Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

169 Billets

0 Édition

Billet de blog 6 mars 2022

Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

Un visiteur inattendu

Le premier ministre israélien rend visite à V. Poutine pour tenter une "médiation" à propos de la situation en Ukraine.

Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                                      "Il est de faux dévots ainsi que de faux braves." *

     J'apprends dans le poste, ce matin 6 mars 2022, que M. Bennett, premier ministre israélien, s'est rendu à Moscou, hier samedi, pour rencontrer M. Poutine afin de tenter, dit-on, une "médiation" à propos de la guerre menée par icelui en Ukraine. L'entretien aurait duré environ trois heures. Qualifiée d' "impromptue" voire d' "historique", la visite était justifiée par une "obligation morale" d'essayer (sic) selon le dévot M. Bennett, qui n'a pas hésité à transgresser exceptionnellement le sacro-saint repos du shabbat. Détail important, le site Israël Valley, indique que "c'est en avion privé de petite taille", utilisé par le Mossad pour des voyages secrets, que N. Bennett est arrivé en Russie. Très bien. Au passage, il faut savoir que, sauf pour 25 milliardaires russes proches du président Poutine, pour le moment, Israël ne s'est pas joint aux sanctions prises contre la Russie et les avions, autres que celui susmentionné, continuent de voler entre Moscou et Tel Aviv.

     Quant au fond, les deux hommes ont historiquement et moralement échangé des propos sur la situation "autour de l’Ukraine" (re sic), selon les agences de presse russes ; le sort "des Juifs dans les deux pays en conflit…la mise en place de couloirs aériens qui permettraient d’évacuer ces derniers vers Israël" ; l'état (quel rapport avec l'Ukraine direz-vous ?) "des discussions en cours à Vienne pour rétablir l’accord nucléaire iranien de 2015, dont la Russie est signataire. Le Premier ministre a exprimé la position d’Israël, qui est opposé à un retour à l’accord nucléaire", selon les sources israéliennes.

     De l'invasion, de la guerre d'annexion menée par le despote russe, de la violation du droit international, des souffrances du peuple ukrainien martyrisé, de la nécessité d'un cessez-le-feu immédiat et d'une solution pacifique pour mettre fin à l'agression, rien.

     Fallait-il, d'ailleurs, attendre autre chose de cette tartufferie déguisée ? Venu "tâter le terrain diplomatique", selon une élégante formule du Figaro, sans doute d'une main baladeuse, M. Bennett s'était-il déplacé pour gronder le pantocrator du Kremlin, le ramener à la raison, lui donner des leçons de morale, lui rappeler le respect du droit ? Seuls quelques niaiseux utiles ou quelques acolytes cyniques auraient pu nous le faire croire.

     Car, celui qui est à la tête du gouvernement israélien depuis le 13 juin 2021, issu de l’extrême droite religieuse, celui qui refuse la création d'un État palestinien, celui qui déclare sans vergogne "Je suis de droite, et mes positions n'ont pas changé. Je m'oppose toujours à la création d'un État palestinien et je défends notre État" et encore "Je n'autoriserai pas de négociations politiques portant sur la création d'un État palestinien (...) et je ne suis pas disposé à rencontrer les dirigeants de l'Autorité (palestinienne)", celui qui prône l'annexion de près des deux tiers de la Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël, au mépris des résolutions de l'O.N.U., celui qui nie la colonisation israélienne car "il n'y a jamais eu d'Etat Palestinien", celui qui  traite les prisonniers palestiniens de "terroristes qui  doivent être tués pas libérés", celui qui méprise ce que dénonce Amnesty International dans son dernier rapport, "Ségrégation territoriale et restrictions de déplacement, saisies massives de biens fonciers et immobiliers, expulsions forcées, détentions arbitraires, tortures, homicides illégaux...système d'apartheid à l'encontre du peuple palestinien dans son ensemble", est-il le plus possiblement crédible, le plus moralement autorisé pour mener à bien un rôle de médiateur qualifié ?

     Et, au-delà de la piètre personne de M. Bennett, on ne peut pas ignorer le contexte qui perdure depuis plus de 100 ans, en effet, où Israël mène, les armes à la main, un projet sioniste, colonial et discriminatoire, à savoir, un Etat du peuple juif débarrassé de la présence autochtone palestinienne. Le soutien inconditionnel, militaire, financier, diplomatique, des USA, qui opposent leur veto à toute condamnation, le silence complice de la soit disant communauté internationale, l'incapacité de l'ONU à faire respecter ses propres résolutions, invalident tout crédit à la démarche "morale" de celui qui en bénéficie, les assume et les justifie.

     Faut-il en rajouter, qui pourrait conduire à quelques malheureux rapprochements avec la situation en Ukraine et que, quoi qu'il en soit, rien ne peut excuser ? 

     Cela n'a rien à voir, direz-vous. Vous avez raison, en effet : a-t-on entendu parler de condamnations, de sanctions contre un état qui pourtant, depuis des décennies, bombarde, assassine, colonise, expulse, discrimine, qui se contrefiche des résolutions de l'ONU ?

     Dans un improbable éclair de lucidité, M. Bennett aurait pu déclamer "Tout le monde me prend pour un homme de bien, mais la vérité pure est que je ne vaux rien."*

*Molière. Le Tartuffe ou L'imposteur.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.