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Billet de blog 1 décembre 2025

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Faire son métier

L'avocat de Christophe Gleizes, Emmanuel Daoud, était l'invité de 7h50 sur France Inter, ce matin du 1er décembre 2025, interrogé par Benjamin Duhamel. Edifiant.

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      "Le vrai journaliste est celui qui vend la mèche en se brûlant les doigts." Pierre Nora.

     France Inter, première radio de France, dit-on (mais qui a paumé 458 000 fidèles en un an, passons…), entretien ce jour 1er décembre 2025, à 7h50, mené par Benjamin Duhamel, qualifié de "journaliste français" par la station qui l'emploie, fils de famille lactescent et phosphorescent.

     Sur la sellette matutinale, en direct d'Alger, notez-le, Emmanuel Daoud, avocat pénaliste au barreau de Paris, chargé avec son confrère algérien Amirouche Bakouri de la défense de Christophe Gleizes détenu en Algérie où il a été condamné à sept ans de prison pour "apologie du terrorisme" et dont le procès en appel aura lieu mercredi prochain.

     Alors que les réponses du maître sont claires, précises, mesurées, pour tout dire convaincantes, en revanche la prestation inquisitoire de l'examinateur charrie tout le pataquès idéologique (qui s'en étonnera ?) des préjugés dominants sur la supposée malveillance vengeresse de l'Algérie et de sa justice à l'égard de la France à travers l'un de ses ressortissants.

     Jugez plutôt.

     Le ton est donné, d'emblée, affirmatif et définitif : pour l'intervieweur, le malheureux prévenu est injustement enfermé en Algérie "pour avoir fait son métier", un chef d'accusation volontairement ténébreux quoiqu'intentionnellement limpide dans sa visée partisane. Par conséquent, nous avons là, c'est bien sûr, un prisonnier politique condamné en pleine période de tensions entre la France et l'Algérie.

     La première question fuse, d'une ingéniosité exceptionnelle et confondante tant la réponse est évidente, un stagiaire n'aurait pas fait mieux : "Est-ce que vous espérez une issue favorable pour qu'il retrouve sa famille et ses proches avant la fin de l'année ?" tartinée de toute la confiture sémantique d'usage.

     C'est alors, qu'élevant le débat, notre géopoliticien en herbe contextualise la situation actuelle : l'apaisement des relations de la France et de l'Algérie, c'est bien pour le mis en cause qui pourrait donc bénéficier de la détente entre les deux pays, notamment après la libération de Boualem Sansal le 12 novembre dernier, non ?

     S'appuyant sur le dossier de l'affaire, pleinement et librement accessible à la défense, notant que les deux cas n'ont "strictement" rien à voir, la réponse est cinglante : "Les avocats pénalistes ne sont pas là pour faire de la politiquemais pour faire leur métier dans le cadre d'un processus judiciaire pénal" !

     Bon, mais quand même, sans doute dépité par la leçon de l'avocat, le petit Duhamel enfonce le clou, la condamnation de Christophe Gleizes "c'est clairement un prétexte", oui, il a dit "clairement" et, accrochez-vous, parce que c'est un journaliste "français " victime d'irritations politiques franco-algériennes (dont la responsabilité incombe évidemment à Alger, ce n'est certes pas formulé, il n'a pas osé, mais ça perfore le non dit).

     Réplique tout aussi cuisante : "Je ne considère pas que cette condamnation est un prétexte", assorti d'un "la justice algérienne, elle est indépendante et souveraine", pour qui aurait prétendu le contraire !

     Alors, on insiste, on atteint les sommets : "…donc vous récusez l'expression d'otage d'Etat", le mot est répété trois fois…Et oui, Benjamin, "Je récuse cette expression" répond Maître Daoud.

     Puis, bienveillant, le "Comment va-t-il ?", traduisez, euh, ses conditions de détention ?  Elles sont "…au regard des standards internationaux dignes et acceptables…il n'y a pas de maltraitance, absolument pas." On perçoit, à travers les ondes, un silence étonné, dubitatif.

     Dernier rebond : "Quel est le climat sur place pour un avocat français qui vient défendre un journaliste français" ? et nouvelle réponse (décevante aussi ?), pas de problème pour celui qui s'honore d'exercer son métier "en pleine indépendance".

     Résumons-nous. Le parti pris idéologique suinte à travers les questions de Benjamin Duhamel : Christophe Gleizes est condamné injustement pour avoir fait son métier, c'est donc un prisonnier politique car citoyen français, vues les tensions sus mentionnées, mais le prévenu pourrait bénéficier de la détente d'icelles (grâce à Macron, sans doute ?), toutefois sa condamnation est clairement un prétexte, ne serait-il pas un otage d'Etat (question rhétorique)…et ses conditions de détention (horribles, n'est-ce pas ?) et le climat sur place pour un avocat français qui vient défendre un journaliste français ne lui fait-il pas prendre des risques…??? Fermez le ban.

     Truffés d'implicite, de présupposé, de sous-entendu, voici les ingrédients du ragoût de la doxa politique postcoloniale française à la sauce Retailleau !

     Le dernier mot revient à l'ange examinateur : "On pense très fort à Christophe Gleizes, journaliste sportif en prison…". Très bien, il le faut…Mais il ne peut s'empêcher : "… pour avoir fait son métier."

     Eh, "faire son métier", sur une radio publique, en toute indépendance et objectivité ? Est-ce trop demander à ce monsieur ? Et, s'il le pouvait, lui comme quelques autres d'ailleurs, France Inter retrouverait peut-être certaines couleurs, non ?  

     "Rien ne nous guérit d'espérer."*

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*François Mauriac.

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