Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

169 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 octobre 2023

Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

Les raisons de la colère

Les évènements dramatiques du Proche-Orient. Difficile d'en débattre.

Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  «La colère est la non acceptation de l’inacceptable.» Marek Halter.

     Aujourd'hui, tout débat rationnel sur le «conflit israélo-palestinien», pitoyable euphémisme, se révèle pratiquement impossible et qui s’y risque s’expose. Car, prononcer une quelconque parole pas bien dans l’axe du quasi théologique «soutien indéfectible» à Israël, proclamé haut et fort par les grands, de Jo Biden à Olaf Scholz en passant par Emmanuel Macron et les petits, de François Hollande à Xavier Bertrand, vous place sur la sellette et vous conduit aussi sec au bucher. Autant vouloir transporter des bidons de dynamite dans une brouette bancale sur un chemin caladé. Peu de chances qu’on arrive à destination !

     Pourfendeurs de la complexité, fondamentalistes du déni, platistes conséquents, affirment, proclament à l’envi, en bons rhétoriciens ès propagande, des vérités absolus, définitives, quasi sacrées, et s’évertuent à dégommer, comme dirait l’ineffable et distingué Enrico Macias (1), quiconque s’aviserait, peuchère, d’explorer d’autres chemins que celui qu’ils ont, depuis des lustres, tracé à coup de bouteurs.

     Ils sont là, mythographes et pneumatomaques qui vibrionnent sur les réseaux et les plateaux, et, à l’instar des vouvouzelas dans les stades sud-africains, leur bouzin médiatique couvre la voix de celles et ceux qui ont recours à l’histoire, qui pensent mal, qui réfléchissent trop. Inconditionnels du poncif, ils répètent en croyant prouver, ils n’ont pas de doutes, comme tout idiot convaincu, c’est fascinant. Et pour celles et ceux, les malheureux, qui s’aviseraient de renverser la table, rebattre les cartes de l’analyse géopolitique, de bien nommer les choses, d’appeler crime de guerre toute atrocité quel qu’en soit le lieu et l’auteur, le destin est irrémédiablement scellé, les voici étiquetés antisémites, pro Hamas, islamogauchistes et autres qualificatifs définitivement dégradants, voilà tout !

     Passons sur les vociférations rituelles et haineuses d’un Meyer Habib, les anathèmes outranciers du CRIF, tous, on le sait, sont des compagnons de route inconditionnels du gouvernement israélien et aucun discours aussi mesuré soit-il ne pourra les faire évoluer vers une quelconque et salutaire remise en cause.

     Et, par exemple, il suffit de parcourir X, ci-devant Twitter, pour croiser le meilleur de la pensée manichéenne, des tenants de «la question ne sera pas posée», du « ça ne se discute pas», point, sauf à être partisan du terrorisme, évidemment ! (2)

     Puis, on atteint l’acmé, voici un «philosophe», Raphaël Einthoven qui déclare «Rien n’est plus monstrueux (sic) que de vouloir expliquer la barbarie et de se donner l’air (re sic) de mieux la comprendre en le faisant» et qui ajoute «vouloir raisonner ici c’est monstrueux». Ce genre de commentaire fait froid dans le dos qui prône violemment l’abolition de la connaissance et qui, selon Bertrand Badie, «fait référence à une démarche totalitaire». Cet interdit de décrypter, y compris, et surtout, le tragique, est mortifère, non seulement pour la liberté de conscience et son expression que l’on prétend bâillonner mais aussi pour la recherche éclairée d’une voie possible vers le reflux de l’intolérable, vers la justice et vers la paix. Oui, assurément, «Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance….».(3)

    Cette fermeture mentale, ce mépris du savoir, ne favorisent pas les progrès de la cause que l’on se vante de soutenir, bien au contraire, pire, ils font le jeu de ceux qu’ils prétendent dénoncer et cette cécité est grandement coupable.

     Comment, dès lors, ne pas éprouver de la colère, une colère justifiée et saine. Car, s’il est une situation complexe, douloureuse et, pour l’instant encore, vide d’espérance qui, en appui des indignations et des condamnations claires, légitimes et nécessaires face à la barbarie, devrait mobiliser les forces de l’esprit, de la connaissance et de la lucidité, c’est bien ce drame dévastateur, cruellement d’actualité, qui ensanglante le Proche-Orient depuis un siècle.

            La compassion envers des victimes souvent innocentes et devant la mort toujours recommencée, n’interdit pas l’effort de discernement, le cœur pouvant avoir ses raisons que la raison connaît. (4)

     Voilà, ne pas succomber au luxe de l’ignorance. Il peut encore conduire à des atrocités. 

 --------------------------------------

 (1) Enrico Macias sur Cnews, à propos de LFI, «…il faut les dégommer ces gens-là…peut-être même physiquement.»

(2) Françoise Degois : «Je le redis et je le redirais inlassablement, que ça plaise ou pas :quand la mort frappe avec une telle sauvagerie, aussi massivement…On dénonce la barbarie, point…Vous pouvez m’expliquer ce que vous voulez. Vous avez tort. Point.»

(3) Albert Camus, La Peste

(4) François Mauriac écrivait, à propos de son attachement au gaullisme, «Le cœur a ses raisons que la raison connaît.»

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.