Tollé chez les pharmaciens. Interrogations du grand public. La campagne lancée par Michel-Edouard Leclerc le 11 avril pour vendre les médicaments hors ordonnance en grande surface a atteint son objectif : le débat bat son plein. Au tel point que la cour d'appel de Colmar se prononcera le 7 mai sur le caractère mensonger de ce spot publicitaire. Décryptage d’une proposition qui avantage le leader français de la parapharmacie, au détriment des pharmaciens certes, mais pas forcément du consommateur.
Dans sa campagne, M.-E. Leclerc affiche son souci de maintenir le pouvoir d’achat de ses clients. Mais les intentions du business man ne sont évidemment pas purement philanthropiques. Le marché des médicaments vendus sans ordonnance représente un pactole d’environ 4 milliards d’euros. Or l’automédication – l’achat de médicaments sans ordonnance pour se soigner sans passer par un médecin – se développe de plus en plus aux Etats-Unis comme en Europe. Et la France est plutôt à la traîne dans ce domaine. Le marché où Leclerc cherche à s’introduire dispose donc d’un potentiel de croissance très élevé.
Le beurre et l’argent du beurre
En outre, Leclerc gagnerait les avantages liés à la vente de médicaments sans ordonnance (une marge importante) sans les inconvénients que les pharmaciens doivent supporter (obligations de stocks pour les médicaments sur ordonnance, obligations d’ouverture à des heures de garde, etc).De plus, en raison de sa position de leader sur le marché de la parapharmacie (Leclerc possède déjà 100 points de ventes en France), l’entreprise pourrait se développer rapidement sans investissements trop lourds pour acheter et/ou construire des magasins.
Au final, une baisse probable du prix pour le consommateur
Pour le consommateur, l’entrée des supermarchés Leclerc sur le marché des médicaments vendus sans ordonnance (ou médicaments OTC pour Over The Counter) induira probablement une baisse des prix. Actuellement, les pharmaciens sont en effet libres de fixer les prix de ces médicaments – ce qui n’est pas le cas pour les médicaments vendus sur ordonnance dont les prix (et les marges des pharmaciens) sont fixés par l’Etat. Or les prix de certains médicaments OTC ont augmenté de 36% en 2006, et de 30% en 2007. Une augmentation que ne nie pas l’ordre des pharmaciens, mais qu’il explique par la hausse de la TVA sur ces produits (passée de 2,1% à 5,5%). Toutefois, cette hausse ne rend pas compte de l’augmentation totale : les pharmaciens ont donc probablement profité de la libéralisation des prix des médicaments OTC, pour augmenter leurs marges – ce qu’ils ne pouvaient pas faire avec les médicaments vendus sur ordonnance.
Au risque de voir disparaître des pharmacies ? Pas si sûr !
Au point où les médicaments OTC représentent plus de 7% de la marge brute des pharmaciens, pour un chiffre d’affaire d’environ 5%. La vente des médicaments OTC est donc, pour un pharmacien, bien plus rentable que la vente de médicaments vendus sur ordonnance. Logique que la profession s’affole. Si Leclerc entre sur ce marché, l’enseigne de grande distribution menace leur business le plus juteux. De là à déduire que la concurrence des supermarchés Leclerc pourrait entraîner la faillite de petites pharmacies rurales, obligeant alors le consommateur à parcourir de longs kilomètres pour acheter le médicament dont il a urgemment besoin, il n’y a qu’un pas que franchit allègrement l’ordre des pharmaciens. Mais contactée, cette institution admet ne disposer d’aucune projection statistique étayant son argument.
Le débat ne fait que naître. Dans les collimateurs de la Commission européenne, un dossier bien plus explosif pourrait rebattre les cartes : en mars 2007, celle-ci a mis en demeure la France de libéraliser la propriété des officines des pharmacies. Autrement dit, n’importe quelle société pourrait vendre tous les médicaments. Une situation qui existe déjà en Irlande, aux Pays-Bas, en Suisse, au Royaume-Uni et en Norvège. Cette position n’avantagerait d’ailleurs pas forcément les supermarchés Leclerc, qui, contraints de vendre tous les types de médicaments, seraient alors soumis aux obligations de stock, de délais et de jours de garde des pharmacies.