Il n’y a pas qu’en France où les discussions s’échauffent, lorsque le sujet OGM débarque dans la conversation. Dans la capitale européenne aussi, le débat sur les OGM s’intensifie. Lobbys et associations se démènent régulièrement pour influencer la Commission qui, seule, détient le pouvoir de proposer – ou non – aux Etats membres d’autoriser la culture d’un nouvel OGM sur le sol européen. Une proposition qui joue ensuite un rôle clé dans le processus de mise sur le marché de la plante transgénique. Car pour contrer cette proposition, les Etats membres doivent réunir une majorité qualifiée qu’ils n’ont, sur ce sujet, jamais réussi à atteindre.

Peu étonnant, donc, que début mai, à une semaine d’écart, dans les pages du même hebdomadaire européen BASF s’offrait une pleine page de publicité pour vanter les mérites de sa pomme de terre transgénique, tandis que Greenpeace répliquait en utilisant une mise en page similaire pour dénoncer les risques de cette même patate.
Consciente de ses responsabilités, la Commission louvoie
Chahuté, critiqué, « lobbyé » de tous côtés, l’exécutif européen joue la carte de la prudence. Le 7 mai dernier la Commission a refusé de se prononcer sur deux dossiers d’autorisation de mise sur le marché. Elle a au contraire demandé à l’EFSA – l’agence européenne chargée d’évaluer les risques des OGM sur l’environnement et la santé, qui conseille la Commission – d’approfondir la copie qu’elle lui avait transmise. Il faut dire que, selon Marco Contiero, membre de Greenpeace Europe, les scientifiques de l’EFSA, trop peu nombreux, fonderaient leurs analyses sur les données fournies par les industriels, car ils n’auraient pas le temps de développer leurs propres modèles de recherche. Un argument qui n’est pas démenti par la Commission. Dans une interview accordée le 15 mai 2008 au quotidien économique belge L’Echo, la Commissaire à l’Agriculture, Marianne Fischer Boel, a reconnu qu’il « fallait renforcer le personnel de l’EFSA ».
Mais au-delà du passionnel ou des stratégies industrielles, quels les arguments de fond s’affrontent-ils sur la place bruxelloise ?Que du bon pour les agriculteurs, surtout dans les pays en voie de développement ?Dans le clan des « pro-OGM », on vante les avantages économiques des plantes transgéniques. Des bénéfices pour les agriculteurs comme pour l’environnement. Bonne résistance aux insectes, donc meilleurs rendements et moins de pesticides. Ce qui, au total, procurerait aux agriculteurs des revenus plus élevés et plus sûrs, malgré un coût d’achat plus élevé de la semence au départ. Plusieurs études de la Banque mondiale étayent d’ailleurs ces analyses et vont même jusqu’à conclure que les OGM, grâce à leurs rendements supérieurs, contribueraient à réduire la faim et la pauvreté dans les pays en voie de développement.La Commission confirme ces avantages économiques. Mais elle reste plus nuancée sur leurs bénéfices nets : dans un document de travail elle affirme que les « résultats sur la profitabilité ne sont pas clairs ». Selon elle, les rendements des OGM ne seraient pas systématiquement supérieurs à ceux des cultures traditionnelles, et certaines variétés d’OGM nécessiteraient un emploi fréquent de pesticides. Des conclusions similaires sont d’ailleurs tirées par les scientifiques de l’IAASTD (organisation de recherche sur l’agriculture, financée notamment par la Banque mondiale, les Nations unies et l’OMS), dans un rapport publié le 15 avril 2008.Ou que du mauvais pour l’environnement, la santé et… les agriculteurs, surtout dans les pays en voie de développement ?Alors, qui croire ? Greenpeace a beau jeu de s’emparer de ces incertitudes économiques, et d’y ajouter l’absence de consensus de la communauté scientifique sur les impacts environnementaux et sanitaires à long terme des OGM pour en faire un cocktail anxiogène. Pour Marco Contiero, « Nous ne sommes pas sûrs de l’impact de cette nouvelle technologie sur l’environnement et la santé. En vertu du principe de précaution, il faudrait donc l’interdire. »Mais comment expliquer, alors, le succès des OGM dans le monde ? La surface cultivée en maïs transgénique, par exemple, a progressé de 40% entre 2006 et 2007 (source : ISAAA). La Commission apporte un élément de réponse. Selon elle, les plantes transgéniques seraient moins contraignantes à cultiver, d’où leur attractivité pour les fermiers.Même avec la clause de sauvegarde, les Etats n’ont plus le mot de la finReste que, quelle soit la vigueur des débats nationaux et la pertinence des arguments échangés, un Etat seul n’a pas le pouvoir d’interdire ou d’autoriser la culture d’un OGM sur son territoire. La fameuse « clause de sauvegarde », activée en France par Nicolas Sarkozy le 11 janvier 2008, permet certes de suspendre la culture d’un OGM lorsque celle-ci présente « un risque pour la santé humaine ou l’environnement » (article 23 de la directive 2001/18/CE). Mais la Commission peut ensuite proposer, sur la base d’avis scientifiques incluant ceux de l’Etat concerné, la levée cette clause.Jusqu’au 6 mai dernier, une telle proposition n’avait toutefois jamais passé le cap de… la proposition. Car les Etats avaient toujours fait chorus contre l’exécutif européen. Une solidarité qui s’explique aisément. Car sur un sujet aussi sensible que les OGM, pas question, pour un Etat de s’aliéner ses pairs. Le risque de représailles est bien trop élevé.
Mais les temps ont changé. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas, partisans de longue date des OGM, semblent avoir fait des émules. Selon Barbara Helfferich, porte-parole de la Commission, le 6 mai dernier, les Etats membres ne sont pas parvenus à réunir une majorité qualifiée pour contrer une proposition de la Commission. Et voilà que l’Autriche est aujourd’hui dans l’obligation de lever sa clause de sauvegarde.Un cas qui pourrait bien faire école. A l’OMC, et les Etats-Unis ont relancé, en janvier 2008, le débat sur les clauses de sauvegarde. Ils reprochent notamment à l’Europe d’en faire un usage abusif. La Commission, poussée par Genève, pourrait donc hésiter de moins en moins à proposer une levée de ces clauses. Le feuilleton ne fait que débuter.