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Billet de blog 2 août 2022

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Quand l’Académie des Sciences ne dit plus la science

Au cours de la crise du COVID aucun des membres du conseil scientifique d’E. Macron n’était membre de l’Académie des Sciences. On connaît bien sûr sa préférence pour les lobbyistes au détriment des institutionnels, mais l’anecdote que je veux vous conter ici pourrait bien être une autre explication tout aussi valable, qui dédouanerait (un peu) E. Macron.

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Illustration 1
L'Académie des Sciences réinvente les lois de la géométrie © Herve Le Cornec

Avez-vous remarqué qu’au cours de la crise du COVID aucun des membres du conseil scientifique d’Emmanuel Macron n’était membre de l’Académie des Sciences ? On aurait pu imaginer que l’élite scientifique de la nation soit mise à contribution. Mais ce ne fut pas le cas. On connaît bien sûr la préférence de notre président pour les lobbyistes au détriment des institutionnels, surtout si les premiers appartiennent à des multinationales américaines, mais l’anecdote que je veux vous conter ici pourrait bien être une autre explication tout aussi valable, qui dédouanerait un peu E. Macron.

J’ai soumis un article au Comptes Rendus de Physique (CRP) de l’Académie des Sciences. Il a été refusé pour deux raisons très clairement exprimées (voir annexe A) ... mais totalement aberrantes (voir annexe B). Ne craignez rien, je ne parlerai pas ici du contenu de mon article car le problème n’est pas là. Le problème ce sont les propos désormais tenus par notre Académie des Sciences.

Les rapporteurs de l’Académie sont chargés de juger anonymement les propositions d’articles selon le « Code d’éthique et de bonnes conduites » des CRP. Celui qui a jugé le mien prétend des énormités. Il prétend tout d’abord que l’accélération d’un mouvement de rotation à vitesse constante « est à la fois centripète et attractive ». Laissez-moi vous expliquer.

Lorsque vous faites un tour de manège ou de tourniquet, vous êtes en mouvement de rotation à vitesse constante, sauf bien sûr dans les phases de démarrage et d’arrêt. Lorsque la vitesse est stabilisée l’accélération est dite « centripète ». Multipliez cette accélération par votre masse et vous obtiendrez la force que vous ressentez dans vos bras pour vous maintenir sur le tourniquet. Ou si vous préférez, c’est l’opposée de la force centrifuge qui tend à vous éjecter du tourniquet. La force centrifuge et la force centripète s’équilibrant, tant que vous tenez fermement la barre d’appui, vous pouvez rester fixe par rapport au tourniquet alors qu’il tourne. La force centripète a cela de particulier qu’elle est toujours perpendiculaire, c’est à dire à 90° de la vitesse qu’elle provoque. Vous partez à gauche, ou à droite, mais la tension dans vos bras est toujours dirigée vers le centre du cercle, à 90° du mouvement.

Une force attractive quant à elle cause un mouvement non plus perpendiculaire, mais parallèle à la force. C’est le cas par exemple d’une dépanneuse remorquant un véhicule. La dépanneuse exerce une force attractive sur le véhicule qui prend alors un mouvement en ligne droite, alignée sur la direction de la force causée par la dépanneuse.

Les forces centripètes et attractives sont donc de natures physiques et géométriques très différentes : les premières provoquent un mouvement circulaire, les secondes provoquent un mouvement en ligne droite. Ces deux géométries s’excluent l’une l’autre, aucune des deux n’est un cas particulier de l’autre. Une droite ne sera jamais une courbe, et vice-versa, quoi que vous fassiez. C’est l’éternel problème de la quadrature du cercle. Une force centripète ne peut donc jamais être une force attractive, et vice-versa, ni même en être un cas particulier. Par exemple, on n’a jamais vu un véhicule se mettre à orbiter autour d’une dépanneuse lorsque cette dernière met la remorque en tension, et on n’a jamais vu les occupants d’un manège se déplacer en ligne droite.

L’accélération étant la force divisée par la masse, quand le rapporteur de l’Académie prétend que l’accélération d’un mouvement de rotation à vitesse constante « est à la fois centripète et attractive », il commet une lourde erreur. Il nie tout simplement les lois de la géométrie et de la physique.

Lycéens, vous dont les programmes de maths et de physique vous obligent à savoir ce qu’est une force centripète, je vous préviens, si vous osez prétendre une telle ineptie au bac, vous serez recalés.

Stupéfaction donc. Comment un rapporteur de l’Académie peut-il être aussi ignorant des bases de la géométrie, et pire encore, le claironner fièrement sous couvert d’autorité ? Mais l’impétrant ne s’y borne pas, me gratifiant d’une autre horreur géométrique indigne d’un étudiant de première année.

Pour vous le raconter il me faut d’abord vous expliquer ce que sont les coniques. Ce sont des courbes. Il en existe 4 sortes : le cercle, l’ellipse (un cercle aplati), la parabole (une courbe en forme de cintre) et l’hyperbole (le cintre est plus aplati). Si on veut tracer ces courbes sur un papier, on utilise une seule et même équation, dite « équation des coniques » dans laquelle un paramètre nommé « excentricité » déterminera laquelle de ces 4 courbes sera dessinée. Si l’excentricité est nulle on obtient un cercle, si l’excentricité est supérieure à 0 mais inférieure à 1 on obtient une ellipse, si l’excentricité est exactement égale à 1 ce sera une parabole, et une hyperbole si l’excentricité est supérieure à 1.

Ceci posé lisons maintenant ce qu’écrit le rapporteur de l’Académie : « C’est faux. Une ellipse d’excentricité 1 est un segment de droite. » Consternation, donc, à nouveau : le rapporteur ne sait pas ce qu’est une conique, ni même seulement une ellipse. Tout au plus pourrait-on dire très improprement que « une ellipse d’excentricité 1 » est une parabole, mais une parabole est une courbe, pas un « segment de droite ». Et une fois encore la droite n’est pas un cas particulier de la courbe. L’équation des coniques ne décrit jamais une droite. C’est un fait imposé par la géométrie.

Étudiants de première année, ne comptez pas obtenir vos partiels si vous osez écrire l’idiotie géométrique du rapporteur de l’Académie, le zéro pointé vous serait acquis sans coup férir.

J’ai bien sûr protesté contre les arguments fallacieux du rapporteur, auprès du rédacteur en chef, puis auprès du directeur de la publication, puis auprès du comité d’éthique de l’Académie et puis auprès du vice président de cette dernière. Aucun n’a souhaité me faire la politesse d’une réponse. Tous soutiennent donc l’avis géométriquement inepte du rapporteur.

Voilà pour l’anecdote.

J’en viens donc à penser que si les experts en virologie de l’Académie des Sciences sont du même tonneau que ses experts en physique, E. Macron a eu bien raison de n’en recruter aucun dans son conseil scientifique. Le résultat eut été catastrophique. Les lobbyistes mentent certes beaucoup, mais tout de même moins que ce rapporteur de l’Académie.

Cependant une question en découle, que l’on doit poser au président de l’Académie, car nous la finançons : non seulement vous n’avez pas participé à l’effort de la nation lors du COVID, mais nous constatons également que vous rendez des avis scientifiquement ineptes dans d’autres domaines, sans respecter ni votre charte d’éthique ni même les lois de la géométrie. Pourquoi ? Quel objectif poursuivez-vous ?

Comme il n’y a qu’à lui que je n’ai pas écrit, je vais lui poser ces questions. On verra bien s’il répond, ou pas. Je ne me fais plus grande illusion. Bien sûr, cher lecteur, je vous tiendrai au courant des suites de cette affaire où l’Académie brille par son ridicule.

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Annexe A : avis du rapporteur de l’Académie des Sciences
Rapporteur A:

Cet article montre que le mouvement képlerien elliptique est compatible avec la loi de l’attraction universelle de Newton (ce qui est évidemment bien connu). En effet il obtient la formule (6) où L est constant d’après (7), et vR est constant aussi d’après (2) et (3). L’auteur déclare que « the expression (6) of the acceleration has the same mathematical structure as Newton’s gravitational acceleration », ce qui est juste, mais il ajoute : «but it is centripetal ». Un peu plus haut, on lit que l’accélération « is a centripetal acceleration, but not an attractive one ». Or bien sûr, elle est à la fois centripète et attractive. Il est dit par ailleurs dans le résumé que « the rectilinear accelerated trajectory of Newton's attraction is not part of the Keplerian conics ». C’est faux, une ellipse d’excentricité 1 est un segment de droite.

Cet article ne contient pas de résultat nouveau et contient des erreurs. Il ne peut pas être publié.

Recommandation: Refuser la soumission

Annexe B : démonstration des erreurs du rapporteur

Sans preuve le rapporteur dit : «C’est faux, une ellipse d’excentricité 1 est un segment de droite.».

Visiblement le rapporteur ne connaît pas l’équation des coniques, pourtant imposée par la première loi de Kepler [1]: p = (1+e cosθ) r, où p est le paramètre, e l’excentricité, θ l’anomalie vraie, et r la norme du rayon vecteur. Cette équation décrit un cercle si e = 0, une ellipse si 0 < e < 1, une parabole si e = 1 et une hyperbole si e > 1. Aucune «ellipse d’excentricité 1» ne peut donc exister, tout au plus pourrait-on dire improprement qu’une «ellipse d’excentricité 1» est une parabole, mais une parabole n’est pas un «segment de droite». La droite ne fait pas partie des coniques, encore moins kepleriennes, et l’argument d’autorité «C’est faux» n’y change rien.

Sans preuve le rapporteur dit :

«Or bien sûr, elle [l’accélération keplerienne, équation 6 de l’article] est à la fois centripète et attractive.»

Ainsi le rapporteur prétend deux contre-vérités :

  • l’accélération d’une vitesse de rotation uniforme serait simultanément centripète et attractive.
  • l’accélération gravitationnelle de Newton serait simultanément centripète et attractive,

Outre le fait que Newton définit seulement l’attraction universelle [2], mais pas une «attraction rotative» universelle, et que l’accélération d’une rotation uniforme est strictement centripète [3], supposer qu’une accélération puisse être géométriquement «à la fois centripète et attractive» revient à dire qu’une trajectoire peut être simultanément un cercle et une droite. De quel élément scientifique le rapporteur dispose-t-il pour justifier une telle aberration, autrement que par l’argument d’autorité «Or bien sûr» ?

Références

[1] L. Landau && E.Lifchitz, Mécanique, Editions Mir, Moscou, 1966, §15 : Le problème de Kepler
[2] Isaac Newton, De la gravitation / Du mouvement des corps, traduction Marie-Françoise Biarnais et François de Gandt, Ed. Gallimard, 1995

[3] A. Gibaud &M. Henry, Mécanique du point, Ed. Dunod, 1999, ISBN 978-2-10-079853-7.

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