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Billet de blog 14 février 2019

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À propos des élites. Une conception républicaine et socialiste

Le terme élite est aujourd’hui fréquemment utilisé par les populistes qui l’opposent à celui de peuple. Dénoncer la reproduction des élites et en attribuer les causes à notre système éducatif est aussi un discours très répandu en France, et particulièrement à gauche. Ce constat et cette explication sont justes, mais trop sommaires et porteurs de confusion. Tout cela mérite clarification.

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Selon la plupart des définitions, une élite est dans une société un groupe restreint d'individus considérés comme les meilleurs, les plus remarquables par des qualités valorisées socialement, ce qui les rend les plus dignes d'occuper une place éminente.

Confusion à éviter

Une partie seulement de l'élite ainsi définie occupe une position dominante et les positions dominantes ne sont pas toutes occupées par l'élite. Pour illustrer cette affirmation, prenons l’exemple d’un brillant scientifique. Il fait incontestablement partie de l'élite. Cela n'en fait pas pour autant un membre de la classe dominante. Il suffit de parler à des chercheurs pour en être convaincu. Et certains dirigeants ne brillent pas par leur savoir et la pertinence de leurs choix ce qui ne les rattache pas à l’élite telle que précédemment définie.

Aussi les populistes se trompent et/ou nous trompent. S'il y a un combat à mener ce n'est pas contre les élites mais contre les classes dominantes, contre le capitalisme.

L'accès à l'élite ainsi définie doit être ouvert à ceux qui n'en sont pas issus, ce qui n'exclut pas une part de reproduction endogène.

L'appartenance à l'élite peut être fondée sur des valeurs diverses : savoir, créativité, altruisme... Dans notre société, la considération est très liée au système de valeur dominant, essentiellement l'argent et le pouvoir, les deux se nourrissant l'un de l'autre. Ceux qui détiennent l'argent et le pouvoir utilisent cette position dominante pour se perpétuer. Ils savent utiliser la sélection des élites à cette fin. C'est cette reproduction des classes dominantes, plutôt que celle des élites, qu'il faut contester et attaquer.

Pour des élites au service de la collectivité

Les élites sont utiles à la société. Et elles doivent servir nos valeurs fondamentales, notamment la justice, l'égalité, la solidarité, l'émancipation individuelle, la prévalence de l'intérêt général sur les intérêts particuliers. Dans son propre intérêt, la société doit reconnaître les aptitudes, le potentiel, l'excellence.

Elle doit donc offrir à ceux qui en sont doués une formation leur permettant d’exploiter ce potentiel. En contrepartie, ils ont le devoir d'être au service de toute la collectivité. L'appartenance à l'élite ne doit pas conduire à disposer de privilèges, de rentes ou de pouvoirs exorbitants. Ainsi ce ne sont pas tant les grandes écoles qu'il faut attaquer que la prééminence des grands corps de l'état auxquels on appartient à vie (Mines, Inspection de finances…), leur perméabilité avec les directions des grands groupes, les conflits d’intérêts qui peuvent en résulter.

L'histoire nous le montre, il ne suffit pas d'agir en fonction de son intérêt particulier pour servir par là même l'intérêt général comme le prétend la métaphore de la « main invisible du marché » d'Adam Smith ou le mythe de la théorie du ruissellement.

L'intérêt général d'abord !

Sa prévalence sur les intérêts particuliers doit s'imposer aux élites comme à tous. Cette exigence fait partie de nos fondamentaux. Elle doit être réaffirmée avec force par les partis de gauche et doit servir de principe directeur aux actions de leurs élus.

Contre la reproduction des classes dominantes

Il faut s'attaquer à son principal vecteur, la transmission du patrimoine, en créant un véritable impôt progressif sur le capital et les successions. Les hauts revenus, contrairement aux plus bas, totalement consommés, accroissent les patrimoines hérités. Il faut donc aussi réduire les inégalités de revenus en réduisant l'ampleur des écarts en amont (répartition primaire) et en aval (répartition secondaire) par la fiscalité.

Pour des voies d'excellence plurielles

Le terme élite est associé à l'idée d'une répartition de la société selon une échelle de valeur unique comme dans le « showbiz » et le sport où rares sont les élus et nombreux les laissés pour compte. Cette unicité perçue de la voie de réussite conduit de nombreux jeunes à s'engager dans des études qu'eux-mêmes et leurs parents jugent les plus prometteuses (scientifiques par exemple), même si elles ne correspondent ni à leurs goûts, ni à leurs capacités.

Les voies de réussites devraient au contraire être multiples et graduelles pour que chacun puisse aller vers ce qui le motive vraiment et là où il pourra utiliser au mieux ses aptitudes. Ce sera d’autant mieux accepté que l’échelle sociale sera, réellement et telle qu’elle est perçue, moins inégalitaire.

Pour une égalité de considération sociale

Il faut valoriser toutes les filières de formation et accorder considération et reconnaissance sociale à tous les métiers. Certains n'ont nul besoin de rémunérations faramineuses pour être attractifs et considérés. D'autres, manuels notamment, pourraient au contraire le devenir un peu plus s'ils étaient mieux rétribués.

Pour une véritable égalité des chances

Compenser les inégalités d'origine par la discrimination positive est une mauvaise solution, car cela peut créer de nouvelles injustices (le premier d'un groupe « défavorisé » doit-il passer devant le second d'un groupe « favorisé » ?) et des effets d'aubaine (changement de zone pour améliorer ses chances).

Une opinion répandue, notamment à gauche, est de rejeter et de diaboliser toute forme de sélection, et même toute forme d’orientation dans le système éducatif.

Mais ne nous leurrons pas et ne leurrons pas les jeunes, la sélection la plus injuste, la plus implacable s’exerce après les études, elle provient du milieu social d’origine, des « codes » et des facteurs culturels qu’il transmet, des informations dont certains disposent, mais qui sont inaccessibles aux éléments issus des milieux les plus défavorisés.

Pour mieux armer les jeunes face à cette sélection insidieuse a posteriori, pour leur donner les meilleures chances de réussite, quelques pistes pourraient être suivies :

  • Réduire la ghettoïsation des territoires, ce qui favoriserait l'émulation inter-classes.
  • Donner aux enfants à potentiel issus d'un milieu défavorisé la possibilité de s'ouvrir à une culture que ne leur offre pas ce milieu.
  • Élever par une meilleure information « l'horizon d'ambition » des jeunes souvent déterminé et limité par l'appartenance sociale.
  • Réinstaurer des bourses au mérite (généralisées, elles seraient trop coûteuses, donc attaquées et finalement vouées à un saupoudrage inefficace).
  • Mettre en place des modes de sélection réduisant les avantages et handicaps socioculturels du milieu d'origine et mettant plus l'accent sur les potentialités et les aspirations.
  • Lutter contre la dévalorisation des diplômes. Elle contribue en effet à démotiver les élèves, donne à ceux issus des couches populaires une illusion de réussite sans lendemain et les prive d'une réelle possibilité d'ascension sociale.

Henri Chazelle
Article déjà publié dans "Démocratie et socialisme" N°260 Décembre 2018

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