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Billet de blog 9 février 2024

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Une vie de femme, indestructible

Société chérie, je te condamne pour ne pas m’avoir enseigné ce qui m’est utile pour vivre.

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Illustration 1
Arcane 16 du Tarot de Marseille : La Maison-Dieu © Hélène ELOUARD

Société chérie, je te condamne pour ne pas m’avoir enseigné ce qui m’est utile pour vivre. Car, comme pour chacun et chacune, tu ne m’as pas appris la vie. Tu m’as appris à parler pour me conformer à des normes sociales qui m’ont empêchée de m’exprimer, qui m’ont fait refouler mes émotions. Alors tu m’as rejetée. Tu m’as dit que je n’étais pas conforme car je ne savais que pleurer. Tu m’as donné les médecins, les pilules. Je n’en ai pas voulu. Tu m’as dit d’être forte. Tu m’as dit de me taire. Mais tu ne m’as pas appris à être. Tu m’as donné le théâtre. Cette joie. Et là, j’ai grandi. Et là, j’ai compris ce que j’étais, que mes émotions, mes douleurs, mes joies étaient des joyaux pour vibrer et faire palpiter. Mais tu ne m’as pas appris que ces joyaux-là, je pouvais m’en servir dans ma vie. Cela, je l’ai compris seule, petit à petit. Car tu m’as dit que m’exprimer sur scène était bien, mais me taire dans la vie était mieux. Qu’il y avait une frontière entre le théâtre et moi, entre ce que je vivais follement sur scène et ma vie de soumission imposée. Tu ne m’as pas donné les mots lorsque l’on m’a fait mal, parce que les mots, je les connaissais déjà. Tu m’as dit de les taire. Tu m’as donné un savoir pour que je le répète sottement aux autres sans les écouter, tel un disque que l’on repasse. Les autres ont fait de même. Tu m’as appris à ne pas écouter et tu m’as appris qu’on ne m’écouterait pas. Pour me satisfaire, il y avait le théâtre, ce petit bonheur. Tu m’as proposé les conseils des médecins et des thérapeuthes. Une écoute constructive soi-disant. Une écoute, peut-être, mais normative, basée sur ces codes sociaux et psychologiques qui me donnent envie d’hurler ! 

Tu ne m’as pas appris à déconstruire ma pensée pour l’ouvrir à celle des autres et ensuite la reconstruire pour me créer mon propre monde. Non, tu m’as éduquée à déconstruire ma pensée pour une nouvelle construction formatée.

La vie m’a appris la peur. Pour me protéger des dangers. Pour développer la conscience. Elle m’a aussi donné le courage de vaincre ces peurs, d’aller de l’avant. Toi, tu m’as suggéré que la peur devait être le centre de ma vie, le centre de mes actions, de mes motivations.  Tu ne m’as pas enseigné à vivre avec ma peur mais à la laisser me contrôler. Puis, tu m’as donné des béquilles pour m’assurer une protection. Pas des outils qui auraient pu m’apprendre à faire face à ces peurs. Tu ne m’as pas expliqué que mes peurs faisaient partie de moi, comme mes chagrins, mes douleurs, mes joies, mes rencontres.Tu m’as reproché d’avoir peur quand je le disais, tu m’as reproché de ne pas avoir peur quand je ne l’avais pas. Que je n’étais pas normale. Que je n’étais jamais normale. 

Tu m’as parlé de dépassement, d’être forte, d’avancer, d’aller de l’avant, de pardonner. Tu m’as reproché de ne pas assez me confier et quand je disais ce que je pensais, de trop le faire. Un casse-tête sans fin. Pour que je sois dépendante de toi, société chérie. Tu ne m’as pas appris la liberté. Tu m’as laissé croire que je pouvais être libre, tu m’as laissé croire que je pouvais être autonome, une grande fille, et puis tu m’as nourrie du contraire. Pour me contrôler.

Tu m’as montré du doigt les pervers narcissiques, les criminels qui faisaient des choses horribles. Tu m’as parlé de harcèlement moral, sexuel, mais quand j’ai parlé de mes douleurs, des personnes qui m’ont harcelée moralement ou sexuellement, des personnes qui m’ont violée, des personnes qui ont abusé de moi, qui m’ont manipulée, tu m’as dit que ce n’était rien. Que mes douleurs n’étaient rien. Que je devais être forte, savoir pardonner, avancer, aller de l’avant, me dépasser (état que tu sembles ne pas connaître, car, tu vois, je sais vivre le dépassement). En gros, de subir et de me taire. Et pour pardonner, il faut avoir des reproches, des colères, des amertumes. Et si l’on a rien de tout cela ? Si l’on désire seulement arrêter de subir, s'éloigner des personnes toxiques sans éprouver de rancœur ? Alors tu as décrété que je n’étais pas capable d’amour… Car l’amour, tu crois le connaître...

J’ai réussi à parler de mes émotions alors tu m’as dit que j’étais fragile, que mes émotions n’étaient rien. En fait, tu m’as constamment martelé que je faisais mal les choses, que je n’étais pas bien. Tu m’as appris à me dédoubler, à sortir de mon corps, à refouler mes émotions tout en me disant que c’était mal de le faire. 

Tu m’as ingurgité que, dans la vie, il y a du positif et du négatif. Que le positif, c’était toujours ce que je n’étais pas. Que le négatif, c’était toujours ce que j’étais. Je ne sais pas pourquoi. Qu’il y avait des défauts et des qualités. Du coup, je ne sais pas quelles sont mes qualités. Pour les défauts, je t’ai écouté. Toi, ma société chérie, tu m’as rabâché que je n’étais jamais à la hauteur de tes exigences et que tout cela, c’était de ma faute. Et quand j’avais conscience de ma responsabilité, tu m’as affirmé que non, je me trompais, je n’étais pas responsable. Tu m’as réitéré que je ne savais rien et surtout, que mon expérience, mes réflexions, mes années d’existence ne m’avaient rien procuré. Car tu continues de m'infantiliser au travers des autres, de ce que tu enseignes aux autres, au travers de ta politique, de ton exigence. Pour ton contrôle.

Tu ne m’as pas aidée à grandir parce que tu ne le veux pas. Tu ne m’as pas aidée à réfléchir parce que tu ne le veux pas. Tu m’as éduqué à penser, à avoir des cases et à mettre les carrés dans les carrés et les ronds dans les ronds. Si cela ne rentrait pas, c’était anormal. Il fallait rogner les bords ou laisser de côté. Tu ne m’as pas enseigné à construire une autre forme, à véritablement réfléchir.

Tu ne m’as pas appris à écouter. Car écouter, revient à sortir des carrés, des cases, à s’aventurer. Et pour s’aventurer,  il convient d'apprivoiser ses peurs pour ne plus les laisser nous contrôler. Tu as volontairement omis tout cela…

Tu ne m’as pas montré ce qu’était la maîtrise de soi. Tu m’as professé le contrôle car tu voulais me contrôler, tu contrôles les autres alors, comme une de tes filles, j’ai assimilé le contrôle : par les livres et les blablas, certains et certaines thérapeutes et celles et ceux qui veulent sauver le monde, par les religions et les anti-religions, par les politiques et les anti-politiques, la vie sociale et un certain idéal sociétal, par tous et toutes.  Tu nous façonnes avec ce contrôle. Mais pas avec la maîtrise. Mais pas avec la liberté. 

Et pour cause. Parce que la liberté, je suis née avec. Parce que le chemin de la maîtrise, je le connaissais. Car je savais dire NON. Je l’ai su dès le plus jeune âge. Était-ce de l’instinct, de l'observation, une conscience ? C’était là. Pourtant, tu me l’as volé. Tu m’as raflé ma liberté, ma confiance en moi, la connaissance du chemin pour être adulte. Tu m’as dérobé ma frontière, tu l’as saccagée, tu m‘as persuadée que je n’en avais pas.

Mais pas complètement, société chérie. Sans doute ai-je gardé une trace en moi, un morceau, un souvenir ?...

Je suis fière de mes émotions, fière de vibrer continuellement, fière d’être vivante. Depuis toujours.

Tu vois, Société chérie, tu as essayé de me broyer, tu as voulu étouffer mes cris, enfermer mes plaintes, mes rires. Tu as cherché à écrabouiller mon intelligence, à anéantir tout ce qui est vivant en moi : mon rire, ma joie, la petite fille heureuse d’être une femme, ses jambes griffées par la glycine. Mais je résiste et je vis, et tout cela, je ne l'oublie pas. Un jaillissement incessant qui me maintient éveillée. Tu ne me tueras pas, Société chérie, tu ne toucheras jamais à ma liberté. Pour cela, il faudrait que tu comprennes ce qu’est cette liberté. 

La frontière est là, ancrée, puissante tout autour de moi. Tu as voulu m’anéantir, tu m’as rendue indestructible.

*Ce texte est tiré d'un essai qui est resté au fond d'un tiroir...

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