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Billet de blog 1 octobre 2014

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LE SACRIFICE DE SOUAAD

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        LE SACRIFICE DE SOUAAD

            Nous sommes  le 13 Octobre 2005 et je suis en Algérie. J’ai décidé d’y passer quelques jours afin de comprendre la fin tragique de ma cousine Souaad.

Souaad a « décidé » de quitter ce monde en Avril 2005. Elle était âgée de 27 ans et attendait un enfant.

            Mon oncle et ma tante ont eu 8 enfants (5 filles et 3 garçons), Souaad est la dernière. Je l’ai rencontrée  pour la première fois lors d’un séjour touristique en juillet 1992. Elle est alors âgée de 15ans. C’est une adolescente joyeuse et pleine de vie. Sa famille la considère comme « à part ». Ils disent d’elle qu’elle est d’une grande sensibilité « Hnina », ce qui pourrait se traduire par « douce et naïve ».

            Mon oncle est un vieux Taleb (guérisseur traditionnel)  âgé aujourd’hui de 78ans et ma tante une douce et sensible dame de 70ans. Dans le « Clan » familial, mon oncle est un véritable Patriarche. Son statut de « Taleb » lui confère respect et autorité des membres de sa famille mais aussi des personnes qui viennent le consulter. Il ne délègue à ses fils que « les petites affaires courantes »…

            En 1992, il ne reste que 2 filles dans le domaine familial, Nadia (18 ans ) et Souaad. Les autres filles étant toutes mariées. Les garçons quant à eux sont aussi mariés, mais ils habitent avec leurs épouses chez leurs parents comme la coutume l’exige afin d’assurer la lignée du Clan.

            La décennie 90s a fait vivre à l’Algérie les pires moments de son histoire depuis l’accession à son indépendance ( 1962 ). Les Evènements de 90  étaient une sorte de guerre civile sans nom. Cette « guerre » a fait plusieurs dizaines de milliers  de victimes.

            La famille de Souaad n’a pas échappée à ce drame de l’histoire de ce pays.

 Ses deux grands frères seront tués en 1994, provoquant un énorme choc dans cette famille. Souaad vouait une véritable admiration à ses frères…elle ne s’en remettra pas. Les corps n’ont jamais été retrouvés et  la famille n’a  pas pu faire le deuil de cette perte.

            L’avenir du Clan reposait essentiellement sur « les fils ». Ils laissèrent à la charge de leurs vieux parents plus de 10 enfants en bas âge.

            Nadia se marie quelques mois après la disparition de ses frères. Les moyens de subsistance du Clan sont alors considérablement diminués  par la perte des deux frères, mais aussi par le climat de guerre civile. Pour sa part, Souaad refuse de quitter sa famille dans le souci d’assurer la prise en charge de tous ses petits neveux et nièces.

            Après la disparition de ses deux frères, Souaad ne sera plus jamais la même. Ses sourires joyeux ont disparus, emportant avec eux sa période d’insouciance. Elle est devenue une jeune femme triste qui rumine quotidiennement le « Pourquoi » de la mort de ses frères :  « Je n’arrête pas d’y penser.. » me disait-elle lors de l’une de nos rencontres en 2004. Souaad a dit à sa famille que le seul but dans sa vie était maintenant de les protéger tous. Elle s’en était fait une promesse : « UN DEVOIR DE LOYAUTE ».

            En 2002, l’Algérie vit la fin de son cauchemar…mais hélas, il reste encore à cette période des endroits insécurisés. Un deuxième évènement dramatique viendra réveiller le traumatisme du Clan de Souaad ; Un groupe de terroristes  investit la maison familiale dans le seul but d’éliminer, purement et simplement, tous ses habitants. La Famille se réfugie dans la seule pièce de l’étage. Une simple porte en bois les sépare de la barbarie humaine. Les terroristes essaient en vain de défoncer cette porte. Les menaces pleuvent comme autant de coups portés aux Âmes déjà meurtries. Les enfants sont en pleurs, les femmes hurlent et prient Dieu de les sauver. Seul mon vieil oncle reste calme et se poste devant sa famille muni d’un bâton. Souaad, elle, enveloppe de ses bras, les plus petits.

            « Dans ces moments là, me disait-elle, chacun de nous ne pensait qu’à sauver sa propre vie ». Des bruits de coups de feu se sont alors fait entendre dans la petite pièce…c’est alors que la famille comprend que l’armée est venue les sauver. Tout le monde voulait sortir de cette pièce…Les militaires investissent la maison…

Dans l’état de confusion général, un militaire s’apprête à faire feu sur l’un des neveux de Souaad âgé alors de 17 ans, pensant avoir à faire à un terroriste. Souaad comprend tout de suite  la situation et dans un réflexe de survie, s’interpose entre son neveu et le militaire, faisant face à l’arme ! Ce jour là, Souaad a sauvé son neveu d’une mort certaine.

Personne de la Famille ne fut blessé, mais les images de cadavres  des terroristes ainsi que de l’assaut des militaires restèrent gravés à jamais dans leurs mémoires.

            En 2003 l’Etat Algérien proposa aux derniers groupes terroristes de déposer les armes et de se rendre, en échange d’une certaine clémence. Cette proposition fut appelée « Loi de Concorde Civile ». Le but étant de ramener définitivement la paix dans le pays. Le pays fut pacifié.

            Le Clan de Souaad  retrouve un semblant de vie normale. Intérieurement, il est détruit et traumatisé à jamais.

            Souaad décide de se marier en 2003 avec l’un de ses cousins. Par ce choix, elle ne sortira jamais vraiment de la Famille ( …).

Lors de « Mon Voyage en Algérie » en 2004, Souaad est venue à ma rencontre, seule.

Cette démarche était pour le moins « hors norme » pour une femme mariée dans un pays à forte tradition musulmane. Elle est habillée très soigneusement, elle retire  même  son Hijab (voile) devant moi et me salue en me portant l’accolade. Elle est très amaigrie…Souaad exprime sa profonde émotion de me revoir après toutes ces années…Nous  restons en tête à tête plus d’une heure. Elle ne cesse de me parler de ce qu’elle a vécu…je l’écoute les larmes aux yeux…

            Avant de nous séparer, je lui fait part de mon inquiétude devant son état d’amaigrissement,  Souaad ne s’alimentait plus beaucoup  : «  Je n’ai plus de goût à rien.. » me dit-elle. Cette phrase me toucha tout particulièrement. Me vint alors en tête l’image du « syndrome de Glissement », généralement visible chez certaines personnes âgées. Cette véritable désorganisation foudroyante, tant psychique que somatique, mue par une pulsion de destruction,  achemine la personne, qui ne veut plus vivre, vers la mort en quelques semaines.

            Dans un réflexe que je ne m’explique toujours pas aujourd’hui, je lui dit alors : « Ne t’inquiète pas Fille de Mon Oncle, je reviendrai te soigner ici. ». Souaad me répondit par un large sourire et me dit « Inchallah ». Il était évident pour moi qu’elle devait bénéficier d’une prise en charge psychothérapeutique afin de pouvoir « déposer son lourd fardeau »…

Souaad désirait un enfant. Elle tombe enceinte en Décembre 2004 dans un état physique préoccupant. Une lutte entre deux instances faisait rage à l’intérieur de cette femme ; Qui avait-il de plus  symbolique pour Souaad que de prouver son envie de vivre à travers le désir d’avoir un enfant.  Elle vivait deux mouvements intérieurs ; L’un était celui de continuer à vivre à travers son projet de mettre au monde un enfant. L’autre était une force inconsciente de se délivrer de son Devoir de Loyauté, caractérisé par le refus de  continuer à vivre ( avait-elle encore la force et l’énergie de protéger « sa nouvelle famille » sans craindre de la perdre elle aussi un jour ).

            Son mari me racontait  que Souaad n’avait plus confiance en la vie. Elle s’inquiétait souvent de l’avenir de ses proches et du sien. Tout se passait comme si elle s’était positionnée  dans son Devoir de Loyauté envers ses frères comme « la protectrice du Clan familial ».

            Au fil des jours, la vie de Souaad s’écoule …Elle m’aigrit de plus en plus… passant de centre hospitalier en centre hospitalier…les médecins ne se focalisant que sur son aspect somatique…

            Sa maman me raconte que Souaad disait à tous ses visiteurs que « son cousin de France » viendrait la soigner comme il le lui avait promis. ( larmes..)

Il serait déplacé de ma part de penser que ces appels  m’étaient complètement destinés. Je pense que je symbolisais pour ma cousine Souaad « une autre époque »…, une époque où tout allait pour le mieux et où ses frères étaient encore de ce monde.

            Pendant tout le temps que dura l’agonie de Souaad, tout le Clan lui rendit hommage et allait lui rendre visite tous les jours. Elle exprima son profond Amour pour tous les siens et leur demandant pardon… Son mari fut pour sa part, d’une patience extraordinaire…

Souaad ferma les yeux pour toujours un jour d’Avril 2005, n’ayant même plus la force et l’énergie de protéger son propre enfant. Il lui survivra 1 heure dans son ventre .

            Son Mari m’a dit : «  J’ai pas compris…elle est morte alors que tout allait mieux…(pleurs), tout était arrangé.. ».

Justement !..Souaad ne « vivait » que par devoir de loyauté. Ce poids d’une lourdeur sans commune mesure, elle n’avait plus la force de le porter…et  c’est justement parce que  « tout allait mieux » qu’elle pouvait « enfin » partir « légère » ( c’est terrible…comment ne pas penser au poids que Souaad faisait à son décès…)

 A la mort de Souaad, son mari est allé habiter chez les parents de celle-ci.

 Devoir de Loyauté envers Souaad ?

« Quand au jour de ma mort on apportera mon corps,

Ne vas pas t’imaginer que je pleure sur le monde.

Ne t’afflige pas pour moi, ne dis pas : « Malheur, malheur ! »

Quand tu verras mon cadavre, ne t’écrie pas : « parti, parti! »

L’union et la rencontre seront miennes à présent.

Quand tu te confiras à la tombe, ne dis pas : «  Adieu, adieu »

Car la tombe est un voile cachant l’assemblée du paradis.

Après avoir vue la descente, contemple l’ascension.

Bien que la tombe te semble une prison, c’est la libération de l’Âme »

Jalabeddine Roumi.

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