Heliomette (avatar)

Heliomette

Apprentie féministe et sociologue en dehors des heures de travail.

Abonné·e de Mediapart

3 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 février 2024

Heliomette (avatar)

Heliomette

Apprentie féministe et sociologue en dehors des heures de travail.

Abonné·e de Mediapart

Je déteste le travail : blues du dimanche soir

« Comment ça va ? » - « Comme un lundi… » Que ce soit cette phrase désincarnée ou des mêmes circulant sur internet montrant des salarié.e.s dégoûté·es de reprendre le travail après le week-end, ils traduisent tous un même malaise. Et si on arrêtait le travail ?

Heliomette (avatar)

Heliomette

Apprentie féministe et sociologue en dehors des heures de travail.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Comment ça va ? 

  • Comme un lundi… »

Que ce soit cette phrase désincarnée ou des mêmes circulant sur internet montrant des salarié.e.s dégoûté.e.s de reprendre le travail après le week-end, ils traduisent tous un même malaise. Le travail salarié est vécu comme une contrainte de plus en plus difficile à vivre. La pandémie de Covid-19 n’y est peut-être pas pour rien, et je me rappelle l’espoir fou que l’idée d’un « monde d’après » avait fait naître chez beaucoup de personnes à ce sujet.

Mais il n’y a pas eu de monde d’après, et le monde d’avant est toujours là, dans ses derniers soubresauts sans doute, il n’est pourtant pas encore prêt de partir. J’ai tellement de gens autour de moi qui souffrent au travail que cela ne peut pas être isolé. C’est une maladie souterraine. En ce qui me concerne, ce malaise ne me quitte plus depuis que j’ai repris mes études en 2017. Cela a créé une césure dont je ne me remets pas. Je bosse dans l’administration, je suis fonctionnaire. Tous les jours je passe des heures entre 4 murs à faire des choses que je finis par trouver absurde. Le fait que cette activité me prenne 10h de ma vie par jour me semble une injustice insupportable. J’ai conscience du fait que mon travail est beaucoup moins pénible que d’autres. Et cela me révolte encore plus : je pense au courage de toutes ces personnes qui ont encore moins de choix que moi et qui sont obligées de bosser pour gagner le droit d’être pauvre.

De fait, cela m’a rendue sensible aux discours de mes collègues. Et je vois maintenant tous les jours des remarques à ce sujet. Les uns se mettent des « carottes » au fil des semaines pour tenir jusqu’aux vacances d’été : programmer des petits séjours le week-end par exemple. D’autres refusent de prendre plus de responsabilités : iels ont trouvé un compromis qui leur permet de ne pas trop stresser au travail et de profiter un minimum de leur vie privée, même si le salaire est un peu moins intéressant. Mais toutes et tous ont cette fatalité en tête, ils n’envisagent pas que cela puisse changer. Les millions de personnes descendues dans la rue contre la réforme des retraites du gouvernement Macron étaient pourtant un signe fort de ce malaise vis-à-vis du travail.

Il y a peu, j’ai croisé une copine du lycée que je n’avais pas vue depuis 20 ans. Nous en avons 40 maintenant, et on s’est dit exactement la même chose malgré un parcours très différent : on en avait marre de nos boulots, ils étaient chiants.

Il faut dire que si un extra-terrestre nous observaient, il aurait de quoi être surpris par ce que nous nous imposons. Nos vies se concentrent dans des mouvements pendulaires lassants : le trajet domicile-travail. On l’insère dans notre emploi du temps entre les courses, le ménage, les devoirs pour les enfants, la cuisine, l’éducation parentale…C’est à en perdre la raison.

Mais en même temps, le travail salarié est une arme tellement puissante qu’elle nous écrase : je suis étonnée du peu de résistance que nous lui opposons. Certes, la première des raisons est économique, il faut bien manger, comme on dit. La deuxième raison est identitaire : la force normative du travail fait de lui un passeport social qui ouvre toutes les portes à la citoyenne et au citoyen lambda. La preuve de cette aliénation terrible est que nous passons notre temps à reporter ce que l’on ne peut pas faire en semaine le week-end et durant les vacances. Et une fois que celles-ci arrivent, rien de ce que l’on avait prévu ne s’est finalement produit. Car depuis notre scolarisation, nous avons l’habitude de découper nos journées pour qu’elles collent avec les exigences des horaires d’un travail à temps complet. Lorsque nous avons du temps libre, parfois, nous ne savons qu’en faire, nous ne savons pas par quel bout commencer…si cela correspond à une période de chômage, c’est encore pire : privé de notre passeport social, on peut parfois être incapable de se projeter, de profiter de ce temps qui nous est octroyé. Certain.e.s retraité.e.s traversent une période de dépression. Même nos vacances doivent être optimisées. Ne rien faire est un tabou social. Paradoxalement, on rêve d’être libéré du travail, mais nous craignons une vie sans contraintes : c’est peut-être ce que le travail fait de pire : il nous aliène à tel point que sans sa structuration temporelle, nous sommes perdus. Il nous vole un temps qu’il a lui-même contribué à façonner de manière délétère.

L’autre preuve de l’oppression qu’exerce le travail salarié sur les individus, c’est la soumission de la travailleuse et du travailleur à son propre bourreau : je connais trop de personnes prêtes à aller travailler malade, à faire des heures pour montrer que ce sont des bosseuses et des bosseurs : cela leur sert souvent à stigmatiser les personnes sans travail, pour se sentir supérieur. Il y a une forme de souffrance « christique » qui est encensée. Mais c’est aussi pour elles et eux, le signe d’une société qui ne fonctionne pas bien, un dérèglement : comment se fait il que celles et ceux qui jouent le jeu de la bonne travailleuse / du bon travailleur soient si peu récompensé.e.s ?

Nous avons été privé.e.s d’un débat sur le travail lors de la réforme des retraites. Il est évident que le travail, ce n’est pas que le travail salarié : toutes personnes aiment faire une activité qui lui plaît, pour lui ou pour autrui, pourquoi ne serait-ce pas du travail ? Les féministes l’ont montré depuis bien longtemps. Une égale répartition des richesses permettrait à toutes et tous de travailler moins de manière contrainte (car oui, la grande majorité des travailleurs n’adorent pas leur travail). Elle donnerait l’occasion aux gens de réfléchir, de se poser, de se former à autre chose, de profiter de leurs enfants, de leurs ami.e.s, de leurs familles. Ce temps rendu serait une arme bien trop dangereuse pour le capitalisme : il fabriquerait des citoyens éclairés, qui auraient le temps de s’organiser de résister et d’élaborer des projets collectifs. Il ne s’agirait plus de citoyens fatigués, que l’on cherche à dépolitiser.

Alors qu’est-ce qu’on attend ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.