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Billet de blog 18 décembre 2014

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Un petit moment de dé-raison et de bonne folie.

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                   Osez le dé-raisonnable

Prenons pour fou celui qui perd le contrôle de lui-même. Tout homme, aussi sage soit-il, peut dire “je suis un peu fou” en constatant qu’il y a une logique qui le dirige à son insu et qu’il est impossible de la contrôler complètement. Tant pis !?

C’est faire preuve de lucidité que de se reconnaître fou. Jusqu’à un certain point (difficile à déterminer tant les critères sont flous), sage est celui qui a assez de présence d’esprit pour ne pas s’accrocher obstinément à sa raison défaillante. Il faut bien se baigner dans des délires collectifs : à quoi bon garder la raison si le monde est fou ? C’est lourdingue d’essayer d’avoir raison sans arrêt ; d’où l’envie d’accorder à l’intelligence son repos, et éprouver la “sagesse d’être fou”... Il peut être opportun de larguer les amarres pour atteindre une sérénité inatteignable sinon. Comment “faire le fou” sans être fou ? Doit-on choisir entre donner un sens à sa vie ou une vie à ses sens ? Ce bonheur que l’on peut éprouver, fugacement, à “être fou”, est-ce que demain nous l’aurons encore ? Comment rationnellement opter pour la folie !?

La vraie folie (la véritable perte du contrôle de soi) est involontaire. Elle n’est pas souhaitable : elle tombe sur ses victimes. Parce que le fou dérange, il est marginalisé, enfermé, drogué, attaché... malgré lui donc dans la douleur. Il faut se méfier de la séduction bourgeoise de la folie, celle du fumeur de joint occasionnel par exemple. On voudrait une folie relative, perdre ses repères pour vivre l’aventure, mais en gardant les moyens de revenir au port, sans que les autres nous perdent : on voudrait se perdre “un peu”, s’autoriser à sortir seulement parce qu’on sent qu’on va revenir. On veut la démesure... mais normalisée !

Est-ce qu’il n’y a pas un grand leurre qui fait que tous les matins on met un petit masque pour s’enfermer huit heures dans un délire qui n’est pas le notre ? L’absurdité de la vie et du monde détermine notre envie de changer de peau, de vie, de monde... Et quoi de plus exotique que la folie, et quel plus grand voyage ? Tout homme rêvant d’un ailleurs est attiré par l’anormal, l’incongru, l’incohérent même : si la raison est lourde à porter, il doit être bon de ne plus être “une chose qui pense”.

“Il me faut du nouveau, n’en fut-il point au monde” : voilà le mythe de ce qu’on ne connaît pas, qu’on n’expérimente pas. On veut “partir ailleurs”, même si le voyage est sans retour, pour un ailleurs forcément plus beau, plus sage, plus fort... Illusion : au-delà de ce désir trouble se trouve le danger réel de faire un simple pas de coté. Le sens de la vie est en jeu, et la réalité a ses règles indépassables. Ne plus les respecter revient à perdre conscience : perdre les pédales et éprouver l’horreur de ne plus exister. 

La sagesse est misérable : elle ne se supporte pas elle-même. On prétend que le sage saurait se faire des représentations adéquates de la réalité, ce qui lui permettrait de s’adapter à son environnement, voire de vivre en harmonie dans la Cité. Mais alors sa raison lui commande de respecter les lois et coutumes, aussi abracadabrantes soient-elles. On doit se mêler aux délires collectifs de la société dans laquelle il faut bien s’insérer. Un certain délire est exigé dans notre monde si “fou” qu’il serait sage d’abandonner une fois pour toute notre prétention à être “sage”.

“Sois raisonnable”, dit-on à qui ne respecterait pas les codes : est “sage” celui qui respecte des règles imposées, qui empêchent la totale maîtrise de soi. Ces règles sont souvent au principe d’un système pervers et destructeur, qui révulse l’”honnête homme” voulant raison garder. “Sage” est le bon toutou qui obéit sans réfléchir, au doigt et à l’œil. “Sages” les citoyens qui suivent aveuglément les règles prescrites : l’ordre règne, tout est normal. Mais alors il devient anormal d’oser penser par soi-même. (Le mot grec norma désigne la règle que l’on suit pour tracer un trait, et qui permet de marcher droit : sont dits “normaux” ceux qui marchent en troupeau organisé. En clair, il devient normal d’être aliéné !)

Et quoi de plus normal ? Le besoin des autres étant fondamental, avoir une identité revient à s’identifier, nous sommes tous des “êtres en relation”, nous aimant “à la folie” (on ne dit pas “aimer à la sagesse”) et prêts à délirer, pourvu que ce soit de concert !

Délirer tous ensemble, passe encore : ce n’est pas encore éprouver l’isolement du véritable fou qui perd le “sens commun”. Par exemple Don Quichotte se prétendant chevalier dans un monde où les règles de chevalerie n’ont plus cours. Dans le monde de ce fou solitaire, l’honneur ne vaut plus, remplacé par l’or : le sens des valeurs est prescrit par l’époque. Mais Don Quichotte est libre... libre de délirer hors de son temps, en pensant par lui-même et en se réfugiant dans des valeurs dépassées. Envers et contre tout, Don Quichotte se dérègle, refuse que la valeur soit l’or : il veut garder l’honneur... alors que les jeux sont faits.

Seule issue : attaquer des moulins !

Par Françoise Housset

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