Depuis quelques jours, un air d’opéra, que je n’avais plus entendu depuis 40 ans, me trotte dans la tête avec obstination : « Et Satan conduit le bal, conduit le bal ».C’est l’air de Méphistophélès dans l’opéra Faustde Charles Gounod.
En général, on imagine cet opéra au travers de L’air des bijouxque presque personne n’a écouté, mais que tout le monde connaît puisque c’est l’aria emblématique de la Castafiore dans Tintin. Je dis cela pour les plus jeunes d’entre nous, bien sûr : « Ah ! Je ris de me voir si belle en ce miroir. »
Mais le personnage qui est rentré dans ma tête, c’est Méphisto. Oui, je l’appelle par son diminutif. Depuis les quelques jours qu’il me colle dans ma tête, on se connaît beaucoup mieux.
Il me raconte son histoire, il rit, il se gausse, il se moque, il se réjouit et il se frotte les mains. Pour lui, l’humain est une race étrange, capable de se rouler dans l’abjection pour de l’or, encore plus d’or, toujours plus d’or, des millions, des milliards, des milliards de milliards. C’est sans fin, il jubile. Bref, il est content, son businessmarche bien.
Je comprends mieux pourquoi cet air m’obsède. La musique est entraînante, rythmée, obsédante, pénible par sa simplicité et claironnante. Elle est vulgaire en fait, tout comme Méphisto, qui veut nous entraîner dans sa danse infernale.
Par arrogance, il lui semble si facile de convaincre le genre humain de se prosterner à ses pieds, alors même que son pouvoir est dérisoire, comme il le dit lui-même. « Don’t look up, just look down »,pourrait dire Méphisto (petit clin d’œil au film qui vient de sortir).
Tout le monde connaît le mythe de Faust, surtout au travers du roman de Goethe. Un vieux savant près de la mort et désabusé, signe un pacte avec le diable qui le convainc qu’il peut lui redonner sa jeunesse en échange de son âme après sa mort. Vainement. La jeunesse retrouvée de Faust ne le rendra pas heureux et lui fera commettre de terribles crimes. Il détruira la vie de Marguerite et tuera son frère.
Marguerite s’imagine princesse en se parant de bijoux – offerts par Méphisto – devant la glace : « Ah ! Je ris de me voir si belle en ce miroir. Est-ce toi Marguerite ? Réponds-moi. Non, ce n’est plus toi, c’est la fille d’un roi qu’on salue au passage. »Mais c’est juste un moment d’amusement d’une jeune femme.
Elle engagera son cœur auprès d’un Faust jeune et séduisant, tombera enceinte et, rejetée par la société des hommes, elle tuera son enfant. Elle sera condamnée à mort ce qui, pour une femme abandonnée et désespérée, est le moins que l’on puisse attendre dans le monde des hommes. Pourtant, jamais elle ne vendra son âme au diable, elle ne sera pas damnée. Méphisto ne gagnera pas son combat contre elle. #balancetonmephisto.
C’est à nous tous que se pose la question de savoir si Méphisto a raison de se réjouir ou non. Et c’est à nous de donner la réponse, ensemble. Marguerite y est arrivée toute seule, mais au prix de sa vie.
Bien sûr, toute ressemblance avec les valeurs du monde dans lequel nous vivons n’est absolument pas fortuite et n’est absolument pas une coïncidence.
Je vous livre les paroles de l’air de Méphisto pour que vous puissiez bien vous polluer la tête aussi. Peut-être sombrerez-vous comme moi dans l’obsession de cette spirale infernale et de ces mots du diable qui, finalement, nous prévient depuis longtemps sur les choix que nous faisons.
« Le veau d’or est toujours debout !
On encense sa puissance
D’un bout du monde à l’autre bout !
Pour fêter l’infâme idole,
Rois et peuples confondus,
Au bruit sombre des écus
Dansent une ronde folle
Autour de son piédestal !
Et Satan conduit le bal !
Le veau d’or est vainqueur des Dieux !
Dans sa gloire dérisoire
Le monstre abject insulte aux cieux !
Il contemple, ô race étrange !
A ses pieds le genre humain
Se ruant, le fer en main,
Dans le sang et dans la fange
Où brille l’ardent métal!
Et Satan conduit le bal ! »