A une semaine du 2ème tour de l’élection présidentielle 2017, la plus déconcertante jamais vécue, le résultat se situe de plus en plus dans une terrifiante incertitude. La situation n’est en rien comparable à celle de 2002. Il y a quinze ans, le vote anti-FN ne fit aucun doute pour qui que ce soit, même si Lionel Jospin, sous le choc, attendit 5 jours pour se positionner. Il n’y eut pas de débat d’entre-deux-tours, et Jacques Chirac fut réélu avec un score historique, qui démontrait clairement une non-adhésion à son projet personnel. Jacques Chirac n’en tint pas compte, et appliqua une politique très recentrée sur la droite conservatrice, lançant par le même coup le destin présidentiel de Nicolas Sarkozy…
Aujourd’hui, en 2017, Marine Le Pen a déjà remporté une indéniable victoire, celle de la banalisation. Après un précédent, on commence à s’habituer, à perdre sa vigilance, à monter son indifférence. Marine Le Pen a participé à tous les débats, il y aura mercredi prochain un débat d’entre-deux-tours, et même si Emmanuel Macron est (encore) annoncé comme vainqueur du 2ème tour, le score n’a plus rien d’exceptionnel. Au contraire, remporter la présidentielle avec moins de 60% des suffrages exprimés, c’est simplement catastrophique…
Mais venons-en à cette indifférence exprimée sur les réseaux sociaux. « En 2002, j’ai déjà donné, cette fois-ci, je m’abstiens… ». C’est bien la confirmation de la banalisation réussie du vote Le Pen. Il n’y aurait donc aucune différence fondamentale entre le projet d’Emmanuel Macron et celui de Marine Le Pen ? Juste deux projets antagonistes, différents, mais à la légitimité équivalente ? C’est même pire que cela. A entendre certains, le projet d’Emmanuel Macron alimente si clairement celui de Marine Le Pen, que l’on connaît déjà le résultat de la présidentielle de 2022… Donc, à quoi bon attendre 2022, laissons Marine Le Pen accéder au pouvoir exécutif dès cette année. On gagnera 5 ans.
Cette funeste indifférence témoigne d’une inconscience collective hallucinante. A croire que nous ne savons plus ce que sont réellement des institutions démocratiques, la culture du débat contradictoire, le principe de l’alternance. Nous sommes sur le point d’oublier ce qu’est une société démocratique, faite de respect mutuel entre des forces qui se considèrent comme adversaires, mais non comme ennemis, car il y a un accord sur les valeurs fondamentales de notre République. Nous sommes en passe de mettre sur le même plan la posture d’un démocrate, quel que soit son projet, et celle d’une politicienne d’extrême-droite, fascisante, attentatoire aux libertés publiques. Faut-il rappeler ici que Marine Le Pen veut restreindre le droit de grève ? Qu’elle a imprudemment menacé les fonctionnaires ? Qu’elle n’aura qu’une seule volonté, celle de réduire la liberté de la presse et de contrôler les médias, à l’instar de ce qui se passe aujourd’hui en Pologne et en Hongrie ? Qu’elle a annoncé une remise en cause du droit à l’avortement et des droits acquis de nos concitoyens LGBT ?
Alors, on va faire un peu de politique-fiction. Imaginons le pire, la catastrophe totale. Dimanche 7 mai, à 20 heures, les chaînes de télévision annoncent la victoire sur le fil de Marine Le Pen. Grâce à ce merveilleux phénomène de l’abstention différenciée. En fait grâce aux finasseries de toutes celles et tous ceux qui à droite comme à gauche se sont engouffrés dans l’ambiguïté des positions de Jean-Luc Mélenchon ou de Laurent Wauquiez. Plein d’électeurs se sont donc abstenus ou ont voté blanc, renversant mécaniquement le rapport de forces en faveur de Marine Le Pen (dont les électeurs, eux, ne se sont sûrement pas abstenus). Ces électeurs trop difficiles considéraient que Macron et Le Pen, c’était bonnet blanc et blanc bonnet, ou alors que ce n’était pas tout à fait pareil, mais tout de même, voter Macron, une hypothèse impossible… Ces électeurs espérant bien évidemment que malgré tout Macron passe, mais laissant le sale boulot aux autres.
Bon, Marine Le Pen est donc élue présidente sur le fil, avec 50, 16% des voix. A peu de choses près, le score de Giscard d’Estaing en 1974. Score étriqué, mais suffisant pour s’installer à l’Elysée. Très vite, des manifestations éclatent un peu partout. Bernard Cazeneuve fait ce qu’il peut durant les derniers jours où il est en charge du gouvernement, mais la situation est difficile à contrôler. Le 17 mai, c’est la passation de pouvoirs. François Hollande, dont personne ne contestera la responsabilité personnelle dans cet échec démocratique et politique immense, est blême, mais il ne peut s’y soustraire. Cette passation de pouvoirs se déroule dans une ambiance presque insurrectionnelle. Les banlieues explosent, il y a des manifestations dans toutes les grandes villes, et partout, ça dégénère. Marine Le Pen, comme elle l’a annoncé, nomme Nicolas Dupont-Aignan à Matignon. Steeve Briois est nommé Ministre de l’Intérieur. Mais la situation devient incontrôlable. Certes, un joli pied de nez aux déclarations si volontaristes de Marine Le Pen. Mais l’Elysée, ce n’est pas la présidence d’un conseil municipal ou même d’un département ou d’une région. C’est le pouvoir exécutif ultime, d’autant plus que les élections législatives ne sont prévues qu’en juin. En attendant, le gouvernement et la présidente ont tout loisir de rétablir l’ordre… Mais quand ça ne veut pas, ça ne marche pas. Et là, il suffit de relire l’article 16 de notre constitution. Face à la « chienlit », Marine Le Pen n’a aucun état d’âme de déclencher cet article 16, qui permet d’instaurer une véritable dictature légale. Certes, l’article a été un peu « protégé » lors de la révision constitutionnelle de 2008, mais s’imagine-t-on des élections législatives dans ces conditions ? Il ne manque pas beaucoup pour restreindre les libertés officielles, mettre les élections sous contrôle, comme le furent les élections de mars 1933 après l’arrivée au pouvoir d’Hitler.
Fini le débat démocratique. Et comme en France, il n’existe pas de contre-pouvoirs, très vite le rapport de forces devient inégal. Avec un gouvernement qui agit avec des ordonnances, les syndicats sont les premières victimes. Puis vient la presse, puis le parti communiste, le NPA, Lutte ouvrière, etc… Il n’aura suffi à Marine Le Pen qu’un été pour mettre au pas la société. Sans aucun billet retour pour tous les démocrates…
En conséquence, même si l’on est opposé au projet ultra-libéral porté par Emmanuel Macron, la démocratie est plus précieuse que tout. La capacité de pouvoir contester, de manifester, d’argumenter, n’est pas inscrite dans le marbre. Cette capacité, elle est à défendre et à garantir. Donc, le 7 mai, on ne vote pas blanc ou on s’abstiens. On vote clairement et précisément en mettant un bulletin Emmanuel Macron dans l’enveloppe. Et plus le score sera élevé, moins ce sera un vote d’adhésion à son projet. Emmanuel Macron a des aspects détestables. Mais c’est un homme intelligent, qui comprendra vite que sa légitimité n’est pas acquise, mais restera à construire.
Battons en brèche notre indifférence. Montrons-nous responsables. Défendons la démocratie. Votons pour faire vivre la République. Mettons concrètement en échec le fascisme.