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Billet de blog 2 octobre 2022

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Lettre ouverte à Pap Ndiaye

J’ai décidé de vous écrire afin de vous mettre au courant de nombreux dysfonctionnements du ministère que vous dirigez. Ma lettre est loin d’être exhaustive.

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Paris, le 13 septembre 2022

Monsieur,

Je m’appelle Sarah Hatem. Entre septembre 2020 et août 2022 j’ai été suppléante de mathématiques à temps plein à l’Institut de La tour dans le 16e arrondissement de Paris en 6e, 5e, 3e et 2nde.  Et depuis la rentrée de septembre 2022, je suis stagiaire, lauréate de Cafep toujours dans le même établissement. En réalité, je suis auteure-réalisatrice, dramaturge et comédienne, et ce sont des questions financières qui m’ont emmenée vers cette voie-là il y a deux ans – voie que j’envisage comme transitoire. C’est mon passage par les classes préparatoires scientifiques et par l’École Centrale Paris qui m’ont permis de décrocher ces suppléances.

J’ai décidé de vous écrire afin de vous mettre au courant de nombreux dysfonctionnements du ministère que vous dirigez. Ma lettre est loin d’être exhaustive.

Nous sommes le 13 septembre, les cours ont démarré, et je ne sais toujours pas combien je vais être payée en tant que stagiaire : plus ou moins que l’année dernière ? Il paraît que les suppléants sont mieux payés que les stagiaires. Donc une fois le concours en poche, je pourrais régresser financièrement ? Déjà que ce n’était pas glorieux. Vous vous imaginez bien qu’avec 1500 euros et des brouettes, on ne va pas très loin à Paris. Allez-vous tenir compte de mes deux années d’ancienneté pour re-calculer mon salaire ? D’ailleurs, que vaut mon salaire ? Chaque mois a son chiffre. Je sais à peu près combien je gagne, mais je ne sais pas exactement combien je gagne.
Vos fiches de paie sont incompréhensibles.Sibyllines. C’est pour pouvoir plus facilement  nous embobiner ? Par ailleurs, vais-je être payée à temps en septembre. Je veux dire à la fin du mois, comme n’importe quel salarié ? Car vous êtes au courant que lorsqu’on est suppléant ou stagiaire, le premier salaire n’est pas versé intégralement, on nous verse notre dû restant ultérieurement. Pourquoi est-ce à moi de faire une avance à mon employeur ? Je n’ai personnellement pas les moyens de le faire.

En outre, je mets des mois avant de réaliser qu’il figure des erreurs dans mes fiches de paie tellement celles-ci sont obscures. Et évidemment, une fois l’erreur détectée, il faut patienter des mois avant d’être remboursé (j’attends encore le remboursement des frais de transport de mai et juin, rien pour vous, beaucoup pour moi).

À titre d’exemple, en mai, j’ai été payée 53,39 euros. Une erreur de mon employeur. Une erreur assez fréquente à écouter les bruits de couloir. Je n’ai pas de compagnon pour m’aider. Je n’ai pas d’économies. Ni de rente. Dites-moi, on fait comment dans ce cas ? Je me dois de travailler gracieusement en raison de la noblesse du métier ? Heureusement que ma propriétaire peut se permettre des retards de paiement. Heureusement que l’école privée - sous contrat avec l’État - où je travaille peut se permettre de me faire une avance. Mais comment font ceux qui n’ont pas toutes ces bouées de secours ? L’Éducation Nationale m’a remboursée ce qu’elle me devait avec deux mois de retard. Il paraît que ça peut aller jusqu’à neuf mois. C’est si compliqué de verser les maigres salaires de ces officiers EXPLOITÉS ?

En parlant d’exploitation. Inutile de vous rappeler les chiffres. Aucune augmentation depuis combien de décennies déjà ? Trois ? Mais l’inflation, elle, a le droit au galop. Les hommes politiques ont profité depuis des décennies de la conscience professionnelle remarquable de tous ces professeurs dévoués à leurs élèves. Que se passerait-il dites-moi si nous décidions de tous nous mettre en grève. Allez, on bloque les écoles pendant des mois jusqu’à ce que nos voix soient respectées. On a bien vu les lacunes catastrophiques générées par les deux mois de confinement chez les élèves. Et si nous décidions de ne plus travailler tant que nos salaires ne seront pas DIGNEMENT valorisés ? Et si nous arrêtions de penser aux élèves et que nous commencions à penser à nous ?

 Un professeur ça travaille, contrairement à ce que l’on nous assène. C’est minimum 40 heures de travail par semaine. Ce sont des dimanches passés à préparer les cours. Ce sont des vacances passées à corriger des copies (pauvres professeurs de philosophie et de lettres, je m’estime heureuse avec mes copies de mathématiques). Et tout ça pour combien ? La modique somme de 1500 euros et quelques poussières en début de carrière ?!! Vous vous demandez honnêtement, en toute conscience pourquoi le métier n’attire plus ? Pourquoi vous avez du mal à recruter ? La réponse n’est pourtant pas difficile à trouver. Pas très difficile de faire les calculs. Combien de personnes brillantes, qui ont la vocation, ont laissé tomber cette voie en raison de la VILE question du salaire ? Personnellement, si j’avais des enfants aujourd’hui, je serai très très inquiète. Car avec ces cacahuètes, vous vous imaginez bien que l’on n’attire pas que les plus brillants. Peut-être même que l’on attire de moins en moins de personnes brillantes. La question est de savoir qui l’on recrute exactement avec ces salaires. En d’autres termes : quel est le niveau des professeurs ?

 Un autre point : pourquoi les anciens suppléants n’ont pas le droit à la prime d’installation l’année de leur titularisation comme tout lauréat du concours ? Pourquoi cette injustice ? Encore un moyen de faire des économies sur le dos de ces braves gens qui ne lèveront pas la voix ?

 La correction du brevet payée – peut-on décemment utiliser ce mot – 21,10 euros pour environ 4 h de travail, somme qui nécessite pour être remboursé d’ouvrir un compte sur une plateforme ubuesque dont personne, je dis bien personne, ne comprend le fonctionnement du premier coup – ladite plateforme qui nécessite donc quelques jours pour être maîtrisée. Pour rappel : je n’ai pas le luxe d’être bénévole. Je veux bien corriger des copies, mais la dignité, ça existe.

 Je ne m’attarderai pas sur les indemnités dérisoires du professeur principal : des cacahuètes pour des heures infinies passées à faire le lien en les parents, les élèves et la direction. Je ne m’attarderai pas non plus sur l’ineptie qui consiste à payer les professeurs du collège et du lycée de la même manière sachant qu’il est incontestablement admis qu’un professeur du lycée travaille bien plus qu’un professeur du collège.

 Enfin, j’aimerais terminer cette lettre avec la question du choix du privé/public. Pourquoi ai-je atterri dans le privé alors que mon cœur bat pour le public ? Eh bien tout simplement parce que lorsque je recherchais en juillet 2020 du travail en urgence, j’ai envoyé mon CV dans le privé et dans le public. Je n’ai jamais eu de réponse de la part du public, alors que j’ai été recrutée en deux jours par le privé. Et comme j’avais urgemment besoin de travailler, la décision a vite été prise. Par ailleurs, pourquoi est-ce qu’au bout de deux années de suppléances j’ai passé le concours dans le privé et non dans le public ? Eh bien parce que dans le public, on ne choisit pas sa ville d’affectation. Personnellement, il n’est pas question pour moi de faire à 41 ans 1h30 de trajet le matin et 1h30 le soir. Je ne veux pas faire plus d’1h de trajet par jour. Je suis artiste. J’ai besoin de temps pour créer. Et je tiens à vous dire que nombreux sont les professeurs qui vont dans le privé non par conviction, mais simplement pour ces raisons-là, pour pouvoir choisir la ville de leur affectation.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire. Mais je vais m’arrêter là.

Je vous souhaite une bonne rentrée et beaucoup de courage pour secouer notre mammouth.

Cordialement,

Sarah Hatem

PS : Je vous ai écrit et envoyé cette lettre autour du 13 septembre. Nous sommes aujourd’hui le 2 octobre, et je n’ai toujours pas été rémunérée pour le mois de septembre.

https://www.unifrance.org/annuaires/personne/384136/sarahhatem?a=0.3651978013435291&a=0.11262289394538638

https://www.theatre-contemporain.net/textes/Babillages-Sarah-Hatem/

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