"Seul l’Esprit, s’il souffle sur la glaise, peut créer l’Homme." *
Rien à voir avec l'Evangile, (ils ne l'ont sans doute pas lu), qui montre Jésus traversant la meute de ses calomniateurs, et continuant droit son chemin, comme s'il n'avait rien entendu. Ici, pas de tragique, ni de sanglant, aucune croix, la cible, la victime, la proie, pourtant promise jadis à la mort et au néant par certains, est symbolique, les stations sont seulement pavées de procès d'intention, les clous sont des ragots, les épines, des injures, on reste civilisé tout de même, Dieu merci.
Figurez-vous que, lors du 39ème congrès de PCF qui s'est tenu à Marseille du 7 au 10 avril, Fabien Roussel, horresco referens, a eu l'audace de déclarer, notamment, (c'est en tout cas ce qu'en ont voulu retenir, avec un touchant ensemble, les exégètes incapables de rompre l'os et de sucer la substantifique moëlle), "La Nupes est dépassée. Il faut rassembler bien au-delà" et de prétendre laisser les communistes en débattre démocratiquement, (ils étaient réunis au Pharo, justement, pour cela…et ils ne s'en sont pas privés semble-t-il). Le but ? "Nous ne sommes pas là pour être les champions de l’opposition, nous sommes là pour gagner, gagner pour le peuple et avec le peuple !"
Séance tenante et sans vergogne, les bavardages ont déferlé, les invectives ont fusé, les piques scélérates ont giclé. Devant de tels propos blasphématoires, courtisans acharnés, procureurs anonymes, glossateurs patentés, s'en sont donné à cœur joie, ont brandi les fléaux, ont saturé les réseaux.
Ainsi, en parcourant twitter, par exemple, vous pouvez lire, à tout Seigneur tout honneur, "Quelle incroyable agressivité. Ça dure depuis 3 ans à tout propos, avant et depuis la NUPES. Nous n'avons jamais répliqué même sur la division dans la présidentielle 2022. Alors que se passe-t-il ? Bompard ouvre un débat d'intérêt commun sur la NUPES. Pourquoi exiger le silence ?" Un chef-d'œuvre définitif dont Jean-Luc Mélenchon a le secret ! Parler d'agressivité quand il s'agit d'évaluer légitimement un dispositif politique, (à moins qu'il ne soit sacré évidemment !) qui, tout de même n'a pas conduit à la victoire électorale, affirmer "nous n'avons jamais répliqué", de la part du pilote pantocrator, (propos pourtant démenti par les sismographes depuis des lustres), l'accuser d'"exiger le silence" au moment même où le partenaire souhaite libérer la parole et ouvrir le débat, il faut oser de la part d'un auteur modérément réputé pour sa sérénité et sa retenue !
Et la garde rapprochée a sonné la charge, taïaut, taïaut ! a craché sa lave et ses nuées ardentes pour ensevelir l'hérétique sous l'opprobre. Jugez plutôt. Sur France Info, le député LFI, Éric Coquerel a l'impression que "Fabien Roussel marque des buts contre son camp en voulant revenir aux années Hollande" alors que le mis en cause avait pourtant bien précisé "Nous devons parler à toute la gauche" mais "…notre programme ne saura s'accommoder du capitalisme, il portera avant tout une transformation sociale radicale. On ne peut plus doucher les espoirs du peuple. Le temps de cette gauche là est révolu. Elle a disparu avec François Hollande.". C'est clair, non ? C'est diaphane.
Pire, d'autres disciples de LFI, ainsi Jérôme Legavre ou Bastien Lachaud (et oui, ils sont députés !) ont ignominieusement assimilé Fabien Roussel à l'extrême droite, genre, "F. Roussel devrait profiter de son congrès à Marseille pour rencontrer R. Muselier, C. Estrosi, E. Ciotti, ça tombe bien, ils sont dans le coin", ou encore, "A force de provoquer et vouloir diviser la NUPES, F. Roussel reprend la rhétorique et les lubies de l'extrême droite. Navrant."
Bien qu'un sondage récent ait montré qu'après être entré dans le top 10 il y a quelques semaines, le député du Nord devient la 5e personnalité politique préférée des Français, notamment à gauche, l'incontournable Françoise Degois qualifie l'accusé (qui pourtant a déclaré : "Et notre démocratie, c'est ni dieu, ni césar, ni tribun mais la force du commun") de "plébiscité par la droite, diviseur de la gauche" et s'interroge gravement, "Comment peut-il s'imaginer en président ?"
Et puis, on a parlé des trous dans les frontières ! Alors là, quel bastringue !
Qu'a dit exactement Fabien Roussel ? "Une France forte et souveraine car c'est la condition de notre liberté. Une France forte pour tourner la page de ces années de déclin et d'affaiblissement. Franchement, regardez ce qu'ils ont fait de notre pays ces dernières années. Ils ont mis la France sur le Bon Coin, ils ont signé des traités de libre échange à tour de bras, ils ont transformé nos frontières en passoires et ouvert la France aux quatre vents, aux marchands et à la finance…Ils ont vendu le pays, c'est le grand déménagement industriel…"
Vous avez bien lu, ce sont les passeurs des marchands et de la finance qui sont clairement visés. Que nenni, Roussel s'en prend aux migrants, lit-on, comme le Rassemblement National, mais c'est bien sûr ! "Sérieusement camarades du PCF, on en est là ?" déplore affectueusement un ex-député Insoumis, Sergio Coronado.
De son côté, bon enfant, Thomas Legrand reconnaît que même si "personne ne peut décemment l’accuser de dérive xénophobe" (ouf, un commentaire honnête !) "le chef des communistes poursuit sa stratégie provocatrice et ses ambiguïtés pour tenter de ramener à gauche des électeurs partis à l’extrême droite. Risqué." Le cher chroniqueur (et les autres accusateurs) a oublié, à coup sûr, ce qu'écrivait le "chef des communistes" au Président de la République le 25 septembre 2019 : "Tous ces hommes et toutes ces femmes que vous stigmatisez sont nos frères et nos sœurs. Nous ne faisons pas de distinctions entre eux. Nous réclamons des droits pour tous, condition d'un accueil réussi. Le droit à la dignité humaine, dans un monde de justice et de paix, dans une France humaniste et universaliste."
Même l'ineffable Sandrine Rousseau fait semblant de ne pas comprendre. A moins que…"Nos frontières ne sont pas des passoires mais surtout les humains qui tentent de les traverser risquent leur vie. Chaque jour." Elle aurait été bien inspirée d'écouter Fabien Roussel, ce matin 11 avril, qui martèle : "Il n'y a pas de frontière pour l'argent, il n'y a pas de frontières pour les marchandises qui viennent de l'étranger et qui concurrencent les travailleurs français mais il y a des frontières pour les êtres humains qui meurent dans la Méditerranée."
Cela dit, que près de 600 délégués venus à Marseille de toutes les régions, tiennent congrès, débattent, votent, et décident démocratiquement à 83% des suffrages de la politique et des perspectives tracées pour un France libre, forte et souveraine, une France des jours heureux, ébauchent une alternative pour rompre avec des logiques économiques qui broient les êtres humains et abîment la planète, renouvellent leur confiance à 80% à leur secrétaire national, n'empêche pas les média mainstream de se boucher le nez ou détourner la tête. Le 20h de France2 lundi soir n'a rien vu, rien entendu ! Pas une image ! Le journal de France Inter de 7h mardi matin, pas un mot ! Ou alors, les résultats étant "sans surprise" comme le rabâchent les médias qui ont daigné couvrir (c'est le cas de le dire !) l'évènement, pour relativiser, édulcorer, minimiser la chose, genre, bof, on s'y attendait, c'était couru d'avance, pas la peine d'en faire un plat, tout commentaire serait oiseux. Mieux valait, à l'aube, bavasser avec gourmandise sur les pénuries à Cuba (comme par hasard !), thème récurrent, tellement cher à Anthony Bellenger ou encore, comme la bonne fée Soasig Quemeneur, se pencher sur les rêves de renaissance (sic !) de la gauche, pas la NUPES, l'autre, la gauche responsable (re sic) évidemment.
Sans surprise, oui, tous les ingrédients de la malveillance sont réunis, qui n'ont rien à voir avec une saine et nécessaire critique, une disputation honnête et respectueuse, un véritable état d'esprit démocratique. François Mauriac, évoquait un jour dans son Bloc-notes "cette forme assez basse de l'anticommunisme qui fait tenir aux gens intelligents les propos des imbéciles". Et ils sont nombreux, en ce moment, loin d'être tous intelligents !
Mais, pour finir, paraphrasant Saint-Exupéry*, voici ce qui me tourmente et, pour tout dire, me chagrine, c'est un peu dans chacun de ces hommes et femmes, la raison assassinée.
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* "Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. C'est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné." Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes.