"Espérer, c'est démentir l'avenir." Cioran.
Sur cette réalité flottante, partis et mouvements, chapelles et écuries, mentors et gourous providentiels, tourbillonnent, virevoltent, sautillent de cause en cause, pour tenter de satisfaire, au plus près, des appétits singuliers, parfois contradictoires, s'essoufflent et piétinent en vain alors qu'il faudrait concentrer les troupes pour réaliser la percée. Et les positions régulièrement centrifuges des syndicats, d'ailleurs si peu représentatifs, n'arrangent rien.
Ainsi, alors que des raisons objectives dont les effets sont des réalités connues, mesurables (précarité, inégalités, injustices, calamités climatiques, servitudes et crises diverses…), appellent des changements profonds jusqu'à une transformation révolutionnaire des rapports sociaux dominants, l'urgence criante d'iceux reste encore sans écho. Sans doute faut-il croire le bienheureux et fier Pierre Gattaz, ci-devant président du Medef, qui déclarait en 2018, "Nous avons gagné le combat des idées." Tout est clair, c'est diaphane : l'obstacle est subjectif, la bataille idéologique.
Face à l'arrogance de ce triomphalisme patronal, hélas fondé, la gauche offre l'image, non seulement de la dispersion, on l'a dit, mais, et surtout, d'une incapacité quasi structurelle à se penser (panser ?), à savoir de qui elle est le nom et quelle est sa véritable raison d'être.
La déculturation galopante qui la mine, le débraillé mental où l'émotion tient lieu de raison, quand ce ne sont pas des réflexes quasi pavloviens convenus face à l'évènement, la perte de repères communs et de références historiques, géographiques, voire littéraires, les déficiences théoriques en matière d'économie, de géopolitique, par exemple, les principes et valeurs à géométrie variable, la médiocrité d'un langage dont les mots jurent fréquemment avec les choses, l'éloignement négligent des populations, des quartiers et des territoires en souffrance, la distance avec la sphère intellectuelle, enfin, la capitulation paresseuse quand il s'agit d'affronter la complexité du monde, creusent un déficit de cohérence et de pertinence conceptuelles qui permettraient de débroussailler le chemin et d'ouvrir une voie humaniste et progressiste assumée.
Et dans une situation gravement troublée où la droite et ses extrêmes avancent leurs pions sans états d'âme, polluent les esprits, tiennent le tempo et le discours sur des thèmes peu nombreux mais récurrents, simplistes, martelés, (immigration, islamisation, sécurité…) complaisamment chevauchés par la cavalerie macronienne décomplexée, la responsabilité est lourde et la faiblesse devient coupable.
Certes, le meilleur moyen d'empêcher le Rassemblement national de progresser, c'est encore de ne pas lui fournir des raisons d'être, par des mesures économiques, sociales, territoriales appropriées, ce qui n'a pas été fait depuis quarante ans (il faut le temps et l'exercice du pouvoir pour cela).
Mais, à gauche, ce serait analyser d'abord, froidement, les racines et les lieux de ses implantations victorieuses, les ressorts et les attentes de ses soutiens et d'y répondre par une adresse ferme, argumentée, par un dévoilement convaincant de l'imposture et des dangers pour la sérénité sociale que représente ce mouvement, par un appel à la responsabilité pour les éviter, et, en fin de compte, de démontrer l'intérêt bien compris pour celles et ceux qui ont été dévoyés, de se tourner vers des solutions susceptibles de satisfaire véritablement leurs besoins et leurs espérances. Tout cela en évitant de s'en tenir au "Halte au fascisme" anachronique, cathartique et jaculatoire, plus contre-productif qu'efficace, ou de proclamer haut et fort comme la toujours emblématique Sandrine Rousseau, qu'un mouvement qui a recueilli tout de même 13 millions de suffrages au second tour de l'élection présidentielle et se trouve représenté par 89 députés à l'Assemblée nationale se situeraient "hors du champ républicain".
Alors, sans épuiser le sujet, disons que la refondation unitaire de la gauche qu'appelle de ses vœux Stéphane Alliès, se fera lorsque les forces qui la composent se montreront en capacité de capter au plus près et représenter les attentes populaires, sans repousser les classes moyennes, d'apporter des réponses réalistes et réalisables à court terme aux sujets les plus brûlants, de mobiliser, sans se disperser, sur des mots d'ordres précis et concentrés, de mettre en valeur, populariser et théoriser les nombreuses expériences réussies, les initiatives heureuses, l'économie sociale et solidaire, les combats locaux victorieux, de chasser les postures médiatiques erratiques, de créer les conditions pour permettre à un personnel politique véritablement représentatif, compétent et désintéressé, d'accéder démocratiquement, aux plus hautes responsabilités, de mener radicalement le combat culturel.
C'est sur ce substrat partagé que se refondera une possible union durable, en vue d'un horizon d'attente séduisant, sachant que "L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir" comme le pensait Jean Jaurès.