"Toute connaissance est une réponse à une question." Edgar Morin.
On connaît les classiques du genre : vous êtes réservé sur le mariage pour tous ou la PMA, vous êtes homophobe, sévère à l’égard du gouvernement israélien, antisémite, vous émettez un jugement négatif sur l’islam, islamophobe, vous n’avez rien contre le burkini, islamo-gauchiste, vous distinguez l’œuvre de l’auteur (Céline, Polanski…au hasard), raciste, sexiste, voire pédo-criminel, vous vous interrogez sur les causes naturelles du réchauffement climatique, climatosceptique, vous pensez que la transition énergétique ne peut se passer d’une part de nucléaire, fou dangereux, vous n’êtes pas favorable à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union Européenne, affreux poutinophile…Voilà, il est plus reposant d’étiqueter et d’attaquer les personnes que de disputer les opinions. Le Bien a parlé, taisez-vous, vous êtes le Mal.
Cette mise en boite systématique et paresseuse, ce prêt-à-porter standardisé fidèlement soumis aux contours du patron, qu’il penche à droite ou à gauche, permettent de gagner du temps, de renouveler le stock et de baisser les coûts de la pensée complexe. Autocensure douce, angoisse d’être clivant, minoritaire, singulier, d’affronter la critique qui dérange face au confort pantouflard du consensus ? Mais condamnation féroce et impitoyable de ceux qui auraient l’audace de sortir de l’atelier et de se risquer à la haute couture ! La question sera écartée, l’incertitude exorcisée, l’hérésie condamnée, découvrez-vous devant la procession, faute de quoi, en toute bonne foi, on vous mène au bûcher en chantant des cantiques.
Et voici, dernière en date et significative, la récente illustration de cette bienséance maltraitante, à la suite du vent mauvais soufflant de l’Atlantique, une demande, désormais quasi unanime (ça n’a pas toujours été le cas) de constitutionnaliser le droit à l’IVG qui existe en France depuis janvier 1975. Malheur à qui s’aviserait de s’interroger, je dis bien, seulement s’interroger, sur le bien fondé, l’utilité, l’opportunité d’une telle disposition ! Aussi sec, avec une robuste malhonnêteté intellectuelle, l’inquisition tente de pulvériser le porteur du doute, l’accusant, en vrac, d’être contre la liberté des femmes à disposer de leur corps en remettant en cause le droit à l’avortement, complice crypto-évangéliste des mouvements les plus réactionnaires, voire des juges suprêmes américains qui, eux, en effet, ont remis en cause ce droit. Et, cela va de soi, on disqualifie ceux qui ne pouvant "tomber enceinte" (sic) ne sont donc pas légitimes à donner un avis (si, si, lu sur twitter à l’adresse de F. Bayrou !).
Constitutionnaliser c’est graver dans le marbre, sacraliser, lit-on, bon. Même si en changer n’est pas chose facile, l’histoire montre, qu’aucune constitution n’est éternelle et, en France, elles se sont empilées, notamment à l'issue de crises majeures. En l’occurrence, on peut avancer que le combat est d’abord politique, culturel et social, pas institutionnel, qui consiste à faire en sorte que l’IVG, déjà inscrite dans un droit que personne, ici, ne remet en cause, soit effectivement comprise, facilitée et accessible à toutes, notamment les plus précaires, par l’attribution et la répartition des moyens nécessaires. La loi du 2 mars 2022, d’ailleurs, renforce ce droit.
Réagir à l’émotion, légitimement soulevée par la décision américaine, ne doit pas submerger la raison, interdire la controverse, traiter en ennemi ce qui n’est que contradicteur. Car le dissensus est créateur, la dispute féconde, la démocratie l'art de gérer sereinement l'espace composite des opinions, des antagonismes assumés. La République française garantit à chacune et chacun un droit et une liberté de conscience et d'expression par la Loi de 1905, et c'est heureux.
Il n’empêche, "La liberté d’expression reste un éternel combat."*
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*Siné.
On pense aussi à Voltaire à qui on a coutume d’attribuer : "Je ne partage pas vos idées mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez les exprimer".