"La politique est l'art de concilier le désirable avec le possible." Aristide Briand.
A l'heure qu'il est, on peut penser, et déplorer, que la "gauche", n'a aucune chance de bien figurer à l'élection présidentielle prochaine. Cela n'interdit pas de réfléchir à la façon dont certains de ses candidats mènent campagne.
Passons sur les déclarations des caudataires inspirés comme Adrien Quatennens qui proclame dans Libération le 26 novembre "Le nom de Mélenchon résonne comme un programme", ou encore Manuel Bompart, qui, plus prosaïquement, affirme 3 jours plus tard sur twitter, "le mieux dans une élection c'est d'avoir un programme", assorti d'un sous-entendu sonore : les autres (à gauche, évidemment) n'en ont pas, y ont-ils jamais songé, les bêtassots ?
Justement, le programme, "L'avenir en commun" : il est prêt, il est replet, il est complet. C'est la source, la clé, le chemin tracé vers la victoire. Fastoche, puisque, selon une enquête de l'institut Harris Interactive parue le 26 août dernier, 60 à 80% des mesures (certaines, pas toutes) d'icelui programme (qui ne dit pas son nom dans le sondage, précisons-le), sont soutenues par les Françaises et les Français, un quasi plébiscite, quoi. "Il y a une majorité pour nos idées" pétarade aussitôt le candidat résonnant.
Bon, mais on reste, à l'heure qu'il est, autour de 10% d'intentions de vote. Alors ? Pour nombre d'électrices et d'électeurs, il semblerait que le désirable ne soit pas encore raccord avec le possible. Car le Grand Insoumis a beau affirmer qu'il est fin prêt à gouverner (mais, au fait, avec qui ?), la dynamique de campagne a du mal à prendre. Est-ce parce que, dans le système présidentiel actuel, on ne vote pas essentiellement pour un programme aussi bien ficelé fût il, mais, avant tout, pour un candidat, ce qu'on peut regretter, telle est grande la personnalisation outrancière de la vie politique sous la Vème République ? Alors, si tant est que l'élection présidentielle, clé de voûte des institutions, dit-on, soit la rencontre "d'un homme et d'un peuple" (un jour d'une femme, sans doute…), credo issu de la mythologie gaullienne depuis 1962, pour l'instant, le rendez-vous est encore incertain.
Près de 700 fiches, certes précises, détaillées, travaillées et, pour nombre d'entre elles, en phase avec les attentes d'un grand nombre d'électrices et d'électeurs, n'ont pas réussi encore à susciter une adhésion franche et massive, encore moins un élan ébouriffant. Soyons patients, nous n'en sommes qu'aux préliminaires de la campagne, mais, le détail n'ouvre pas le portail et on n'enflamme pas le désir avec un catalogue.
Et puis, on connaît depuis des lustres, le soupirant de la République. Réputé clivant, peu rassembleur, trop éruptif au goût de certains, l'impétrant, contrairement à la belle campagne de 2012 menée au nom du ci-devant Front de Gauche qui avait levé tant d'espérance, peine à séduire au-delà d'un territoire déjà ameubli. Il est souvent convainquant mais rarement persuasif.
"La politique est ce qui est faisable", pensait Max Weber, aussi on s'interroge sur les voies et moyens qui, le moment venu, permettraient la mise en œuvre effective des mesures radicales annoncées et validées par le suffrage, face aux résistances, aux obstacles divers qui s'y opposeraient inévitablement et vigoureusement. Sur quels leviers faire face à un Medef vent debout, aux carcans de l'Union européenne, aux institutions cadenassées, comment surmonter les rejets et les peurs, sur quelles représentations, quelles mobilisations, sur quelle ardeur populaire et démocratique bâtir un rapport de force conquérant ?
Faute de quoi, une fois de plus, la déception, la désillusion, mères de l'abstention, ravaleraient la politique à une machine à désespoir pour celles et ceux qui, pourtant, y auraient cru. Sans conscience de ces réalités, il n'y a pas de politique qui vaille. Alors, oui, le programme, mais il n'y a pas de politique qui vaille sans vision, sans "une certaine idée" d'un destin désiré et partagé et, pourquoi pas, sans lyrisme.