Depuis les révélations du journal Le Monde, mercredi dernier, l’affaire Benalla a pris des proportions de crise politique. L’opposition de droite en a fait le scandale du quinquennat Macron.
De quoi s’agit-il ?
Sur une vidéo posté par le journal lemonde.fr, on voit deux gorilles frapper et malmener un homme et une femme.
La presse nous livre leurs identités : Alexandre Benalla, collaborateur de Macron ; et Vincent Crase, employé de LREM.
Les images sont choquantes par les scènes de violences à l’encontre de deux manifestants.
Pourtant, elles sont vite occultées par un autre débat : port illégal d’insignes.
En effet, les commentaires politiques vont crescendo s’intéresser à la panoplie des deux barbouzes plutôt qu’aux coups et blessures infligés à leurs deux malheureuses victimes.
L’un est coiffé d’un casque de CRS qu’il ne devait, soit disant, pas porter ; et l’autre possède un look un peu trop ressemblant aux policiers de la BAC.
Pour entraîner l’opinion vers ce leurre médiatique, on commence par une question, puis on enchaîne avec des révélations qui se veulent fracassantes.
– Qui est Alexandre Benalla ?
– Le coupable serrait logé par l’Elysée au Quai Branly.
– Il aurait détenu une arme avant même que la préfecture de police de Paris ne lui en délivre l’autorisation.
Autant de sous-entendus habiles suggérant une immunité présidentielle dont jouirait le barbouze auprès de Macron.
Il est vrai que ce dernier a une propension à incarner une certaine forme de monarchie républicaine. Elle ne fait que confirmer cette réflexion livrée en 2015 :
« La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude. Il y a dans son fonctionnement un absent. Cet absent est la figure du roi dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. » (Emmanuel Macron).
Voilà un éclairage qui permet d’enfoncer une porte ouverte. Mais alors dans quel but ?
Est-ce pour dédouaner les CRS qui n’ont pas lever le petit doigt, ou plutôt la matraque contre un collègue venu leur prêter main forte ?
Car au final, ce qui relève du scandale, aux yeux des médias officiels, n’est pas la violence en elle-même, mais le fait qu’elle soit commise par une personne non autorisée à la pratiquer.
Pour les commentateurs d’une presse aux ordres, l’honneur de la police vaut bien une digression afin d’éloigner l’opinion du sujet principal. Et il faut admettre que l’image (très accessoire) de notre monarque républicain leur facilite bien la tâche.
L’enjeu est de taille : il s’agit de redoré le blason d’une police, déjà bien malmenée dans l’opinion populaire par les affaires de violences policières restées systématiquement impunies, comme celle d’Ali Ziri, un retraité mort entre les mains de la police nationale en juin 2009. Pour ce fait, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Il y a malheureusement de nombreuses autres affaires de violences policières, notamment celle d’Adama Traoré, pour laquelle une grande marche est prévue ce samedi 21 juillet.
Les syndicats de police ne s’y sont pas trompés, c’est pourquoi ils considèrent Alexandre Benalla comme l’un des leurs, tout en y apportant leur nuance de flics :
Selon David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), « On ne peut ‟reprocher une usurpation d’identité”, à Alexandre Benalla, mais plutôt ‟un abus de pouvoir, un abus de position dominante, une préemption sur un service d’ordre dans lequel il n’a rien à faire”. » (francetvinfo.fr).
Alexandre Benalla n’était donc pas habilité à frapper ses deux victimes, c’était le rôle de ses collègues policiers et CRS. Voilà qui a le mérite d’être clair, mais aussi celui d’être inquiétant pour les citoyens lambda que nous sommes.
Car entre-temps, le mercenaire de l’Élysée a obtenu son autorisation de port d’armes. Il pourra donc tirer sans être accusé « d’abus de pouvoir ». En somme, un permis de tuer en bonne et due forme ; cadeau qu’avaient déjà obtenu ses collègues policiers (et concurrents) en mars 2017, de la part du ministre socialiste Bernard Cazeneuve.
Avis aux musulmans, aux Noirs, aux zadistes, aux lycéens, aux cheminots et autres manifestants qui voudront contester dans la rue les injustices et les décisions du gouvernement.
Le deuxième barbouze Vincent Crase, est un personnage non moins douteux. À l’instar de son sulfureux collègue « ce gendarme réserviste ne dispose pas d’un permis de port d’armes. Or, sur les vidéos du défilé du 1er Mai, apparaît clairement un holster d’arme de poing à sa ceinture. » (libération.fr).
Avec son compère Benalla, ils forment ensemble une équipe de choc, un duo de Pieds nickelés avec l’humour en moins.
Pourtant, la vidéo révèle une information bien plus préoccupante.
Jean-Luc Mélenchon, le chef de file des députés insoumis, dénonce dans l’hémicycle de l’assemblée nationale un troisième homme, au profil plus inquiétant encore.
« J’ai reconnu formellement, déclare l’Insoumis, l’homme qui m’a donné l’ordre de me retirer, ainsi que mes camarades parlementaires, à l’occasion de cette manifestation, marche silencieuse [à la mémoire de Mireille Knoll, en mars 2018] au cours de laquelle, nous avons été agressés par la ‟Ligue de Défense Juive” dans des conditions assez insupportables pour que le président de l’assemblée s’en soit ému. »
Selon francesoir.fr, il s’agirait d’un certain Philippe Mizerski, fonctionnaire de police, et surtout le mentor attitré d’Alexandre Benalla.
Signalons que la LDJ est interdite en Israël et aux États-Unis où elle est classée comme organisation terroriste.
Nous avons dans le passé des exemples similaires. Les historiens ne savent que trop comment se sont comportés les miliciens de Vichy envers Jean Moulin, résistant et compagnon du Général de Gaulle, qui fut par ailleurs haut fonctionnaire (préfet d’Eure-et-Loire). Livré à la Gestapo, il est torturé et décède durant son transfert en Allemagne.
Soixante-quinze ans après, Mélenchon et ses camarades ont fait les frais d’un même comportement de la part d’une milice fasciste, la LDJ, et d’un policier plus proche du prédateur que du gardien de la paix. Ces gens-là ne respectent ni les représentants de l’État, et encore moins ceux de la nation.
Il y a là une dérive fascisante de notre société, et le phénomène n’est pas limité à la seule planète Macron car, encore une fois, il s’agit moins de violences que du choix de l’autorité qui doit l’exercer comme un droit de cuissage.
D’ailleurs, la droite, pour ne pas être en reste, s’empresse hypocritement de dénoncer ce qu’elle semble considérer comme une concurrence déloyale faite à la police par un groupuscule non-officiel : « La justice doit se saisir de toute urgence de cette affaire qui abîme l’État de droit. » twitte le député LR, Éric Ciotti (lemonde.fr)
Benoit Hamon, chef de file de Génération, n’exprime pas autre chose en se disant « inquiet pour la démocratie et le climat d’impunité que cette affaire révèle. » (lemonde.fr)
Un climat d’impunité envers qui ?
Les deux barbouzes sont déjà en garde-à-vue et leurs carrières de policiers officiels semblent déjà compromises. Ils resteront des hommes de l’ombre, à défaut de se retrouver à l’ombre.
Et même s’ils risquent de n’être que de simples fusibles, personne ne s’en plaindra.
La vraie question est de savoir de quelle image parle-t-on ?
Celle de la matraque privée ou celle de la matraque d’État ?