Dans ma petite commune de l'Oise, aux portes de Compiègne, il est 11 heures. Les électeurs ont la mine grave et l'oeil vague. Nombreux, ils sont nombreux à se presser, "faire leur devoir", "sans enthousiasme", comme on remplit sa feuille d'impôt.
D'un coup d'un seul, le triste bureau s'éclaire. Lucy entre. Joli jeune femme d'origine haïtienne, deux magnifiques enfants, mariée à un français, elle brandit sa carte d'électeur et la montre à ses petits.
Pour elle, c'est la première fois. Elle ne sait pas trop où ça démarre, qui voir, où signer. Je la guide. C'est ma voisinne Lucy. Nos enfants jouent ensemble, on fait la fête des voisins, on se passe du sel, des oeufs. Tous les étés, elle me donne des fraises qu'elle fait pousser dans son jardinet. Mon mari regarde le foot avec son mari, Karim, antillais comme son nom de l'indique pas.
Elle est venue en France toute petite pour fuir la misère haïtienne. Elle a laissé ses parents au bled pour suivre son oncle, déjà installé dans un studio crasseux de banlieue parisienne. Elle n'a jamais pu retourner à Haïti. Trop cher. Sa mère lui envoie des mangues, elle envoie un chèque. Lucy est noire. Elle a appris à ne pas faire de bruit. Elle a rencontré l'amour de sa vie, s'est mariée et obtenu la nationalité française. Ses enfants sont nés en France. Elle a passé un concours d'auxilliaire de vie, elle torche les fesses de nos vieux. Toute la journée, avec le sourire. Elle paie ses impots.
Aujourd'hui, Lucy a sa première carte de vote. Elle a voté. Elle rayonne. En sortant, elle me dit : "27 ans plus tard, a 35 ans, j'ai enfin pu rejoindre la ronde des "A Voté" et j'en suis fière!!!!"...
Je ne sais pas ce qu'a voté Lucy. Ce ne sont pas mes affaires. Par contre, je ne supporterai pas que la France par un vote de haine, de peur et d'ignorance, rejette une perle comme Lucy. J'espère que sa toute première voix soit entendue! Et je suis heureuse qu'elle ait été prise en compte. Enfin.