Je lis la une de Médiapart et je vois : "Quels antidotes au Front National?", "L'impossible ménage du Front national", "Front national : notre dossier". Je suis autant anti FN ici que chacun, mais je me demande si notre réflexion ne devient pas obsessionnelle comme ailleurs. Et si, comme pour toute phobie, nous ne focalisons pas notre angoisse autour des insidieux personnages que sont les Le Pen et autre Philippot au détriment de la réelle souffrance du frontiste de base. Soit dit en passant je suis certaine, pour le constater au quotidien, que certains sont prêts à voter Le Pen plus par défi de la bonne conscience que par conviction. Pour mesurer cela, point n'est besoin de "stat à la con"; pourquoi des enfants de sixième me demandent-ils si "au moins je suis bien française, parce que des Italiens il y en a beaucoup [sous-entendu trop]"[1] ? Ils n'ont pas le droit de vote, ils ne sont donc pas destinataires de professions de foi partisanes, ils ne regardent vraisemblablement pas C dans l'air, plus qu'ils ne lisent les quotidiens nationaux. Or ils sont déjà tout baignés de xénophobie voire de racisme. Que savent-ils eux des hordes barbares qui viennent manger le pain des leurs ? Le mal est beaucoup plus profond qu’un « simple » ras-le-bol économique, social ou culturel. Tous les frontistes qu’il m’a été donné de rencontrer sont d’abord des écorchés vifs : un ancien prisonnier tchèque des mines de sel, une fille à l’enfance ravagée… Viennent ensuite les ogres, ceux qui « font le buzz », qui ont vu comment tirer parti de ces souffrances ; ceux-là ne se sont peut-être même jamais cassé un ongle, mais ils ont flairé le moyen d’exploiter cette douleur sourde.
Bien sûr que les réflexions précédemment énoncées sont indispensables. Il faut cependant cesser de crier au loup, même si l'hiver est presque là. Il faut être capable de voir qui sont réellement ceux qui portent au pinacle une Marine. Il faut oser le dire, beaucoup d’entre eux n’ont aucune pensée politique, ils portent uniquement l’ancestrale peur de l’autre. Le problème restant qu’en tant qu’électeurs, ils risquent de nous jeter tous dans la gueule des Cent loups gris, dont en critiquant haut et fort les déviances nous faisons la publicité à longueur de journée. Il n’est pas une minute où l’on ne prononce le nom de l’un des ci-devant. A qui nous adressons-nous quand nous cherchons des antidotes ? A ceux qui boivent le poison comme malgré eux ou aux convaincus ? Parce que les premiers sont plus nombreux que les seconds. Je ne suis qu’une spectatrice attristée du cirque politique, je ne connais rien aux sciences économiques et sociales ; j’ai besoin d’être guidée pour comprendre les démarches intellectuelles des penseurs du Front de Gauche. Mais je suis de bonne composition : si vous m’expliquez calmement les alternatives à l’ultralibéralisme, avec des mots simples comme quand j’avais 12 ans, je me sens pousser les ailes pour porter la bonne parole auprès de ceux qui se perdent dans les brumes marécageuses du FN.
[1] Vous noterez au passage le glissement sémantique : comme on explique aux enfants qu’ils ne doivent pas se montrer racistes, alors ils contournent ; on ne doit dire qu’il y a trop d’Arabes, alors un certain Hortefeux dit en d’autres mots que les attroupements d’Auvergnats sont problématiques. Comme on ne peut plus citer M. le Ministre, on parle d’Italiens, en l’occurrence.