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Billet de blog 14 décembre 2014

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l'homo économicus", initiée par le néo-libéralisme

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Ces mutations en l'homo économicus"sont rendus possible par des faits de civilisation qu'elles recomposent en retour, en créant de nouvelles sensibilités sociales et psychologique".

La question se pose alors de savoir ce que deviennent la parole et la réalité psychique ou même politique dans une société de "l'expertise généralisée", où les rapports humains ne sont conçus qu'en terme de productivité et où "tout est affaire de "neurones, d'hormones ou de stratégie logicomathématique" ?

La psychiatrie contemporaine porte la marque de ces changements. En effet, la psychopathologie, transformée en Santé Mentale, est de plus en plus orientée, non plus vers la guérison, mais vers le "contrôle social" et la "surveillance féroce des comportements."

Cette dite santé mentale présente en elle-même une contradiction fondamentale. D’un côté, elle sous-entend une normalité idéale qui rejoint la définition de la santé de l’O.M.S comme état de bien-être total. D’un autre côté, elle conçoit l'individu quel qu'il soit comme potentiellement porteur d'une anomalie, d'un trouble ou d'une dysfonction, générant ainsi, à l'intérieur même de la cité, une nouvelle figure de la peur de l'autre et du tout Autre. Le "DSM"constitue le support de cette orientation à travers laquelle s'effectue un déplacement du pathologique vers le normatif et ses dérives normalisantes.

Avec cette approche, surgit un rapport fragile à la frontière entre le dedans et le dehors, le familier et l'étranger, le privé et le public, le normal et ce qui ne l'est pas. Nous sommes loin de la conception de la psyché comme étant aussi le lieu du hors norme, de l'asocial. L'anormal est défini ici comme un défaut à corriger, à réadapter aux exigences de l'idéologie de l'époque imposées par le néolibéralisme.

Plus besoin de se référer à la folie, l'angoisse, la névrose, le délire. Plus besoin de considérer le symptôme à travers la valeur qu'il prend dans la parole du sujet. Il suffit de traquer le trouble du comportement repéré grâce à la profusion des nouveaux diagnostics. D'où l'obsession du dépistage et la médicalisation à outrance de l'existence ; une médicalisation aux formes nouvelles, recodée par le langage de la génétique et de la neurobiologie via les nouvelles technologies. Comment ce regard qui stigmatise peut-il prendre sens pour celui qui n'est plus considéré comme sujet de son mal être ou de sa souffrance mais qui est identifié d'une manière déconcertante à ce qui est supposé être son handicap ou son dysfonctionnement ?

La visée de la nouvelle santé Mentale est de transformer les professionnels du soin en "super coachs", capables de libérer le sujet le plus rapidement possible de l'étrangeté qui le divise, en lui faisant faire l'économie d'une élaboration psychique et en lui dictant des modes de conduites et de comportements pour être performant et non manquant. Ce rejet de ce qui fait énigme, c'est ce qui sous-tend tous les dispositifs sécuritaires, mettant en avant une prévention non plus " prévenante" mais prédictive, cherchant à débusquer l'étranger jusque dans le berceau.

Roland Gori et Marie-José Del Volgo partagent depuis leurs précédents ouvrages respectifs la même volonté, celle de célébrer chacun à sa façon et d’une certaine manière, l'hétérogène inscrit au coeur du sujet, du langage et des symptômes. Ils proposent un mode de dire qui consiste à instaurer de la coupure, du manque à être, là où les discours normalisants tentent de recomposer de la complétude. Dans "L'instant de dire" (1997) et "La douleur du malade" (2003), Marie-José Del Volgo apporte des éléments réflexifs importants afin de repenser le dispositif d'écoute "au sein de notre médecine technoscientifique". Cette approche s'inscrit dans le sillage de "La preuve par la parole “1996), livre qui, avec la "Logique des passions" (2002), et "La science aux risques de la psychanalyse” écrit avec Christian Hoffman (1999), fait partie d'un cheminement, à travers lequel l'une des préoccupations majeures de Roland Gori était d'abord la validité de la psychanalyse comme méthode et comme théorie. Son regard s'est ensuite orienté vers ce qu'il en est du sujet en proie au politique et vers les montages anthropologiques par lesquels transite ce qui lie le singulier et le collectif, la subjectivité et le fait culturel. C'est ce qui, à partir de là, a retenu toute son attention, depuis la "Santé totalitaire" (2005) en passant par "L'empire des coachs"(2006), jusqu'à son dernier livre écrit avec Marie-José Del Volgo (2008).

Ce qui reste cependant constant, ce qui traverse son oeuvre de bout en bout, c'est le rapport à la langue et à la parole. La parole située comme un acte singulier, dans son articulation aux institutions du langage ; institutions variables en fonction des cultures et des époques. C'est cette dimension qui lui permet de poser avec Marie-José Del Volgo un regard autre et novateur sur notre actualité. C'est en effet à travers le langage et ses institutions que peuvent se comprendre les transformations contemporaines et le nouveau rapport au savoir. Ce savoir, qui n'est pas réductible à la science, transite lui-même par une "novlangue" façonnée par l'impératif médico-économique et les discours normatifs actuels. En s'attachant uniquement à une dimension utilitaire et instrumentale, cette novlangue voudrait confisquer à l'autre sa subjectivité et nourrir l'illusion d'une adéquation entre le mot et la chose. Or la langue, quelles que soient ses codifications, ne peut faire lien social, si le sujet n’est pas en mesure de s'y impliquer singulièrement. C'est dans ce sens qu'il faut entendre la formule de Benveniste selon laquelle « la langue est ce qui tient ensemble les hommes » "(1954). L’approche de Roland Gori et Marie-José Del Volgo, éclaire d'une manière tout à fait pertinente cette crise qui secoue aujourd'hui, non seulement le "monde psy" et la fonction du soin, mais concerne tous les secteurs du savoir. Les auteurs nous montrent que la civilisation n'est autre qu'un effet de discours, et en cela, elle constitue un véritable baromètre. Nous ne pouvons que souscrire à cela. Car c'est en effet dans sa façon de gérer son rapport à la folie, à l'angoisse et au conflit, qu'une civilisation peut témoigner de son aptitude à construire et à créer. Or qu'en est-il actuellement des cadres conceptuels de notre époque, à travers lesquels émergent les nouveaux idéaux, la nouvelle conception du lien social, de la souffrance, de la maladie, de ses modes de traitement ? Ces montages nous disent les auteurs à juste titre reposent sur la non-reconnaissance du sujet. Ces derniers se distancient des conceptualisations selon lesquelles il y aurait dans notre post-modernité, l'émergence d'un "néo-sujet" ou encore une "éradication du sujet". 

Roland Gori et Marie-José Del Volgo nous montrent d'une manière fort instructive à quel point les nouvelles formes expressives de la pathologie sont isomorphes aux dispositifs qui les désignent. Ce qui est important et bienvenu dans leur démarche, c'est qu'ils ne se contentent pas d'une dénonciation du nouveau monde contre l'ancien ou d'une nostalgie réactionnaire. Leur approche va bien au-delà d'une querelle de spécialistes. Ce qui les intéresse c'est la logique qui sous-tend "le nouveau style anthropologique". Autrement dit, la mise à mal de la clinique et de la fonction du soin ne peut se comprendre sans ce rapport à ce " nouveau style anthropologique" et au contexte politique actuel. Le cheminement des auteurs n'est pas seulement théorique. Il repose sur ce qu'ils mettent en oeuvre dans leurs pratiques et dans les actes avec lesquels Roland Gori s'engage particulièrement dans la cité que ce soit avec le collectif "Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans, ou encore récemment avec "sauvons la clinique" pour, à la fois contester et éclairer le débat sur les dérives du scientisme, de l'évaluation généralisée, de la tyrannie de la normalisation qui portent atteinte, non seulement au sujet et à l'altérité, mais aussi à la fonction du soin psychique, de la formation et de la recherche. Et en cela, il est fidèle à l'éthique psychanalytique, car la psychanalyse dans son acte et sa responsabilité ne peut s'abstraire de la culture, et donc du politique. Son devoir est de maintenir ouverte la voie de la vigilance et d'inciter l'homme à s'impliquer avec sa voix, dans la civilisation qu'il traverse. Voilà pourquoi le livre de Roland Gori et Marie-José Del Volgo nous intéresse particulièrement aujourd'hui.

Rajaa Stitou

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