"En politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai", selon Talleyrand.
Un triste constat, toujours recommencé, hélas. Alors même que les connaissances, portées par de formidables moyens d'information et de communication, pourraient offrir au monde contemporain un canevas universel propice à de la belle ouvrage humaine, un nouveau climat "romantique", relativiste et simplificateur, provoque, sinon favorise, l'oubli de la raison. Et le canevas se délabre.
Oui, il semble beaucoup plus commode de croire que de comprendre. Une calomnie passe mieux qu'un démenti, un slogan qu'une démonstration, une promesse qu'un engagement. Comprendre exige une volonté, une énergie, peut-être une audace. Certains n'y sont pas prêts, par paresse ou par intérêt. Ils prospèrent dans l'ombre de la médiocrité. Et quel boulevard pour la pensée magique ! Ses armes ? La force simplificatrice de son idéologie, la trivialité d'un langage émotionnel, les évidences du café du commerce. Dans ce pauvre théâtre, on représente, au 20 heures ou dans les feuilles locales, le combat du Bien et du Mal, la défense de la Vertu contre le Vice, à coup d'anathème et d'exclusion, chacun jouant son rôle avec application. C'est le mélodrame quotidien où "Meilleur est le méchant, meilleur est le film" comme disait A. Hitchcock. Alors qu'il faut réconcilier, rapprocher, rassembler, on divise.
Choisissons la lumière, au risque d'y être exposé. Osons savoir, avec courage, comme nous y invite Kant depuis plus de deux-cents ans. A l'arrogance des certitudes sans preuves, opposons le pari de l'intelligence, car c'est bien cela s'engager : tenter de s'adresser à l'intelligence des autres, la solliciter, la promouvoir. Un pari assorti d'une volonté, à faire triompher une idée, une conception, à mettre son action au service d'un projet qu'on pense utile et juste, mais dont on mesure lucidement les risques, les limites. Avec humilité, car "apprendre lance l'errance" (M. Serres) et tout engagement rencontre l'incertain. C'est pourtant la seule voie vraiment raisonnable.
Le contraire de la démagogie et du marketing politique. Rien à voir avec les promesses, électorales, qui, non tenues, ont pourtant un bel avenir et rendent les enfants joyeux, dit-on. Faire des promesses c’est donc prendre les électeurs pour des enfants. Candides ou crédules, des mineurs qui croient trop facilement et trop naïvement aux choses, même les plus invraisemblables. C'est "Martine au pays des contes" ! Or les citoyens ne sont ni des enfants sages ni des consommateurs passifs. Ils réfléchissent, doutent, certains se détournent. Mais l'abstention parfois massive aux élections ne doit pas masquer le désir de politique : les électeurs veulent être entendus, pris en compte, veulent voir leurs choix respectés. Ils s'intéressent à la vrai vie, ils s'intéressent à la cité et au monde, ils veulent agir. Chaque candidat serait bien inspiré de les considérer comme des producteurs, d'idées, de convictions, de propositions, et de penser chaque élection comme un grand moment d'éducation populaire et non comme une séquence rituelle d'abêtissement collectif où la liberté de conscience est alors agréablement assoupie et où chacun, à terme, pourrait bien se voir épargné du "trouble de penser et de la peine de vivre" , selon la formule de Tocqueville.
"La démocratie, c'est d'abord un état d'esprit" écrivait P. Mendès-France. Au service de l'action publique. S'y engager exige désintéressement, attention, probité. Une seule visée : l'intérêt commun, en rappelant aux citoyens que, quels que soient leurs désirs particuliers, si légitimes soient-ils, ils doivent se considérer porteurs de volonté générale"c'est à dire d'une faculté de vouloir ce qui vaut pour tous et non ce qui ne vaut que pour eux seuls." (H. Pena-Ruiz). C'est cela l'exigence républicaine.
Et la preuve par l'action. Si l'action est bien le début d'un engagement, ceux qui se soumettent au renouvellement du suffrage peuvent déclarer "Voilà ce à quoi nous nous étions engagés, voilà ce que nous avons fait, ce qui nous reste à faire, ce que nous n'avons pu accomplir. Et pourquoi. Quels étaient les enjeux, quels étaient les obstacles, que furent nos choix". Bref, parler vrai, ne pas tricher. Dès lors, il appartient à chaque citoyen honnête de vérifier, jour après jour et tout au long du mandat, si les engagements sont tenus. Certes, cela demande quelque effort, mais la recherche du vrai et du juste est à ce prix.
Et encore ce qu'ils pourraient dire : "Amis, ne vous laissez pas tromper, dédaignez nos sycophantes de tout poil qui balancent entre la pose et la posture, reconnaissez la voix du loup devenu berger, percez le secret de Mélusine, démasquez l'imposture. Relevez le défi, nous tiendrons le pari".