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Billet de blog 9 mars 2024

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Sur un nuage

L'entrée de l'IVG dans la Constitution (sic) vue depuis les nues.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                            "Toute vertu est fondée sur la mesure." Sénèque.

     Au petit jour, ce 8 mars 2024, j'entends dans le poste* la bienheureuse Anne-Cécile Mailfert qui, en toute subjectivité, du haut des nues dont elle refuse obstinément de descendre, affirme qu'en bas l'air terrestre est devenu plus respirable depuis ce lundi qui, avec le vote du Congrès, a vu entrer l'IVG dans la Constitution (sic).     

     Car, voyez-vous, conservateurs rabougris et mâles non déconstruits, l'entrée de l'IVG dans la Constitution (re sic), c'est un triomphe féministe bien sûr, une fierté pour la France, "C'est le parfum de la liberté qui s'est répandu dans notre pays", la lumière portée pour les femmes du Monde.

     Tudieu, la fragrance a dû, sans doute, monter à la tête de la susnommée dont la ferveur lyrique et jaculatoire, l'assomption nébuleuse, feraient sourire affectueusement, si le sujet n'était pas aussi grave qui faisait dire à Simone Veil il y a cinquante ans “Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement (...) C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame (...) L'avortement n'est jamais une victoire.”

     Déjà, la présidente et cofondatrice de la "Fondation des Femmes", s'était distinguée en foudroyant Gérard Larcher "…visage d’une minorité réactionnaire qui menace les droits de toutes, au mépris de l’opinion de tous" qui avait, le malheureux, osé déclarer son opposition à l'inscription de l'IVG dans la Constitution tout en précisant, "Si elle était menacée, croyez-moi, je me battrais pour qu'elle soit maintenue".  

     Alors, quand les images du scellement "historique", genre évangéliste délirant, seront estompées, les discours protocolaires oubliés, une fois les éthers et les effets euphorisants de l'altitude dissipés, quand les pieds de la chroniqueuse retoucheront terre pour patauger sur les chemins de la réalité des situations et des actes, l'angelote retrouvera, peut-être, la mesure nécessaire, pour analyser plus lucidement l'état des lieux.

     D'abord, la Loi a légalisé, dépénalisé et encadré l'avortement depuis 1975-1979. Ce droit n'a cessé d'être renforcé depuis, la prise en charge sociale étendue et sécurisée. La loi du 2 mars 2022 a allongé de 12 à 14 semaines le délai légal de recours à l'IVG. Des avancées conséquentes. Ce que semble étrangement ignorer Annie Ernaux qui, emportée par un enthousiasme débridé, a osé déclarer "…cette liberté entre dans la Constitution. Il a fallu attendre 60 ans. Vous ne vous rendez pas compte." 

     Aujourd'hui, le texte constitutionnel, en effet, énonce : "La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse", assure une liberté qui vise à interdire pour l'avenir toute remise en cause par la loi. Ce serait donc "gravé dans le marbre" comme ils/elles disent. Mais, si en changer n’est pas chose facile, l’histoire montre, qu’aucune constitution n’est éternelle et, en France, 16 se sont empilées depuis 1789, et il y eut 25 révisions depuis 1958. Ainsi, la roche peut se révéler fragile, la gravure précaire.

     La réalité c'est que, selon les derniers chiffres officiels, 234 300 IVG ont été enregistrées en France en 2022. Une solution obligée pour beaucoup, une mauvaise solution, selon Simone Veil, on n’avorte pas de gaieté de cœur et c'est souvent suite à une situation difficile, un état de détresse physique, psychologique ou sociale. Alors, les activistes féministes peuvent bien le proclamer, "C'est mon corps, ma décision. C'est mon corps, c'est mon choix", trop souvent, pas d'autre choix, hélas, le seul mauvais choix.** Recourir à l’IVG, c’est d'évidence à la femme de décider en dernier ressort, mais l'homme, le compagnon, le conjoint, n'a-t-il pas son mot à dire, Mesdames ? Silence, la question ne sera pas posée.

     Curieux quand même qu'enivrée par cette célébration constitutionnelle, notre chroniqueuse ne s'interroge pas sur ce qui devrait être considéré comme fondamental aujourd'hui : que le droit à l'IVG soit effectivement compris, facilité et accessible par le développement et la répartition des lieux et des moyens nécessaires à le rendre effectif, ce qui est loin d'être le cas, ce qu'il faut dénoncer.

     Et, qu'en même temps, soit promue une vigoureuse politique de santé, familiale, éducative, culturelle, qui s'attaque aux inégalités sociales, pointe les carences d’une forme de responsabilité et de pratique sexuelle, y compris pour les hommes, corrige les lacunes en matière d’éducation et met tout en œuvre pour que le recours à l'IVG diminue enfin, que l'exercice de ce recours, toujours douloureux, reste une exception, que les meilleures conditions d'un choix de vie véritable, soit l'ultime finalité, libre et partagée.

     Une prochaine chronique, bien compostée, peut-être ?

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*France Inter, vendredi 8 mars 2024, 7h20, chronique "En toute subjectivité". Un 8 mars pas comme les autres.

**"Le seul mauvais choix est l'absence de choix." Amélie Nothomb, Métaphysique des tubes.

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