’interdire l’annulation de vol sur les lignes internationales, jugées stratégiques. Pour le législateur, il faut tout faire pour éviter de freiner le développement de la compagnie nationale turque, une des plus dynamiques d’Europe, avec 97 millions de personnes transportées chaque année.

Directement dans le collimateur de cette loi, le syndicat « Turkish Avacilik Sedikasi » en conflit latent avec la direction depuis plusieurs années déjà. C’est ce que m’explique Ayse, mon interlocutrice, membre de l’organisation: « Le directeur exerce des pressions pour en finir avec un syndicat organisé qui exerce un contre pourvoir face aux tentatives répétées de la direction de remettre en cause nos acquis sociaux et nos droits. Ne parvenant pas à arriver à ces fins, il a directement été chercher l’aide du gouvernement »

Face à cette décision le syndicat appelle à une journée de grève générale le 30 mai 2012 qui sera suivi par 1200 des 17000 salariés de l’aéroport. La réaction de la direction est immédiate.  Souhaitant étouffer dans l’œuf toute forme de contestation active au passage de la loi, elle licencie 305 personnes parmi les grévistes, principalement des femmes, des jeunes et des membres du syndicat. Et pire, c’est par un simple SMS sur leur téléphone portable, que leur licenciements leur est annoncé. Ayse m’explique : « Nous tenions les piquets de grève devant l’aéroport lorsque nous avons reçu un message de Turkish Airlines. Une seule phrase, votre contrat de travail a été annulé ». La démarche de l’entreprise est calculée sur mesure. « Elle ne pouvait pas licencier les 1700 grévistes car cela aurait entravé la bonne marche de l’entreprise et cela aurait plus provoqué un mouvement de protestation de masse. Alors elle a tiré au hasard parmi les contestataires, en s’en prenant en priorité aux éléments les plus perturbateurs ou les plus vulnérables. En faisant ainsi elle adresse un avertissement très clair au reste du personnel ».

C’est un combat de 4 mois que mènent les membres du personnel licencié pour leurs réintégrations. En occupant l’entrée principale de l’aéroport international ils tentent de faire connaitre leur situation aux touristes de passage et aux Turcs, espérant ainsi un soutien massif de la population. « On invite les gens à boire un thé ou à partager un repas, on discute, on joue un peu de musique et on leur explique notre situation ». Ayse m’explique d’ailleurs que toute leur stratégie repose sur la conquête de l’opinion publique turque car « dans un pays où la justice est à l’ordre du pouvoir il n’y a rien à attendre des tribunaux. Ils appliqueront la décision que l’AKP leur dictera, même si ça n’a aucune base juridique. Notre seule solution est de faire connaitre notre cas de manière à provoquer une indignation dans l’opinion publique suffisante pour forcer l’AKP à reculer ».

Cependant, même si la loi est unanimement impopulaire au sein du personnel, le mouvement de grève peine à prendre dans le reste du personnel. « La peur de se retrouver au chômage, avec enfants et crédit du mariage à rembourser les dissuade de se mobiliser même si ils sont pour la plupart indignés par notre situation ».

La mobilisation n’a cependant pas accès aux principaux organes de presse pour faire entendre sa voix. « Au mieux, ils nous ignorent, au pire ils nous calomnient en nous faisant passer pour des privilégiés, en décrivant une réalité complètement déconnectée de nos conditions de travail. On cherche ainsi à dresser les salariées les uns contre les autres ». À l’exception de quelques journaux de la gauche radicale comme BirGun ou Sol, les journaux républicains ont magnifiquement ignoré le dossier TurkishAirlines. Pour Ayse cette situation est due à la purge effectué dans les rédactions turques depuis quelque années « La plupart ont été épurées des éléments capables de provoquer la polémique et depuis ils s’autocensurent, afin de pouvoir continuer à exister. C’est d’ailleurs la meilleure situation pour le pouvoir, car tant que les journaux d’opposition existent, elle peut récuser l’accusation d’autoritarisme. Dans le même temps, elle les rend inoffensifs en exerçant sur eux une pression constante ».

Le récit que fait Ayse de ses condition de travail semble bien loin du statut privilegié décrit par la presse associé au pouvoir: « Il nous est impossible d’avoir un rythme de vie stable car nos vols ne sont jamais aux mêmes heures. Nous devons souvent dormir dans des villes différentes et supporter les changements climatiques. De plus, nous sommes soumis à des radiations dans les avions et la plupart de nos jeunes retraités souffrent de cancers ».

Le procès lui n’aura lieu que dans un an. Plutôt que de rentrer dans un affrontement direct la direction a choisit de nous laisser occuper l’espace public. Elle fait le pari que la mobilisation sera retombée lorsque la décision du tribunal sortira. En attendant « pas d’indemnité, pas de salaire, rien.. » conclu tristement Ayse.

Le président du syndicat Atilay Ayain déclare, « nous continuerons la mobilisation jusqu’à la réintégration totale de tous les salariés licenciés. Car si nous échouons cela signifiera à la direction que la porte est ouverte à la remise en cause totale de tous nos acquis ». Au sein du personnel cependant les avis sont plus partagés : «Ils n’accepteront jamais une telle défaite. Au mieux ils nous donnerons notre argent et ils nous laisserons partir ».

Pour Atilay, la loi d’exception dans l’aéronautique est le préalable à une vaste opération de démantèlement de la puissance syndicale en Turquie. « Après s’en être pris aux journalistes et aux étudiants, c’est  les syndicats autonomes que l’APK attaque. On peut considérer que la loi sur le service minimum dans l’aéronautique était un coup d’essai, une sorte de brouillon à généraliser s’il fonctionne ». Ainsi le gouvernement étudie à l’heure qu’il est une loi permettant « d’interdire toute activité syndicale pour les organisations ne réunissant pas au moins 10% du personnel ». Cette loi concernerait environ 30% des organisations, principalement dans les secteurs ou les syndicats sont les moins bien organisés, ou les salariés sont les plus vulnérables

Cette loi s’inscrit dans un contexte général de remise en cause des droits en Turquie. Outre la remise au pas des principaux journaux du pays rappelons que 600 étudiants sont emprisonnés en Turquie pour délit d’opinion ainsi qu’une vingtaine de députés, de maires et un nombre incalculable de militants de la cause kurde.

Le ministre français des affaires étrangères, Mr Laurent Fabius, à encore dernièrement appelé à ouvrir une nouvelle page de l’amitié franco turque, tout en soulignant le caractère exceptionnel de l’actuelle croissance turque. Nul doute que dans un contexte international tendu, l’UE et les USA tiennent à ménager leur précieux allié au Moyen Orient. On aurait cependant aimé que la France des lumières soit un peu plus sévère à l’égard de ce simulacre de démocratie.

René Arrighi

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