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Billet de blog 8 novembre 2023

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Coups de plumeau

Retour au local. Les questions de sécurité urbaine vues depuis une ville vauclusienne de 12 000 habitants.

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"Le rire seul échappe à notre surveillance." Natalie Clifford Barney. Pensées d'une Amazone.

     Conseiller d'opposition, lors du Conseil municipal d'Apt, le 7 novembre 2023, j'avais souhaité prendre connaissance d'un diagnostic détaillé, faisant apparaître dans quelles proportions les questions de sécurité pouvaient impacter la vie quotidienne de la population locale.

     Que l'ensemble du Conseil municipal et, au-delà, les citoyennes et les citoyens de la ville disposent d'un état des lieux clair et précis en matière d'incivilités et de délinquance, d'évolution observée dans la dernière période, pour se faire une juste opinion et apprécier la pertinence des moyens et dispositifs mis en œuvre par la commune et ses partenaires institutionnels pour y faire face, tel était l'objectif.

     Je notais dans ma requête que, si une réponse de nature "sécuritaire" pouvait être nécessaire, une politique dynamique de prévention, notamment en direction de la jeunesse, et d'implication active de l'ensemble des forces vives de la cité était fortement attendue et, selon moi, de nature à conforter la cohésion sociale.

     Pour répondre avec précision à cette problématique communale, éminemment politique, Madame le Maire avait cru opportun de faire appel à la déposition d'un capitaine et d'un lieutenant de gendarmerie responsables du secteur aptésien, afin d'éclairer les membres de l'assemblée de leurs lumières régaliennes.  

     Après avoir déclaré qu'ils n'avaient pas le droit de communiquer un rapport détaillé (et bien, flûte, alors !), car les chiffres devaient être "consolidés", mais pour ne pas, tout de même, s'être déplacés pour rien, les officiers fournirent quelques éléments d'information : au cours de cette année, la délinquance a globalement augmenté (atteintes aux biens plus 26,45%,  459 personnes victimes de dégradations ou "autres choses", 80 cambriolages constatés en 10 mois, soit plus 44,64%, 147 véhicules ou deux roues volés, soit plus 34,31%).

     Mais, de nombreux faits tiennent au trafic de stupéfiants et à ses aspects de plus en plus violents (tentative d'homicide, tirs d'armes, tabassage de deux "charbonneurs", séquestration de l'un d'eux, verbalisation de 433 consommateurs de drogues).

     C'est alors, qu'affirmatif et répétitif, le feu du discours à la gloire de la vidéo "protection" fut ouvert. On ne comptera pas moins de vingt et une occurrence du terme et de son outil de destruction magique, la caméra.

     "D'une manière globale pourquoi nous sommes intéressés par la vidéo protection ?" dixit le capitaine, question éminemment rhétorique. C'est pour l'effet dissuasif, figurez-vous, qui prévient l'insécurité, qui permet une meilleure élucidation des enquêtes judiciaires, on fait mieux que la moyenne nationale (bravo !), les gens nous remercient, en général (sic) ils en redemandent…

     Euh…au passage…n'y a-t-il pas là une légère contradiction à vanter les mérites des globes voyeurs dont la ville d'Apt est déjà truffée depuis 2016, et constater une augmentation de la délinquance ces derniers temps ?

     Mais, qu'à cela ne tienne, rassurez-vous bonnes gens, le résultat est bien là : "On arrive à faire bouger les délinquants", ça les dérange les délinquants, qui, pas couillons, s'il y a des caméras, évitent de s'attrouper dessous (sic) et se déplacent ailleurs, objectif qu'il faut poursuivre avec acharnement (répété huit fois, c'est dire s'il est pertinent), pour repousser le trafic en dehors de la ville d'Apt.

     Bon, un brin de lucidité, "les caméras ne font pas cesser la délinquance, elle va être déplacée ailleurs", une larme de compassion, "C'est triste pour les communes autour". Quel aveu, quel credo, c'est "l'effet plumeau" ! On déplace la poussière du risque sous le tapis accueillant du voisin !

     Mais, opiniâtre, le gendarme de conclure tout de même, au cas où cela aurait échappé aux conseillers municipaux encore en éveil, "Vous avez compris qu'on est très favorable a l'installation de caméras sur les quartiers principalement délinquants" et, conséquemment, soyons pratiques et constructifs, "Si la Maire partait (sic) sur ces cameras, ça permettrait déjà de libérer certains quartiers de la délinquance". Message reçu cinq sur cinq par icelle : "Pour moi, une politique de prévention, c'est aussi mettre des cameras". Et puis, c'est tout !

     Voilà, peu importent les études, les rapports, les évaluations, qui doutent de l’efficacité préventive de la vidéo surveillance et de son aide à l’élucidation, estimée marginale, on est dans le domaine de la croyance qui perdure et se renforce, dans le mythe de l'illusion technologique qui voudrait que surveiller l'espace public résoudra les problèmes de sécurité qui, au final, ne sont que délocalisés.

     Tel est, notamment, le constat établi par la Cour des Comptes dans un rapport publié en octobre 2020 et jamais démenti à ce jour. Vox clamantis in deserto, les marchands de lorgnettes ne manqueront pas pour longtemps de chalands compulsifs.

     Ainsi, au lieu de traiter ces questions autrement qu'avec de la surveillance, on fait de la surenchère. Les caméras, on va en mettre plus, même si ça ne marche pas ! Avec le risque de donner au pouvoir régalien un moyen de contrôle malsain sur la population, payé de surcroît par les contribuables locaux, plutôt que de réfléchir sereinement, sans dogmatisme, à des solutions alternatives. Pourquoi pas la présence humaine et plus opérationnelle d'une véritable police de proximité, au plus près de quartiers prioritaires, associée à une indispensable politique de prévention, sociale, éducative, culturelle, plus pertinente que la seule répression qui survient après coup, toujours trop tard, sans pour autant, au fil du temps, sécuriser quoi que ce soit ? 

     Je me suis déjà exprimé sur cette question, ainsi lors du Conseil municipal du 16 avril 2016, contestant la mise en place d'un système qui pouvait se révéler inapproprié, inefficace et inutilement coûteux, convaincu que la meilleure sécurité dans la ville c'était le lien social. De bonnes raisons pour persévérer !

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