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Billet de blog 27 août 2018

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UVF ( unités de vie familiale) article paru dans prison insider le 31 juillet dernier

Certains établissements pénitentiaires disposent, en France, d’unités de vie familiale (UVF) 1. Il s’agit de petits appartements meublés de deux ou trois pièces, séparés de l’espace de détention, où la personne détenue peut recevoir, dans l’intimité, sa famille ou ses proches.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le compagnon de Céline purge une peine de dix ans. Il est incarcéré depuis six ans lorsque la première demande d’UVF est déposée. Après des mois de visites dans des parloirs classiques, un premier séjour de neuf heures leur est accordé. Céline raconte.VOILÀ, tu as fait la demande au responsable des unités de vie familiale. J’ai renvoyé mon accord pour que nous puissions en bénéficier. Sans permission de sortie, c’est le seul moyen dont nous disposons pour pouvoir passer un moment ensemble.

Ce premier UVF durera neuf heures. Ce matin-là, je me dépêche de venir avec ma valise. Elle contient des draps en satin noirs...je te l'avais promis ! Et tout ce qui était noté sur la liste de choses permises que j’ai reçue par courrier. Un paquet de cigarette fermé, même si tu ne fumes pas : on ne sait jamais, ça peut te servir pour cantiner.
Le gardien vient me chercher à l’accueil famille et me fait tout vider sur une chaise. Les draps resteront dans un casier et attendront mon retour. J’ai pu faire entrer un flacon de gel douche, dans lequel j’ai mis de l’huile pour te masser. Nous n’allons pas passer ces neuf heures à regarder la télé !

Cette odeur de prison qui me suit partout

J’entre par la porte par laquelle je passe habituellement pour venir au parloir, sauf que là, nous tournons directement sur la droite pour rejoindre un escalier. Les portes qui sonnent sont nombreuses avant que je n’arrive enfin devant celle de l’UVF, que le surveillant m’ouvre.

J'entre dans un petit jardinet, très triste puisqu’il n’a pas de gazon. Jonché de mégots de cigarettes. Plutôt que de voir le ciel, j’aperçois au-delà des grillages... d’autres grillages.

Je suis le surveillant qui me fait la visite de l’appartement. Un petit trois pièces mis gracieusement à disposition. Enfin gracieusement...sous la condition que ton compte "prison" soit doté des 30 euros que t’ont coûté ces neuf heures, car tu es obligé de commander à la cantine de quoi boire et de quoi manger pour nous deux.

D’abord un petit salon, avec des barreaux aux fenêtres. Au milieu de la pièce se trouve un canapé-lit très usé qui fait face à une télé posée sur un meuble. Sur la droite, une kitchenette équipée à moitié déglinguée. Je sais que ce n’est pas pour l’hôtel que je suis venue. Le surveillant me fait faire un état des lieux. Il compte méticuleusement chaque petite cuillère, comme si j’allais refaire ma maison avec le matériel de la prison. S’ensuit un petit couloir, qui débouche sur une toilette. C’est spacieux, mais ça fait sale. Et cette odeur de prison qui me suit partout, c’est comme pendant les parloirs. Depuis le salon, je rejoins la chambre. Par terre est posé un filet de teinturerie rempli de draps et de serviettes. Je regarde le lit double au milieu de la chambre. Le matelas est plus petit que le cadre de lit, ça fait mauvaise figure. Au bout de la chambre, une salle de bain avec une douche à l’italienne. Nous entendons tout ce qui se passe à l’extérieur : les portes qui claquent, les sonneries, les clefs qui tournent dans les serrures.

Le temps passe trop vite

Le surveillant sort et moi, je m’active à préparer le lit pour lui donner meilleure allure. J’évite de scruter les draps, ils portent encore les traces des anciens locataires. Enfin tu arrives. Nous disposons de neuf heures pour nous deux, un peu moins d’une journée durant laquelle nous allons faire de notre mieux pour oublier l’endroit où nous nous trouvons. Nous regardons un peu la télé, tu me fais chauffer une pizza, et enfin nous buvons ensemble ce café attendu depuis six ans.

Le temps passe trop vite. Nous ne sommes pas programmés pour profiter de ce que l’on nous interdit en permanence.

Une heure avant la fin de l’UVF, nous nous disons que nous pourrions quand même profiter d’un câlin dans le lit. C’est bon, mais c’est court et c’est frustrant.
Un rappel que, même si nous sommes un couple, nous n’avons plus le droit d’être ensemble intimement. La justice qui t’a condamné m’a condamnée à attendre ta sortie pour redevenir une femme. Je ne suis, pour l’heure, qu’une femme de détenu. Voilà pourquoi les surveillants appellent les UVF les "baisodromes". Pendant les trois prochains mois, nous n’aurons plus le droit de faire l’amour.
C’est déjà fini, les surveillants reviennent te chercher. Nous le savions avant de rentrer, c’est encore pire maintenant. Nous avons goûté à un semblant de liberté, mais c’était un mirage. Après ton départ, je dois faire le ménage et tout ranger. Tu n’as même pas pu récupérer le reste de café, alors qu’il provient de la cantine de la prison. Ça te coûte de l’argent, et moi je dois repartir avec la nourriture en trop. Le mois prochain, je t’enverrai de l’argent par mandat, pour financer le prochain UVF, dans trois mois. Cette fois, nous aurons droit à une nuit ensemble, car il durera vingt-quatre heures.

La justice qui t’a condamné m’a condamnée à attendre ta sortie pour redevenir une femme


Céline H., pour Prison Insider

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