"Une illusion de moins, c'est une vérité en plus." Alexandre Dumas.
Le 2 janvier 2023, Stéphane Alliès, journaliste, co-directeur éditorial de la rédaction de Médiapart, gamberge rondement sur la "crise de foi" (sic) qui traverserait la gauche française. Avec une gravité quasi théologique teintée, toutefois, d'un humour gringottant, il interroge : "Maintenant la gauche, c'est quand qu'on va où ?". Une analyse chiadée et proliférante, des constats accablants, des têtes de gondoles édifiantes, "impensé démocratique", "atrophie interne", "refondation incontournable". Et de conclure hardiment, à l'instar de son référent troubadour, à la nécessité absolue de crier "halte à tout" afin "de changer en profondeur les pratiques et habitudes."
Se demander comment conjurer le mal quasi idiopathique qui ronge une gauche asthénique, sonder le vide d'espérance qu'elle ne comble plus, redonner le goût et raviver le feu du désir chez les abstentionnistes, est une grande et hygiénique ambition qui mérite, en effet, réflexion et débat.
Ici, l'état des lieux est juste et sévère, mais le diagnostic lacunaire, la thérapie dubitative. Passons sur le vieux poncif éculé et commode qui dénonce les "appareils" sortants ou pas ; ce seraient plutôt une exemplarité à géométrie variable, des "renoncements à vouloir penser", un manque "d'ambition programmatique", des anathèmes et polémiques réciproques, un désengagement militant, une incapacité à reconquérir les terres où prospère le Rassemblement national, des errances géopolitiques, qui expliqueraient cette "situation banalement désespérante".
En effet, en résumé : forte d'un piètre potentiel de 32% (avec les voix écologistes) au premier tour de l'élection présidentielle de 2022, toujours fragmentée, hirsute, éparpillée, la gauche (encore faudrait-il donner sens à ce terme générique qu'Alexis Corbière avait qualifié de "répulsif" lors d'un débat télévisé au printemps dernier !), malgré de récentes gesticulations parlementaires bruyantes mais inaudibles, des motions de censure répétées mais sans effets, des mobilisations et rassemblements surnuméraires mais routiniers et stériles, se révèle depuis bien longtemps incapable de produire des transformation concrètes effectives, des avancées progressistes tangibles à l'issue de combats victorieux. Triste constat ! Pire, lorsqu'elle fut au pouvoir, les renoncements mitterrandiens (tournant de la rigueur…), les turpitudes hollandaises (genre CICE, Loi Travail…) et leur avatar macronien (pas besoin de faire un dessin…) ont parachevé un discrédit qui rejaillit encore sur les autres membres de la famille. Et ce n'est pas la NUPES, qualifiée de "façade sans lendemain, une fois assurée la reconduction de l’essentiel des appareils sortants" par l'auteur du papier (ah, les "appareils" !) qui, en l'état, augurerait d'un quelconque renversement de tendance.
Tout cela n'est pas faux mais l'évaluation reste encore à travailler lucidement et sans complaisance. Sans en appeler à une profane et salutaire épiphanie, se dire d'emblée qu'il n'y a pas d'engagement qui vaille en dehors des réalités fussent-elles cachées. Et si "La politique est l'art de concilier le désirable avec le possible" selon Aristide Briand, pour nombre d'électrices et d'électeurs, il semblerait que le possible ne soit pas encore raccord avec le désirable.
(à suivre)