Dong, dong, dong, dong… "C’est le châtiment ! Faites pénitence ! La fin des temps est venue ! Tout le monde va périr", claironne le Prophète Philippulus à travers les rues de la ville. Et malheur à celui qui doute, qui ose s’opposer, pauvre Tintin, suppôt de Satan, serviteur de Belzébuth et tout le saint-crépin…
Soixante treize ans ont passé depuis la parution de "L’étoile mystérieuse", mais le carillonnant bonisseur du regretté Hergé a fait des émules et pas que d’encre et de papier cette fois. Car, figurez-vous , qu’en ce début de siècle, notre fin est annoncée, imminente, inéluctable. Bon, ce n’est pas bien original, c’est déjà écrit dans la Bible, depuis 2600 ans, Apocalypse 16.16 20.1-3, 7-10, mais cette fois, c’est du dur, c’est du brutal (avec un goût de pomme), comme l’affirment les nouveaux chevaliers de la susdite, les collapsologues.
"Collapsologues ", vous avez bien lu. Des spécialistes de l’éclampsie qui décrivent l’ensemble des manifestations convulsives et pathologiques dont serait victime notre pauvre monde, fatales et dans pas longtemps. Et là, pas de bulle, pas de fiction, c’est la science qui parle, une science toute fraîche, en grand appareil, à fort pouvoir heuristique: la "collapsologie" !
De la bouffissure verbale, rétorquez-vous ? Le terme vous exaspère ? C’est sci-en-ti-fique, vous dis-je ! Le logos, pas le pathos.
Basés sur le concept (sic) d’ "effondrement", les traits de ces nouveaux théosophes, bandés adroitement, fusent, rien ne les arrête, c’est la foudre, la tempête sur les hauteurs de Meggido. Le mal est fait, il chemine, il s'avance, pénètre une population tétanisée. Et l'on voit le pauvre diable, qui oserait en contester les formidables "découvertes", menacé comme un coupable, sous cette arme redoutable tomber, terrorisé.
C’est la chute finale, du passé faisons table rase.
Depuis 2015 et la parution de Comment tout peut s’effondrer, petit manuel de collapsologie à l'usage des générations” (45 000 exemplaires vendus) de Pablo Servigne et Raphaël Stevens et préfacé par Yves Cochet, l’ancien ministre de Lionel Jospin, une poignée de chercheurs en déconfiture ont gagné une audience médiatico-politique confondante et colonisé un vaste public qu'ils prétendent sensibiliser à l'urgence écologique et climatique.
Ces donneurs de cours du choir, ces morticologues de foire à tout, ces ordonnateurs de pompes funèbres, ont fait leur fond de commerce spéculatif et lucratif des dangers bien réels qui pèsent sur notre planète et affirment, collapsologiquement , dans une sorte de “bric-à-brac idéologique racoleur” (Daniel Tanuro, auteur en 2012 de L'Impossible capitalisme vert), que "L’effondrement est l’horizon de notre génération, c’est le début de son avenir." Ah, l’avenir a donc un début ? Bigre, nos horoscopistes distingués devraient relire Pierre Dac qui disait avec une grande sagesse "Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu'elles concernent l'avenir."
Mais qu’importe. Leur credo : sachons choir, sans chichis, et ne choyons pas chichement.
Qu’a-t-on besoin de ces compilateurs compulsifs de travaux scientifiques, réels et sérieux, eux, qui, depuis des lustres nous alertent sur les véritables enjeux environnementaux planétaires, de ce pataquès idéologique, d’un néologisme délirant cousu de fil blanc ? On a déjà le GIEC, ça devrait suffire, non ?
Et puis, si l’on veut se pencher sur le devenir précaire de notre humanité, d’autres références, autrement talentueuses et fécondes, peuvent accompagner notre regard et encourager avantageusement nos actions. Rendez-vous au rayon littérature ou philosophie de nos librairies de quartier. Vous n’y trouverez pas la "collapsologie", mais vous y ferez de belles rencontres.
"Le premier à comprendre et à exprimer la mutation subie actuellement par l’humanité n’a été ni un responsable politique ni un homme de science, mais un poète. En 1931, dans Regards sur le monde actuel, Paul Valéry écrivait : "Le temps du monde fini commence." Il est urgent de tirer les conséquences de ce constat : nous entrons dans une phase nouvelle de l’histoire des êtres humains…Ce constat n’est nullement une mauvaise nouvelle : il nous permet de définir avec lucidité les termes du contrat de mariage entre la Terre et l’humanité et de faire un projet réaliste sur la façon de vivre les uns avec les autres." Albert Jacquard.
Et encore, "Le temps serait venu de redécouvrir le sens du "commun" et de proclamer des "droits de la Terre ". Geneviève Azam.
Et toujours, Edgar Morin, défricheur de la complexité, chercheur infatigable d’une "voie susceptible de sauver l’humanité des désastres qui la menacent".
Le contrat, les droits, la voie…qui a dit "effondrement" ?
Alors, chers catastrosophes, s’il y a collapsus, dont vous êtes une remarquable illustration, ne serait-ce pas plutôt celui de la pensée, de la raison, de l’esprit critique ?
Quant à vous, zététiciens conséquents, ne laissez pas tomber…
PS. Remerciements à Hergé, Josias, Audiard, Rossini, Pottier, Devos, plagiés sans vergogne.