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Billet de blog 9 août 2024

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Bref compte-rendu du procès de Ritchy Thibault du 9 août 2024

Cette affaire constitue, de par la qualification retenue par le parquet et la lourdeur des peines encourues, une atteinte sans précédent depuis le début de la Vème République à la liberté d'expression. Ritchy Thibault et ses deux avocats, Alexis Baudelin et moi, attendions donc avec un certain intérêt l’audience de ce jour.

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Lors du salon de l'agriculture 2024, Ritchy Thibault a interpellé Emmanuel Macron en ces termes : « L'éborgneur, n'oublie jamais que nous sommes dans le pays de la Révolution française, le pays qui fait tomber la tête des monarques ».

Après avoir passé deux jours en garde à vue, il s'est vu notifier une convocation devant le tribunal judiciaire de Paris. Il est poursuivi pour avoir « proféré une menace de mort ou d'atteinte aux biens dangereuse pour les personnes à l'encontre d'une personne investie d'un mandat électif public, dans l'exercice ou du fait de ses fonctions ».

Il encourt une peine de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende (art. 433-5 du Code pénal) ainsi que des peines complémentaires de privation des droits civiques pour une durée de cinq ans et d'interdiction d'exercer une fonction publique pour une durée de dix ans (art. 433-22 du Code pénal).

Cette affaire constitue, de par la qualification retenue par le parquet et la lourdeur des peines encourues, une atteinte sans précédent depuis le début de la Vème République à la liberté d'expression. Ritchy Thibault et ses deux avocats, Alexis Baudelin et moi, attendions donc avec un certain intérêt l’audience de ce jour. Les quatre témoins cités par la défense étaient présents : le journaliste Enzo Rabouy et l’avocat David Libeskind, témoins directs des faits, ainsi que l'historienne Déborah Cohen et le boxeur Christophe Dettinger.

La présidente a annoncé d’emblée que l’audience était renvoyée devant une formation collégiale, soit trois juges. La défense s’est étonnée du choix initial de la date d’audience, un vendredi après-midi du début du mois d’août en plein pendant les jeux olympiques. Elle a indiqué qu’il faudrait prévoir une demi-journée complète d’audience eu égard à la complexité et à l’importance des problèmes juridiques et constitutionnels en cause dans cette affaire, le président étant le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire selon l’article 64 de la constitution.

Nous avons prévenu que le nombre de témoins cités serait sensiblement plus important qu’aujourd’hui et que nous demanderions le visionnage de l’ensemble des vidéos relatifs à l’interpellation et à l’arrestation musclée qui s’en est suivie.

Enfin et surtout, nous avons demandé si Emmanuel Macron avait été avisé personnellement de la présente audience et nous avons insisté pour qu’il le soie de la suivante. La comparution personnelle de la personne qui se prétend victime d’une infraction est importante pour qu’elle puisse faire entendre sa voix mais également pour que puisse avoir lieu la confrontation avec le prévenu qui, seule, permet de déterminer si l’infraction a bien été commise.

Ce principe a été rappelé avec force par la chambre criminelle de la cour de cassation dans un arrêt du 4 avril 2024 (n° 22-80.417). En substance, cette jurisprudence rappelle que s’il n’existe pas de possibilité de contraindre la partie civile à comparaître devant la juridiction correctionnelle, il appartient aux juges, dans la mesure où il n’y a pas eu préalablement de confrontation entre les parties, d’envisager l’ensemble des moyens procéduraux à leur disposition pour permettre cette confrontation et de vérifier si l’absence de la partie civile est justifiée par une excuse légitime.

La principale excuse retenue dans ce cas est la peur éprouvée par une personne qui peut présenter des facteurs de fragilité. En l’espèce, il est vrai que Monsieur Thibault est d’un gabarit passablement impressionnant et que la partie civile est incontestablement affectée par une certaine précarité, sa fonction actuelle étant exercée à durée déterminée sans aucune possibilité d’évolution vers une durée indéterminée dans le cadre de son poste actuel, ce dont on ne peut d’ailleurs que se réjouir.

L’audience a finalement été reportée au 26 mars 2026 à 9h devant la chambre correctionnelle n° 24/2. Cette violation manifeste du droit à être jugé dans un délai raisonnable ne doit en aucun cas s’accompagner de cette autre violation du principe du procès équitable défini par l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme que serait l’absence tout au long de la procédure de la moindre confrontation entre les deux protagonistes.

La confiance que nous devons naturellement à la justice de notre pays ne nous empêche pas de conserver une salutaire vigilance.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.