"Si les faits ne correspondent pas à la théorie, changez les faits." Albert Einstein.
Il s'est indigné, il a condamné. Du haut de l'Olympe, la foudre est tombée. Lors du Conseil des ministres du mercredi 13 mars 2024, le Président de la République a dénoncé des propos antisémites "inqualifiables et parfaitement intolérables" supposés tenus lors d'une mobilisation pro palestinienne à Sciences Po Paris, salle Boutmy, la veille, mardi 12 mars. Sentence thaumaturgique mais jugement incontestable, partant, sans appel. Relayé par les médias mainstream, le prononcé a galopé, s'est propagé, s'est étalé.
Ainsi, réflexes pavloviens garantis, de leurs perchoirs respectifs, les plus hautes éminences de l'Etat ont chéri le propos, surenchéri, ce ne fut qu'un cri.
Voici, sous la forme d'une mise en garde tout en nuances, le Président du Sénat, sage parmi les sages, qui déclare "Sciences Po ne peut pas devenir un bunker islamo-gauchiste". Ou encore, la Présidente de l'Assemblée nationale qui s'offusque, tremblante, d'un : "Il n’est pas acceptable de faire ces actes de racisme et d’antisémitisme dans la société mais encore plus dans une université". Quant au Premier Ministre, pratique, efficace comme il se doit, il annonce, en conséquence, déclencher le feu de l'article 40 et saisit la justice, sous les applaudissements de BFMTV, qui juge cette réaction "salutaire" car, voyez-vous, "On ne peut pas laisser cette école devenir un bateau ivre", évidemment.
Impossible de ne pas citer l'incontournable et itérative Caroline Fourest, qui n'en est pas à son coup d'essai, et a dénoncé, sur RMC-BFMTV, le "racisme" et l'"antisémitisme" de ceux qui ont empêché une étudiante d'accéder à une mobilisation pour la Palestine (sic), ainsi, qu'au bas de l'échelle, pour l'anecdote, Julien Bahloul, propagandiste de son état (on dit "influenceur" en langue de bois), qui serait une "référence" (à quoi ? on se le demande), selon Aurore Bergé, ancien porte-parole de l'armée israélienne qui nous fait savoir doctement et en toute objectivité que "Sciences Po, autrefois formatrice des élites françaises est devenue une succursale de l'islamisme, du wokisme et de l'antisémitisme."
Toutefois, la Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, titillée sur France Inter à l'heure méridienne, a un peu perdu le cap de l'unanimisme, navigué à vue et tenté d'éviter les récifs d'un questionnement, ma foi, pertinent, à savoir : "Des propos antisémites ont-ils été tenus à Science Po Paris ?" L'auditeur a pu alors savourer et dans toute sa splendeur une langue de bois dont la fibre n'a pourtant pas pu dissimuler un bel aveu impensé.
Jugez plutôt : alors que la dame avait parlé précédemment de "ligne rouge" franchie à Sciences Po, puis s'étant déclarée diablement outrée par le fait d'avoir "envahi l'amphi" sans autorisation (sic), à la remarque de l'interrogateur notant humblement que, même si le Président les avait qualifiés de "parfaitement intolérables", on n'était pas sûr que ces propos aient été tenus, a répondu, et là, il faut tout citer pour apprécier pleinement : "S'il y a tenue de propos antisémites c'est quelque chose de grave et une enquête doit être menée pour établir les faits…Il est important que les faits soient étudiés…Quand il y a des propos antisémites on doit avoir une tolérance zéro on ne peut pas accepter ce genre de dérive et on ne peut que combattre l'intolérable…Ce n'est pas à nous de faire la preuve des choses. Le procureur nous dira si oui ou non il y en a eu…S'il y en a eu, on redira c'est intolérable." (Euh, et s'il n'y en a pas eu, on fera quoi, mea culpa, on rétablira la vérité, on s'excusera ?)
Ainsi, c'est clair, c'est diaphane, pour l'instant, nous avons la preuve qu'il n'y a pas de preuves qu'un acte antisémite ait été commis dans l'amphi Boutmy de Sciences Po. D'ailleurs, dans le journal "Le Parisien" du lendemain, l'étudiante qui aurait été "bloquée" explique, in persona, qu'elle a pu entrer dans la salle de conférence et affirme ne pas avoir entendu être traitée de juive ou de sioniste.
Alors, que valent les réactions indignées, les réquisitoires à priori des plus hautes autorités de l'Etat, quel crédit, quel respect accorder à ces manitous fébriles qui, avant que les faits soient établis, commentent, stigmatisent, condamnent ? Malhonnête et malveillante, cette imposture politique, épidermique, sans recul, est irresponsable, dévastatrice, car, non seulement elle blesse la probité intellectuelle mais, venant d'en haut, porte atteinte à la République. Intolérable !
Les mauvais esprits, ceux-là mêmes que dénonce la bien-pensance, ceux-là mêmes que l'on voudrait salir, estimeront, sans doute, que l'indignation masque la volonté de déconsidérer et de faire taire les tenants d'une cause juste. En l'occurrence, l'accusation infâmante et paralysante d'antisémitisme sert à brouiller l'intelligence des choses, pire, fait injure a celles et ceux qui sont réellement victimes du racisme et de la stigmatisation. C'est cette instrumentalisation fétide qu'il faut démasquer sans relâche. Pas facile, mais "Ce qui barre la route fait faire du chemin."*
On apprend que, selon l'ONU, il y a eu plus d'enfants tués à Gaza en quatre mois qu'en quatre ans de conflits dans le monde.
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*Jean de La Bruyère.