Hedo

Abonné·e de Mediapart

5 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 octobre 2013

Hedo

Abonné·e de Mediapart

Prof: un truc de ouf!

Il faut que j’arrête de « faire ma pleureuse », j’suis prof. Depuis quelques jours je sais, grâce à une enquête de l’institut Viavoice pour RTL et le Nouvel Observateur, que j’exerce l’un des trois métiers qui rendent les Français heureux. Les Français qui les exercent ou ceux qui les observent ?

Hedo

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il faut que j’arrête de « faire ma pleureuse », j’suis prof. Depuis quelques jours je sais, grâce à une enquête de l’institut Viavoice pour RTL et le Nouvel Observateur, que j’exerce l’un des trois métiers qui rendent les Français heureux. Les Français qui les exercent ou ceux qui les observent ?

Toujours est-il qu’ignorante de ce classement digne d’un septuple vainqueur du Tour, j’ai subi un burn out il y a une petite quinzaine qui m’a menée droit aux urgences d’un hôpital d’une ville de province, quelque part en France.

Dire que je vais mieux après le torrent de larmes que je viens de verser en réalisant que je ne pourrai pas suivre la cure salvatrice que l’on me fait miroiter depuis lors, est un non-sens ; car faute de pouvoir avancer les frais relatifs au forfait journalier en milieu psychiatrique, je dois y renoncer.

Mon compagnon gagne environ 700 € par mois et je n’en gagne « que » 1859 au bout de 12 ans de carrière dont dix en ZEP de chez zone Violence ou autre PEP IV et 8 en tant que TZR (les aficionados comprendront, les autres se feront expliquer[1]). Nous sommes un peu trop riches pour bénéficier d’aide et un peu trop pauvres pour assumer de se soigner hors parcours conventionné. En général, nous considérons tous les deux que le fait d’être un peu trop riche est rassurant car cahin-caha nous nous en sortons, en nous faisant aider périodiquement par des membres de la famille proche. Mais eux-mêmes n’ont pas les moyens de palier cette nouvelle dépense (environ 1350€ sans compter l’avance du forfait journalier).

Personne donc ne peut m’aider à entrer dans l’unique clinique de cures psychiatriques de mon secteur, car la psychiatrie est sectorisée. Remarquez bien que j’en sais beaucoup plus aujourd’hui sur le sujet qu’il y a une semaine.

 J-15, j’avale mon « non-substituable » de bromazépam par 4 comprimés. J’étais tellement fatiguée qu’il fallait à tous prix que je dorme, quelles qu’en soient les conséquences. Pas mourir : dormir. Oublier ce collège dans lequel tant d’heures sont des combats pour rester juste digne : ne pas répondre aux invectives, ignorer les enfants qui hurlent, qui s’injurient et vous insultent au passage, garder son calme, ne pas céder à la tentation de répondre sur le même ton. Aller chercher dans le fond de ses chaussettes le ton juste pour recadrer sans réprimer. Oublier les reproches muets de la vie scolaire quand vous avez fini, de guerre lasse, par renvoyer l’élève ingérable, avec le formulaire adéquat et le travail à faire durant l’exclusion. Oublier les tremblements des cloisons plusieurs minutes durant, à chaque fin d’heure sous les coups des élèves. Oublier les portes secouées par ceux qui vous défient pour montrer leur courage face à l’autorité pendant que de l’autre côté vous essayez seulement d’introduire la clé dans la serrure. Oublier les quolibets qui fusent à propos de votre corpulence. Oublier que l’on vous a traitée de salope au moins trois fois nommément y compris dans la rue. Oublier que l’on a utilisé votre voiture pour faire brûler votre collège. Oublier l’écho permanent de la salle 189 que votre collègue a commencé à signaler il y a 20 ans et pour lequel rien n’a été fait ; oublier que pour vous prouver que vos acouphènes à toutes les deux sont somatiques, on a organisé une réunion de vie scolaire dans votre salle et qu’on a crié grâce au bout de10’sans pour autant essayer de trouver la moindre solution au problème. Oublier qu’on vous promet l’installation d’un vidéoprojecteur depuis 4 ans, alors que vous n’avez plus de projecteur de diapos ni diapos d’ailleurs, ni stores pour faire l’obscurité en cas d’une hypothétique projection parce que ce n’est pas esthétique… Oublier que vous avez été mutée là parce que vous êtes TZR et qu’on n’a pas pu faire autrement parce qu’il fallait faire une place pour un néo-titulaire que l’on ne peut pas accueillir ailleurs en service non-partagé sur les quatre départements de l’académie. Oublier que dans l’établissement précédent vous pouviez effectivement considérer que ce métier vous rendait heureuse et où vos passages tous les deux ans commençaient à vous permettre d’élaborer une pédagogie intéressante bien que toujours en question avec les collègues et les élèves. Bref, dormir profondément, sans douleur, pour ne pas perdre votre vie.

 J-14, réitération du geste avec ce que j’avais à portée de la main, c’est-à-dire rien de bien méchant mais qui fait dormir malgré les secousses. Hospitalisation ; consultation d’une psy du CMP local dans le couloir des urgences, derrière les portes coupe-feu pour conserver un semblant d’intimité. Psy qui vous soupçonne immédiatement d’avoir creusé vous-même l’abîme entre les élèves dudit collège en les méprisant et/ou les insultant et vous « parce que souvent on ne récolte que ce que l’on sème ». Justification de ma pédagogie : j’ai toujours travaillé la porte grande ouverte pour que l’on puisse à tout moment vérifier ma capacité à « tenir mes classes » ; rapports d’inspection parlant de générosité envers mes élèves. J’aimerais au passage oublier d’avoir eu à me justifier en cet instant précis, où je prends conscience de mon geste contre moi-même désespéré et inutile. Mais bon, je ne suis pas psy, juste prof...

 J-7, j’ai un peu récupéré et commence à me documenter sur l’unique centre de cure psychiatrique du secteur : non conventionné. Ma « complémentaire », ce que l’on appelait autrefois simplement mutuelle, n’a pas plus de convention avec cette clinique qu’avec tant d’autres hôpitaux ; je vise encore très haut à cet instant, à savoir la possibilité d’occuper une chambre individuelle (en psychiatrie, on sait quand on y entre, mais pas quand on en sort ; ce n’est pas rêver d’un bien grand luxe). Or dans cet établissement, le seul du secteur, la chambre individuelle coûte au minimum 80€ par jour ; ma mutuelle prenant en charge 28€ sur cette somme, il faut que je trouve par moi-même de quoi financer la plus grosse part des 52€ restant. A l’aide de mon compagnon, je commence donc une vaine recherche pour souscrire à une « sur-complémentaire » qui prenne en charge le forfait journalier et tout ou partie des frais engagés pour un séjour en chambre individuelle. Nous jetons l’éponge après plus de huit heures ininterrompues de consultations de sites Internet, d’appels de mutuelle et de courtier en assurance, pour nous entendre répondre soit que l’hospitalisation en service psychiatrique n’est simplement pas prise en charge, soit qu’elle l’est partiellement : par exemple, la chambre individuelle en cas d’hospitalisation est remboursée à concurrence de 50€ par jour ; sauf s’il s’agit d’une hospitalisation en HP, dans ce cas elle ne l’est plus  qu’à concurrence de 13.50€ par jour. Le raffinement résidant dans les 50cts.

 J-3. Nos recherches sont toujours infructueuses et je parviens à joindre quelqu’un dans les services de la clinique où j’envisage encore de séjourner. Nous sommes à la veille du week end, la dame n’a plus personne à disposition pour répondre à mes questions, mais après que je l’aie incitée à entendre que j’aurai de grandes difficultés à financer ma cure psychiatrique et que j’avais besoin d’aide pour « trouver un sponsor », elle me demande de rappeler lundi pour, c’est certain, me permettre de trouver solution à mon problème.

 J-J. La psychiatre qui devait m’accueillir ce matin a entre-temps déplacé notre RDV à la semaine prochaine. Je rappelle ma dame du vendredi qui n’est pas là aujourd’hui. Je « tombe » sur une secrétaire qui m’apprend alors que l’établissement n’a aucune convention avec ma mutuelle et que je devrai par conséquent avancer les frais du forfait journalier. Je n’ai pas le temps d’objecter quoique ce soit, ni de lui demander de l’aide car la conversation est immédiatement coupée. Je pense encore que c’est accidentel, bien que j’aie rappelé pour finalement m’entendre une nouvelle fois raccrocher au nez. Je décide donc de prendre le problème sous un autre angle et rappelle ma mutuelle afin de connaître les établissements avec lesquels elle a passé une convention. Elle me précise qu’il faut que je cherche moi-même les coordonnées des établissements dont elle annone les noms. Parmi ces sites, à 50 km à la ronde, il n’y en a que deux, spécialisés en gérontologie (j’ai 44 ans) et le 1er des deux est à 10 km de la 1ère gare SNCF ce qui exclut toute visite de mon compagnon comme des autres membres de la famille. Elle m’en cite deux autres dans le Val-de-Marne où vivent mes parents, le 1er lié à la cancérologie, le second aux maladies de la nutrition et à l’obésité. J’appelle le second numéro trouvé sur le site internet et finis par avoir en ligne une secrétaire qui m’envoie gentiment vers les services d’un grand groupe d’hôpitaux que je connais bien dans le même département en m’expliquant que la psychiatrie « étant sectorisée » il n’est pas envisageable de prendre en cure psychiatrique quelqu’un qui n’aurait aucune maladie en relation avec des problèmes d’obésité ou de nutrition. Je n’avais pas encore bien saisi les nuances dans l’emploi de l’adjectif « sectorisé ».

Forte de ce bon conseil, je le suis et appelle une autre dame, cette fois-ci formidable qui va lever pour moi un coin du drap qui cache l’entrée du labyrinthique système d’admission en service psychiatrique français. Cette femme (et je l’en remercie du fond du cœur) m’a suggéré de venir voir mes parents le plus vite possible et de les inciter à m’emmener aux urgences hospitalières pour que je sois adressée dans les plus brefs délais par le CMP de ce petit département grand par sa démographie comme un petit pays, à une clinique qui aurait plus de chance d’être conventionnée que dans nos grands départements de province. Plus de chance de… Mais ai-je plus que tout-à-l’heure l’argent pour avancer le forfait journalier si contre toute statistique je rencontre le psychiatre qui m’enverra dans la clinique non conventionnée de son secteur car tous les autres lits sont pris ? Dire qu’il faut être sain d’esprit pour se faire interner est un très mauvais jeu de mots et de maux qui a déjà du vous traverser l'esprit...

Dans trois quarts d’heure, je m’apprête à négocier un arrêt maladie avec mon médecin traitant sans cure psychiatrique, juste avec des … médicaments. Histoire de finir l’année scolaire dignement en croisant les doigts très fort pour ne pas retourner dans ce qui est mon enfer, quand je sais qu’il est possible de travailler en Paradis.


[1] Ceux qui s’apprêtent à me dire que « bien fait, t’as qu’à travailler plus que 18 heures par semaine » prendront à l’occasion le temps de m’expliquer comment je fais, en étant déjà 18 heures devant élèves (17 parce que je suis TZR et qu’on a imposé une heure sup à une collègue qui n’en voulait pas) pour préparer mes cours, évaluer les travaux (j’ai évalué près de 2000 travaux d’élèves en 2012-2013) et traiter les taches administratives inhérentes à l’exercice du plus beau métier du monde, les réunions parents-professeurs, les conseils de classe (dont huit classes de troisième, c’est-à-dire, environ 600 bulletins, 200 fiches brevet et autant de validation des 5 critères du socle commun de compétence attribuables à ma matière seulement pour ce niveau).

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.