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Billet de blog 2 novembre 2023

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Depuis le 7 octobre...

Recrudescence d'actes antisémites en France. Pour tenter de comprendre ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

        "Lorsque les lois de la gravitation ont été connues, l'homme a pu aller sur la Lune." Henri Laborit.

     Quand il s'agit d'analyser les circonstances d'un évènement, nous préférons bien souvent avoir recours à des histoires simples qui prétendent rendre compréhensible la complexité de notre monde incertain et mouvant. C'est le cas, plus que jamais, aujourd'hui.

     Depuis le 7 octobre 2023, plus de 800 actes antisémites ont été recensés sur notre territoire, beaucoup plus que pour la seule année 2022. Bien qu'aucun cas d’agression violente ne soit à déplorer, et c'est heureux, qu'aucune précision, ni sur leurs motivations ni sur l'identification des auteurs, ne soit clairement établie à ce jour par les enquêtes en cours, cette recrudescence inquiète, à juste titre, la communauté juive de France, entache gravement et dangereusement le pacte républicain. Le fait qu'une soixantaine d'étoiles de David aient été découvertes taguées sur des murs du 14ème arrondissement de Paris le 31 octobre a provoqué stupeur et désolation. C'est pourquoi, la condamnation, la solidarité, la vigilance, unanimes, sont de rigueur

     Mais, au-delà de la compassion et de l'indignation légitimes, si l'on veut vraiment connaître les lois de la "gravitation" des choses pour s'élever à comprendre, il est urgent, d'abord, de ne pas céder à l'emballement médiatique habituel et stérile, au piège des émotions débordantes, à la compétition malsaine des mémoires, à l'invocation de valeurs quasi sacrées, que ceux qui les proclament le plus haut, d'ailleurs, sont fréquemment les premiers à bafouer sans vergogne selon les circonstances qui les arrangent, enfin, à une vision manichéenne du monde qui défend la thèse abêtissante du conflit des civilisations.

     S'y abandonner, c'est courir le risque de se priver des éléments d'explication pour dévoiler une réalité terrible qui serait le produit de causes transcendantes, qui rendrait donc inéluctable et sans solution la catastrophe, sinon par l'anéantissement du Mal par le Bien, ou l'inverse ! source inépuisable de violences et de drames à venir.  Nier aveuglément, ou volontairement, qu'une tragédie, un conflit ou une guerre sont toujours les effets d'un processus historique, en occulter les enjeux réels, conduit inévitablement à une impasse conceptuelle et pratique.

     Pour ces raisons, on ne fera pas reculer l'antisémitisme par le recours ténébreux à une simplification idéologique commode et convenue qui, loin de les calmer, ne peut qu'exacerber les imaginaires et alimenter les fanatismes.  

     Dès lors, comment est-il raisonnablement possible de ne pas rapporter la recrudescence des actes antisémites constatée depuis début octobre aux raisons conjoncturelles et géopolitiques enchaînées aux évènements actuels et, notamment, à ce qui se passe à Gaza depuis trois semaines et maintenant en Cisjordanie, une explosion de haine et de violence, dans un contexte un peu trop longtemps oublié certes, mais qui révèle des effets dévastateurs dont les causes perdurent depuis des décennies ?

     Par ailleurs, le fait que, depuis juillet 2018, Israël se définisse comme "Etat nation du peuple juif"*, expose inévitablement à un raccourci, à un amalgame entre le soutien à une politique israélienne, qui peut être légitimement condamnée, et l'appartenance à une communauté qui se veut "la patrie historique du peuple juif, dans laquelle l'État d'Israël a été établi"*, ce qui ne peut qu'alimenter la confusion. Cet amalgame dangereux est, d'ailleurs, conforté par le jeu du Premier Ministre israélien Benyamin Nétanyahou qui encourage fréquemment et ostensiblement les Français de confession juive à quitter la France pour Israël.

     D'autant qu'ici, la communauté juive, à travers les prises de position du CRIF notamment, ne cesse d'apporter son soutien indéfectible et inconditionnel au gouvernement d'Israël, quoi qu'il fasse, y compris au mépris des droits internationaux les plus contraignants, taxe mécaniquement et brutalement d'antisémites toutes celles et ceux qui ont l'imprudence de le critiquer et de dénoncer sa politique coloniale agressive. La terrible équation qui en résulte s'auto-alimente, ce qui n'est vraiment pas de nature à apaiser les passions et à faire reculer la bête immonde.

     C'est pourquoi, c'est bien par le rejet d'approches identitaires et irréconciliables, fondées sur des récits plus religieux et civilisationnel, que politiques et dont les incidences, ne disons pas l'importation, ont les conséquences fâcheuses que l'on sait, par le recentrage sur les questions territoriales concrètes (telles que le retour des réfugiés palestiniens, le statut et le périmètre de Jérusalem-Est, le tracé des frontières et l'accès aux ressources, la question des colonies, bien sûr), par une lecture profane des évènements, un retour au politique, à l'histoire et à la géographie, que l'abcès sera percé et qu'on disposera, enfin, de quelques clés pertinentes de compréhension et d'outils de prévention productifs.

     Faute de quoi, il y aura peu de chances qu'on avance sur les voies de la paix et le spectre de l'antisémitisme aura encore de mauvais jours devant lui.

     Et puis, imaginez, un seul instant, dominant courageusement la douleur insupportable de la terreur subie sur leur terre, que de grandes voix juives, il y en a quelques-unes, trop rares, s'élèvent fortement et condamnent avec vigueur les crimes qu'elles ne peuvent accepter et supporter en leur nom, revendiquent le recours au droit et à la justice pour tous, militent pour un espace laïque et fraternel sur un territoire enfin pacifiquement partagé entre peuples trop longtemps cruellement opposés !

     Elles n'y parviendront pas seules, ces voix, certes, le désert est immense et aride, mais quand même... la donne en serait profondément bouleversée, le vide d'espérance en partie comblé, la réconciliation à l'horizon du possible. Mais qui le peut, mais qui le veut ?

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*Loi fondamentale d'Israël adoptée le 19 juillet 2018 par la Knesset

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