Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

171 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 avril 2025

Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

Attention danger !

Réactions suite au jugement prononcé à l'encontre de Marine Le Pen et de ses co-accusés pour détournement de fonds publics par le Tribunal correctionnel de Paris.

Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  "Sans règles, sans contraintes, c'est le néant où aucune liberté ne peut s'exprimer." Hegel.

     Ce matin, sur une radio périphérique, une voix de la raison, rare, résiste au flot politico médiatique qui, tel un tsunami déchaîné, déferle depuis hier et submerge les réseaux, les tréteaux, les plateaux, celle de Rémy Heitz, Procureur général près la Cour de cassation.

     Surfant avec calme et élégance sur les questions convenues en pareille circonstance, entendues sur toutes les ondes, la parole du magistrat couvre les clameurs scandalisées de celles et ceux qui, à la suite du jugement de la veille que vous savez, dénoncent, à l'instar de la principale mise en cause, Marine Le Pen, une décision qu'ils nomment "politique", hurlent au "déni de démocratie", fulminent contre une "violation de l'Etat de droit", pas moins. Le message est vertueux, pertinent et clair. Je résume : "Il faut de la mesure, il faut de la sérénité, il faut véritablement que la raison l'emporte…laissons la justice faire son travail en toute indépendance, en toute impartialité et dans la sérénité".

     Mesure, sérénité, raison, un triptyque pas vraiment au rendez-vous depuis vingt-quatre heures. Tout le contraire, en somme de ce qui se dit, s'écrit, urbi et orbi, dans le bruit et la fureur de protestations exacerbées, assorties d'affirmations péremptoires et de répétitions orchestrées qui, comme l'on sait, sont les deux premières armes rhétoriques de la propagande. On tonne, on claironne, on bastonne à tout va, la "tyrannie des juges", basta ! haro sur les magistrats !

     Car, figurez-vous, "L'objectif déclaré de la magistrate c'est de m'empêcher d'être élue à la présidence de la République" déclare la dame en question. Notez le savoureux et présomptueux être "élue". Ne sont-ce pas les électrices et les électeurs qui, probablement, pourraient vous empêcher, Madame, d'être élue présidente comme en 2012, 2017, 2022, si tant est que vous puissiez candidater ?

     En réalité, la méchante magistrate, et ses collègues, se sont contentés, si l'on peut dire, d'empêcher le pourrissement de l'affaire par de multiples recours dilatoires, alors que les faits sont visiblement accablants, et conduisent à un verdict approprié par une stricte application de la Loi, d'empêcher par conséquent qu'une candidate ainsi défleurie puisse prétendre accéder à la magistrature suprême qui requiert une irréprochable probité !

     Et le "système" qu'on dénonce avec tant de vigueur permet toutefois et légitimement, de faire appel à une autre Cour, à d'autres magistrats qui se prononceront, dans quelques mois, sur les mêmes faits, les mêmes délits et qui, sauf surprise espérée par les condamné.e.s de la première instance, confirmeront vraisemblablement le jugement du tribunal correctionnel, voire l'aggraveront ! Qui sait !

     En attendant, pour Eric Ciotti, par exemple, il n'est pas le seul, c'est la désolation, peuchère : "C'est une atteinte au principe démocratique majeur", pour l'ineffable Jordan Bardella, "Une négation pure et simple de l’État de droit", rien que ça, des experts vous dis-je. Le Premier ministre est plus nuancé qui se déclare "troublé par l’énoncé du jugement", on compatit. Si le ridicule tuait…Mais, bon, vu de l'étranger ce jugement est "un séisme politique" qui "laissera des traces dans le paysage politique français." (The Guardian). 

     Certes, mais, au lieu de s'extirper des gravats, de réparer les dégâts, de faire preuve d'humilité, et pourquoi pas de contrition, arrimé à des vérités alternatives, au mépris de toute déontologie politique, on s'en prend au sismographe, la Justice. On marche sur la tête car, loin de s'indigner que la ci-devant Présidente du FN devenu RN, soit punie, selon la loi, pour avoir détourné, sciemment, des millions d'euros d'argent public, on pourfend les juges, "de gauche", bien sûr, qui ont osé, horresco referens ! mésestimer sa "popularité" (les 37% des sondages rabâchés à foison) qui devrait lui conférer une immunité sensée la blanchir, au nom du "peuple", de ses actes délictueux !

     Et on s'affiche sans vergogne au 20h de TF1, non pas pour répondre de ses actes, qu'on occulte, mais pour contester publiquement une décision de justice et désigner à la vindicte populaire la Présidente du tribunal correctionnel qui a prononcé le jugement. Quand une personnalité politique utilise une tribune médiatique pour fragiliser l'autorité judiciaire et attaquer ses représentants, c'est l'Etat de droit et la démocratie, en effet, qui sont atteints. Attention danger, car, comme le pense le regretté François Ponsard, "Quand la borne est franchie, il n'est plus de limite."

     Questions qui me taraudent. Que penser du mutisme tonitruant du Président de la République garant des institutions et de la séparation des pouvoirs ? Que penser de cette déclaration de Jean-Luc Mélenchon (que diable vient-il faire dans cette galère !) : "La décision de destituer un élu devrait revenir au peuple." ? Que penser du soutien jaculatoire des Orban, Poutine, Trump, Meloni, Bolsonaro, grandes figures de la démocratie internationale et de l'indépendance de la Justice ? Le populisme a de beaux jours devant lui, hélas.

     Enfin, pour éviter de sombrer dans ce "néant" démocratique, dont parle Hegel, on attend un discours républicain cohérent et fermement assumé par les forces progressistes et humanistes de ce pays : la justice a rendu son verdict et sa décision s'impose à tous et toutes. Elle ne doit pas faire de distinction entre les puissants et les humbles car personne n’est au-dessus des lois. C’est le fondement même et la garantie de la démocratie de même que la séparation des pouvoirs qui doivent être scrupuleusement respectés. Les institutions républicaines doivent fonctionner librement, sans pression politique, en rappelant le principe laïque d'égalité devant la loi et la nécessaire probité des postulants aux fonctions publiques. On attend…

     On nous informe que le RN appelle à manifester dimanche prochain contre l’inéligibilité de Marine Le Pen.

     On agite le peuple avant de s'en servir !

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.