Le procès de Tariq Ramadan n’a pas encore lieu qu’il présente déjà les caractéristiques d’un procès à charge. Dès les débuts de cette affaire, la controverse judiciaire, qui se profile à l’horizon, commence à s’exprimer à travers la fragilité du témoignage des plaignantes.
Mais, au-delà de la personnalité de l’homme, il y a le symbole. Celui d’avoir promu l’idée simple que les citoyens français de confession musulmane peuvent concilier leur foi avec leur citoyenneté française.
Une démarche intellectuelle qui va à l’encontre du postulat assimilationniste incombant au descendants d’immigrés, Arabes ou Noirs, de rester à leur place. Une réalité qui maintient les citoyens issus des ex-colonies dans un statut d’infériorité distinctive, et qui est régulièrement révélée à travers les enquêtes autour du racisme, de l’exclusion et notamment des discriminations à l’embauche.
Il y a donc le symbole, mais surtout les réactions qu’il suscite chez les « khobzistes[1] » BCBG très prisés de la presse écrite et des plateaux de télévision.
Nous ne prendrons qu’un exemple, même s’il n’est pas le seul, hélas.
Aussitôt après la chute de Tariq Ramadan, Abdennour Bidar est l’un des premiers à sortir ses crocs.
Dans un article publié par le journal Le Monde en date du 14 novembre 2017 (il n’a pas perdu son temps), l’homme nous rabat les oreilles avec son contre-modèle face, dit-il, à un islam néo-conservateur, « pour une philosophie critique de l’islam » précise-t-il.
Le souci c’est que M. Bidar manque quelque peu de crédibilité. Dans ses écrits ou interventions médiatiques, il ne tient aucunement compte de la situation des musulmans, que ce soit en France ou dans le reste du monde. En aucun cas, il ne situe le contexte géopolitique, économique, culturel ou social du sujet de « son analyse ».
Sa critique a pour cible essentielle les populations laborieuses, notamment celle de France sur laquelle il déverse son arrogance de classe. Il veut réformer l’islam, autrement dit leur croyance et donc leur mentalité supposée. Cela présume que les musulmans, de par leurs actes résultant de leur pensée, sont responsables des maux de la planète, alors que c’est le système qu’il faudrait réformer, si tant est qu’il soit réformable.
Contrairement à Tariq Ramadan, dont il ne dit que du mal, jamais il ne s’est distingué par une critique en rapport avec la réalité que vivent au quotidien les peuples opprimés de la Terre.
Pas plus en France que dans le reste du monde, son analyse ne part des causes réelles auxquelles sont confrontés les musulmans, sinon de ses propres préjugés, pour ne pas dire son mépris des petites gens. Il s’attaque à la foi des opprimés mais pas à leurs oppresseurs, il s’en prend au seul fait religieux sans l’élargir au fait politique.
Il y a beaucoup de nations qui ne sont pas musulmanes et qui, pourtant, vivent dans la misère et la dictature. L’idée ne semble pas lui effleurer l’esprit que les rapports de force entre le Nord et le Sud sont tels que les puissances économiques, qui ont à leur service les gouvernements occidentaux, pillent et saignent à blanc, en les vidant de leurs ressources, les pays dits du Tiers-Monde dont les dirigeants (la plupart corrompus par ce même Occident) sont incapables de rivaliser avec leurs anciens maîtres colonialistes.
L’idée ne lui viendrait pas à l’esprit que le drame que vivent les Palestiniens sous l’occupation sioniste et qui, chaque jours, voient arriver des nouveaux colons d’Amérique et d’Europe pour les chasser de leurs maisons, de leurs champs d’oliviers ou de leurs quartier, pourrait bien être la source principale des explosions de violences qui secoue cette partie du monde ; et non leur croyance.
Revenons en France. De quelle planète vient-il pour ignorer l’abandon des banlieues par les pouvoirs publics et les violences policières qui frappent les jeunes qui y vivent ou parfois survivent ?
Aujourd’hui, il a beau jeu de se pencher sur la dépouille de Tariq Ramadan, comme la hyène sur l’animal blessé.
Tariq aussi, en son temps, avait proposé ce qu’il appelle « La réforme radicale : éthique et libération ». Un appel à l’Ijtihad, un effort de réflexion qui tienne compte de la réalité géographique, sociale, économique, politique,… autant de situations différentes dans lesquelles vivent les musulmans. Un islam du contexte et non du texte.
La différence entre M. Bidar et sa victime est pourtant fondamentale.
Tariq Ramadan intègre, justement, dans son analyse, les dimensions sociales, politiques et culturelles d’un possible projet de société pour les musulmans vivant dans une société non-musulmane. Dans sa critique de l’islam, ou plutôt de ses dérives, il n’a pas l’indignation sélective.
À l’instar d’autres humanistes, il était de tous les combats, présent dans les cités (quand on l’y autorisait) et signataire de nombreux appels pour la défense des causes justes concernant les faibles et les opprimés. Bref, loin des honneurs et des bureaux feutrés, il était sur le terrain auprès de ceux qui souffrent.
À l’opposé, Abdennour Bidar, lui, a pour amis ou partenaires d’écriture des islamophobes notoires tels que Caroline Fourest. À l’image de cette dernière, il est si malhonnête intellectuellement et si méprisables dans ses propos que cela a fini par faire réagir le philosophe Pierre Tevanian qui n’a pas hésité à le traiter de : « marchand de fascisme à visage spirituel ».
L’essayiste, qui a fait une analyse pointue du phénomène raciste, sait de quoi il parle. Un de ses traités a pour titre « La haine de la religion : Comment l’athéisme est devenu l’opium du peuple de gauche ». On pense aussitôt à Valls, Malek Boutih et consorts dont beaucoup, à n’en pas douter, sont des proches du CRIF… et de Bidar.
Soulignons également que Pierre Tevanian, étant aussi militant associatif, appréhende avec plus de science, que M. Bidar, la réalité du terrain concernant la France d’en bas. C’est peut-être ce qui l’a fait sortir de ses gonds. En tout cas, il faut reconnaître que cette formule va comme un gant à M. Bidar, car effectivement, ce mercenaire de la plume semble condamné à rester sur le fait religieux – à ne pas se dévoiler – car s’aventurer sur le terrain d’une critique politique du système (même la plus minime) le mettrait en porte-à-faux avec ses amis islamophobes, qu’ils soient du CRIF, du PS, de la droite ou de l'extrême droite.
Dans le panthéon des intellectuels faussaires, il aurait certainement sa place entre Alain Finkielkraut, Mohamed Sifaoui ou encore BHL.
[1]. De « khobz » : pain en arabe. Celui qui attache au pain – et à la main qui le nourrit – plus d’importance qu’à sa propre dignité. L’équivalent de « Oncle Tom » chez les Noirs américains, mais avec cette dimension d’opportunisme assumé.