"Il me convient d'être avec les peuples qui meurent, je vous plains d'être avec les rois qui tuent." Victor Hugo, septembre 1870.
Face au drame terrifiant et complexe secouant actuellement le Proche Orient, il est urgent et fondamental de se vouloir le plus clairvoyant possible, si l'on a, toutefois, la franche volonté de s'engager sur des exigences précises et cohérentes en faveur de la justice et de la paix.
La compassion et l'indignation sont légitimes devant les milliers de victimes, qui s'ajoutent aux milliers de victimes ensanglantant cette terre depuis un siècle. Car sous les sinistres statistiques devenues trop familières et scandaleusement banales qui défilent sur nos écrans chaque jour, il y a des noms, il y a des visages, il y a la ruine, la souffrance et le deuil. Alors, oui, la dénonciation, la condamnation des actions terroristes qui flambent depuis le 7 octobre dernier sont impérieuses et doivent être prononcées, sans réserve et avec la plus grande fermeté.
Mais, si l'on veut se faire une honnête opinion, éviter, à tout prix, de céder à l'emballement médiatique habituel et stérile, refuser l'hystérisation du débat, se libérer du piège des émotions et des passions exacerbées, écarter la compétition malsaine des mémoires, l'invocation rituelles de valeurs quasi sacrées, que ceux qui les proclament le plus haut, d'ailleurs, sont bien souvent les premiers à bafouer sans vergogne selon les circonstances qui les arrangent, enfin, ne pas céder à une vision binaire et simpliste du monde qui défend la thèse débilitante du conflit des civilisations.
Car s'abandonner à cela, c'est, à coup sûr, courir le risque de se priver de clés d'explication pour fuir l'ergastule vers un monde intelligible que certains voudraient faire croire asservi à des causes transcendantes et à des combats de dieux assoiffés. Si tel était le cas, inéluctable serait la catastrophe présente et à venir, sinon par le projet illusoire de l'anéantissement du Mal par le Bien, au risque que ce soit l'inverse !
Contester, aveuglément, ou volontairement, que cette tragédie, ce conflit, cette guerre sont les effets d'un processus historique au long cours depuis la fin des années 1930, où le territoire palestinien est entré alors dans un cycle de terrorisme et de violence alimenté par les deux parties et qui n’a jamais pris fin, en occulter les enjeux géopolitiques actuels, ne peut que chauffer les imaginaires, exacerber les fanatismes, répandre de front le poison de la haine antisémite et islamophobe et que réduire à l'impuissance.
C'est pourquoi, il est impératif de rejeter les approches identitaires ou essentialistes et, du coup, irréconciliables, fondées sur des récits de nature civilisationnelle, éloigner la religion qui tend de plus en plus, dans la période récente, à embrouiller et envenimer les choses, car, si arbitraire, si intransigeante, si dogmatique, elle interdit toute solution rationnelle. C'est un formidable enjeu car, loin de s’atténuer avec le temps, l’antagonisme s’est durci au profit des extrémistes des deux camps.
Au contraire, entreprendre sérieusement une lecture profane des évènements, recourir au politique, à l'histoire et à la géographie, si l'on veut percer l'abcès, dégager quelques éléments pertinents de compréhension et forger des instruments de cicatrisation possible.
Cela suppose de se recentrer sur les questions territoriales concrètes et non résolues depuis les "accords" d'Oslo de 1993, telles que le retour des réfugiés palestiniens, le statut et le périmètre de Jérusalem-Est, le tracé des frontières et l'accès aux ressources, en eau notamment, la question des colonies, bien sûr, qui, depuis des lustres sont à l'origine des affrontements récents entre Palestiniens et Israéliens. On ne peut pas faire de politique, en effet, en dehors de ces réalités.
Mais, aujourd'hui, l'évidence conduit à constater, et déplorer, que la situation soit totalement bloquée.