La Convention a peut-être commis une erreur en faisant passer un texte, somme toute assez technique, pour une modification fondamentale de l’Union européenne. Maastricht proposait un changement tangible, avec une perte de souveraineté réelle : une monnaie unique. En 1992, la France savait (plus ou moins) sur quoi elle se prononçait : pour ou contre l’abandon du franc au profit de l’euro. Mais en 2008, quelle est la question posée aux Irlandais? Pour ou contre une Europe qui fonctionne mieux? Mais que veut dire «qui fonctionne mieux»? Si le texte bouleverse peu les souverainetés nationales, pourquoi les peuples devraient-ils se prononcer sur des modifications qui améliorent simplement le fonctionnement de la machinerie communautaire?
Passons en revue les modifications principales proposées par le traité de Lisbonne, et voyons en quoi elles réduisent la souveraineté nationale.
Le président de l’Union européenne? Il représente symboliquement l’Union. Il définit ses priorités. A peu près comme le fait, actuellement, le pays qui, préside l’Union européenne. Mais il n’a aucun pouvoir direct sur les Etats. Donc, peu de danger pour les eurosceptiques.
Le ministre des affaires étrangères? Son poste rationnalise la gestion des affaires étrangères, dédoublée actuellement entre la Commission et le Conseil. Mais pour autant, ce n’est pas lui qui décidera de la politique étrangère de chaque Etat membre. Du reste, la collaboration entre Etats membres sur les affaires étrangères – déjà inscrite dans les traités actuels – est loin d’être toujours respectée (ex : le Kosovo).
Une nouvelle façon de comptabiliser les voix des Etats membres? Oui, la pondération change. Au détriment notamment de la Pologne et de l’Espagne. Mais cela ne modifie qu’à la marge la capacité de négociation de ces pays. Et il faut, de toutes les façons, un minimum de 15 Etats pour adopter un projet, et de 4 pour bloquer une proposition.
Plus de majorité qualifiée ? Là oui, les barrières de la souveraineté se modifient. Où ça ? Dans le domaine de l’immigration et de la justice, principalement. La majorité qualifiée s’étend à l’immigration légale. Ce qui permet, par exemple, de définir des quotas de travailleurs immigrés au plan européen. La coopération policière en matière pénale passe à la majorité qualifiée. D’où plus de facilités pour échanger des données entre polices afin de poursuivre des criminels. Enfin, la coopération judiciaire en matière pénale passe, elle aussi, à la majorité qualifiée. Possible, dès lors, d’améliorer les droits procéduraux en définissant des normes européennes minimales. Comme la présence d’un avocat dès la première heure de détention.
Le traité de Lisbonne contient aussi d’autres modifications. Mais celles-ci, pour l’essentiel, donnent plus de pouvoir aux Etats et/ou aux citoyens. La Constitution devenue traité de Lisbonne créé donc des postes hautement symboliques, améliore le fonctionnement de l'UE, mais dans les faits, ne modifie guère l’équilibre des pouvoirs entre les Etats et l'Europe - hormis dans quelques domaines (principalement l'immigration légale et de la justice pénale).
Mettons-nous quelques instants à la place de l’électeur non familier des questions européennes. Le voici face à un texte qui fait grand bruit, incompréhensible, déjà rejeté par deux peuples, et dont on lui assure pourtant qu’il doit l’approuver. N’y a-t-il pas embrouille là-dessous ? Donc, méfiance et prudence. Autrement dit, NON.
Le prochain Conseil européen des 19 et 20 juin se penchera sur les solutions envisageables après le référendum irlandais. Les premières réactions des officiels européens laissent penser que cette fois-ci, le traité ne sera pas enterré.