"L'histoire a pour égout des temps comme les nôtres…" Victor Hugo, Les Châtiments, 1853.
Selon l'AFP (13 mai 2022), "Des violences ont éclaté dans l'enceinte de l'hôpital Saint-Joseph de Jérusalem à la sortie du cercueil de la journaliste Shireen Abu Akleh quand la police a dispersé une foule brandissant des drapeaux palestiniens…" Relayée par l'ensemble de la presse moutonnière, cette dépêche, dont le choix des mots s'emploie, sans doute charitablement, à amortir le choc des vidéos qui ont fait le tour du monde et auraient pu traumatiser les âmes attentives à la défense des droits humains, quel que soit le territoire où ils seraient violés, en dit long sur l'état de sidération, d'asservissement, voire de complicité qui flotte sur les esprits et trempe les plumes dès qu'il s'agit d'Israël.
Ainsi des "violences" ont "éclaté" lit-on…Vous me direz, on a l'habitude de ces pudeurs lexicales car, depuis des lustres, on assiste, là-bas, de Cisjordanie à Gaza en traversant Jérusalem, à des "heurts", des "affrontements" (et, pourquoi pas, des chamailleries ?) dont on connaît l'horrible statistique des victimes, certes, mais sans visages et sans noms et dont les auteurs échappent toujours aux radars médiatiques. Ce "des", cette indéfinition de papier qui consiste à catégoriser sans nommer, cette neutralisation glaçante des faits, cette dépolitisation de l'évènement a le mérite, si l'on peut dire, d'occulter les responsabilités des coupables que les "alliés et amis indéfectibles" de l'Etat du peuple juif s'efforcent d'inlassablement protéger ou absoudre. Et, comble de l'indécence, on apprend que le cercueil, peuchère, aurait même "failli tomber" et, dépêcher, une seconde fois, la journaliste assassinée. Que la police israélienne, qui "a dispersé", tabasse sauvagement à coup de matraque et empêche la "foule" palestinienne d'accompagner sereinement la victime, cela ne sera pas dit, sinon relaté d'un anodin passé composé, circonstance atténuante, car ladite "dispersion" est décrite comme temporelle des "violences", pas causale !
Mais, dites donc, cette scène "émaillée de violences" tout aussi antalgiques, aurait, selon d'autres sources, suscité un "tollé international" et de nombreuses condamnations, notamment celle d'Antonio Gutterez dénonçant "le comportement irrespectueux de la police israélienne". Les Etats-Unis se sont déclarés "profondément troublés par les images"…euh, bon…et alors ? Là encore, quel vocabulaire délicat, "émaillée…irrespectueux…troublés...images" ! Tout de même, le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné à l'unanimité le "meurtre" de la journaliste (pourquoi récuser "assassinat" s'il vous plaît ?) et réclamé "une enquête transparente et impartiale". Elle aura lieu…diligentée par…la police de l'Etat hébreu…qui a déclaré préventivement que les policiers avaient été "exposés à la violence des émeutiers, ce qui les a poussés à recourir à la force." Ce "les a poussés", le summum du cynisme, du mépris, de la perfidie…
Bien entendu, les sectateurs officiels se sont empressés de justifier la ventilation policière, ainsi Meyer Habib, (étonnant, non ?) qui éructe sur twitter contre ces "hordes de palestiniens qui hurlent cet après-midi leur haine d’Israël autour des murailles de Jérusalem, capitale d’Israël" et qui a osé écrire, comble de l'abjection, que les Palestiniens sont "sans doute" responsables de la mort de Shireen Abu Akleh. En somme, la journaliste, pourtant vêtue d'un gilet pare-balles marqué "Presse", serait victime de ses fréquentations imprudentes lors d'une "opération" militaire israélienne en Cisjordanie occupée, partant, de la balle qui l'a frappée en pleine tête comme Rachel Corrie le fut, "sans doute", des chenilles du bulldozer israélien qui l'a déchiquetée à Rafah en mars 2003.
Justifiés par les uns, niés par les autres, banalisés par le plus grand nombre, les crimes israéliens sont pourtant réels et documentés depuis des décennies de colonisation, d'occupation, d'exactions à l'encontre des Palestiniens, dénoncés par les amis conséquents de la justice et du respect du droit, mais dont aucune sanction de la part de la soi-disant "communauté internationale" ne tente de mettre fin au mépris des victimes et de leur mémoire. Depuis 1947, les résolutions de l'ONU restent lettres mortes faute de volonté politique en vue d'applications énergiques à l'encontre d'un état dont le dirigeant actuel a pu déclarer jadis : "J'ai tué beaucoup d'Arabes dans ma vie. Et il n'y a aucun problème avec ça".
Parfois, à peine quelques hoquets d'indignation, rares.
Et le "tollé" finira aux tartisses.