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Billet de blog 16 juin 2022

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Le grand dérangement ou un désordre français

La grande peur des bien-pensants, une majorité Nupes à l' Assemblée nationale le 19 juin prochain.

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  «Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage» Montaigne.

     On connaît le grand dérèglement (climatique), on redoute le grand remplacement (démographique), mais quid du grand dérangement (politique) ?

     En ce moment, la planète enchantée macroniste ne tourne plus très rond, elle délire, elle oscille, ça donne le vertige. Frappées d’un mal qui répand la terreur, les victimes, nombreuses, s’agitent, gesticulent à tout-va, convulsent, une vraie tremblante, entendez leur clameur. La NUPES (puisqu’il faut l’appeler par son nom), capable de choisir en un jour Mélenchon, (via le suffrage universel le 19 juin prochain pour une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale), provoque des réactions allergiques violentes, des excrétions verbales qui embrènent l’ensemble des vecteurs de communication.

            Ce bouzin médiatique prêterait à rire s’il n’était colporteur de haine, semeur d’angoisses factices et révélateur de l’état de délitement, quasi psychopathique, de la vie politique actuelle. La médiocrité, voire la bassesse des attaques, la stupidité des médications prophylactiques, clystères et jambes de bois, prescrites par des Diafoirus lourdingues et arrogants, quand ce n’est pas le recours à l’exorcisme, pour tenter de conjurer l’affection, en disent long sur le sens et la considération des valeurs républicaines dont se réclament des foutriquets braillards qui les souillent allègrement sans vergogne.

     Quelques traits symptomatiques, florilège, en vrac : il faut voter pour une «social-démocratie lucide» (sic) face au «populisme» de Jean-Luc Mélenchon et de la NUPES (Jean-Yves Le Drian) ; le «populismede Mélenchon et de sa NupesMarchéDeDupes [ah quel humour!] est le cancer de la démocratie» (Jean Garrigues sur Twitter) ; il nous conduit à une «guillotine fiscale» (Gabriel Attal) ; «mettra le pays à genoux» (Le Figaro) ;  «le parti de Jean-Luc Mélenchon est celui de la soumission. Soumission à une idéologie collectiviste. Soumission à un parti autoritaire qui ressemble à un clan. Soumission au régime autoritaire de Vladimir Poutine. Soumission à une vision communautariste et à l’islam politique…[remarquable anaphore!]...Un trait de cette famille politique, c'est le complotisme» (Bruno Lemaire) ; «La France insoumise, c’est le nom que se donne la France soumise à l’islamisme» (Alain  Finkielkraut) ; «La Nupes, c’est comme l’herpès, c’est le mal qu’on aime pas et qui revient sans arrêt» (Anne Prost) ; «…régulation soviétique proposée par Jean-Luc Mélenchon», qui veut «une société où tout est interdit, tout est organisé » où «On ne pourra même plus couper son bois dans sa propre propriété» (Christophe Castaner); et un classique cancané à grands cris par l’ensemble choral macronien : «Le programme de Jean-Luc Mélenchon, il est tout à fait jumeau de celui de Marine Le Pen» (Amélie de Montchalin), nous y voilà, dos à dos les «extrêmes», et le "front républicain", tintin, CQFD !

     Vous en redemandez, voici quelques contributions lancées par la clique des aidants, plus proprettes, «manque de crédibilité», propositions «incantatoires», programme  «infaisable» et «inapplicable» (François Hollande) ; une «impasse» qui «rompt complètement avec l’Histoire de la France» (Anne Hidalgo). 

     Enfin, à l’instar de Joseph de Maistre, penseur conservateur, pourfendeur des Lumières, certains estiment qu’ «On n’a rien fait contre les opinions, tant qu’on n’a pas attaqué les personnes» et s’en prennent, ad hominem, au leader Insoumis, «premier menteur » (Elisabeth Borne) ; «Chavez gaulois» (Bruno Lemaire), «Che des calanques» (François Loncle), «néobolchevik» (Jean Viard), «mafieux» (Valeurs actuelles), donc, à mettre «hors d’état de nuire» (Christian Estrosi) sans préciser tout de même (c’est un humaniste), comme le fit Charles Maurras à propos de Léon Blum, que «C’est un homme à fusiller, mais dans le dos», lui qui pourtant «ferait tirer sur la foule qui n’accepterait pas ses décisions» (Michel Onfray). 

     Terminons par le haut, si l’on ose dire. Le Président, avant de turbiner pour la Roumanie, s'est adressé aux Français depuis Orly, les exhortant à ne pas ajouter un «désordre français au désordre mondial» et à lui donner dimanche une «majorité solide» car «aucune voix ne doit manquer à la République». La solennité du propos peine à masquer la trivialité du contenu, car le Président d’une République indivisible et laïque, garant de la Constitution qui l’institue, sépare et prend parti en fustigeant ceux qu’il nomme, là aussi, des «extrêmes», et, sommes toutes, les expulse du champ républicain (et dire que le mouvement qui le soutient s’appelle «Ensemble» !). Cette posture partisane décomplexée est grave et dangereuse si l’on conteste que la démocratie c’est le libre choix et que ce sont les citoyennes et les citoyens qui font un République qui appartient à tous. Bref, c’est le sketch «Moi ou le chaos» actualisé. (Hegel remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois et Marx précise «…il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce», Nous y voilà, ainsi Macron pour de Gaulle.)

     De ce fait, perdant le sens de la mesure, fondatrice de toute vertu selon le regretté Sénèque, on refuse la confrontation salutaire, on infuse le rejet et la peur, on fabrique des monstres et, à défaut de pouvoir «dissoudre le peuple et d’en élire un autre» (Bertolt Brecht), on le méprise, on le disqualifie, on ferme la porte aux barbares, partant, on bafoue la démocratie, on carabosse la République.

     Certes, tout cela n’est pas nouveau, depuis l’homme au couteau entre les dents de 1934 jusqu’à l’arrivée des chars russes sur les Champs Elysées en 1981, les bobards ont fleuri. C’est une tradition. Car, de tous temps, on a vu défiler de pareilles outrances, tant le monde des puissants et des dominants a redouté l’irruption populaire qui gripperait la machine, qui bousculerait l’ordre établi et qu’ils nomment désordre.

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