"Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer." Bossuet.
Face à cette tourniole lepeniste, qu'ont-ils fait depuis 15 ans, ceux qui, de Sarkozy à Macron et leurs tristes cortèges médiatiques, prétendent, maintenant, en l'espace de 15 jours, dresser un barrage, repousser la bête immonde qui guette, sauver la République en danger ?
Ce matamorisme jaculatoire, plus révélateur d'un naufrage idéologique, politique et social que d'un sursaut hygiénique, ces haut-le cœur pindariques, quasi unanimes, hormis quelques engagements humanistes conséquents et sincères, prêteraient à rire si la situation politique, révélée pas le résultat de l'élection du 10 avril dernier, n'était pas, en effet, préoccupante.
Sans doute hégéliens convaincus que "La seule leçon de l'histoire, c'est qu'il n'y a pas de leçons de l'histoire" (1), ils ont superbement négligé, par exemple, ce qu'écrivait en mai 2002, après le "choc" du 21 avril, Ignacio Ramonet dans le Monde diplomatique : "Mais si, surmonté le moment de frayeur, les mêmes partis de toujours poursuivaient leur politique libérale de privatisations, de démantèlement des services publics, de création de fonds de pension, d’acceptation des licenciements de convenance boursière — bref, s’ils continuaient de heurter de front les aspirations populaires à une société plus juste, plus fraternelle et plus solidaire, rien ne dit que le néofascisme, allié à ses collaborateurs de toujours, ne parviendra pas à l’emporter la prochaine fois…"
Oui, qu'ont-ils faits depuis 15 ans pour tarir la source irriguant une extrême droite qui séduit aujourd'hui plus du tiers du corps électoral, eux qui en ont alimenté le flot par des politiques publiques antipopulaires, des assaisonnements idéologiques douteux, des mollesses coupables envers les principes sensés fonder une République "indivisible, laïque, démocratique et sociale" et qui se targuent maintenant d'en contenir le courant ?
Et pour masquer leurs responsabilités, se refaire une virginité à quatre sous, en dramatisant le risque (réel ou improbable ???) de l'arrivée au pouvoir d'un programme détestable, même si deux tiers de Français n'y ont pas souscrit, notez-le, ils crient "halte au fascisme"(3), et, ignorant l'histoire, nous annoncent la nuit des longs couteaux, celle de cristal, Guernica, l'annexion de l'Autriche ou de l'Ethiopie, Coventry, les camps de concentration, l'extermination des Juifs d'Europe, le retour du garrot et autres abominations, et, par conséquent, appellent, à grandes envolées, à un vote dit "républicain", comme si les électrices et électeurs qui ont fait le choix des extrêmes au premier tour et le confirmeraient au second, en étaient d'avance exclus.
Cette stigmatisation des uns, voire leur criminalisation, assortie d'une violente culpabilisation des autres, ceux qui rejetteraient, par leur abstention ou leur vote blanc, cette tartufferie politique, exacerbée par un système électoral pernicieux et refuseraient de voter contre les effets en se prononçant pour les causes, forment deux postures inefficaces voire contre productives, sources de raidissement et de crispations car contraires à l'égale dignité de chaque membre du corps électoral et au droit de tout un chacun, quel que soit son positionnement politique, d'avoir sa part de souveraineté.
Ne vaudrait-il pas mieux, d'abord, éviter les mirages qui nous trompent, ces réflexes pavloviens déjà diagnostiqués en 2002 et 2017, et dont on connaît le piètre résultat, bannir les lieux communs indigestes et stériles qui saturent l'espace politico-médiatique jusqu'à la nausée, genre "faire barrage" ou "vote républicain" et par un discours offensif et performatif s'adresser hardiment aux électrices et aux électeurs qui ont exprimé, d'une façon ou d'une autre, leur mal-être, leurs interrogations et leurs inquiétudes pour l'avenir, en quelque sorte "pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle" ? (3)
Respecter leur vote mais, en même temps, faire le pari de l'intelligence contre la peur, éveiller les consciences, déconstruire minutieusement les fausses solutions, leur nocivité, y compris pour celles et ceux qui les soutiennent, dévoiler les véritables responsables des épreuves de la vraie vie.
Mieux, s'engager sur des mesures qui répondent effectivement aux besoins et aux attentes des populations, notamment les plus précaires, en matière de pouvoir d'achat, de logement, de santé, d'éducation, d'accès aux services publics, de protection de l'environnement…C'est peut-être beaucoup demander tant est grand l'écart entre ce qui s'est fait depuis un lustre, et en faveur de quelques-uns, et ce qui pourrait provoquer une adhésion confiante à ce qui devrait se réaliser demain et en faveur du plus grand nombre !
Enfin, ultime utopie, appeler à la réconciliation du peuple de France, tendre une main fraternelle à toutes celles et ceux qui aspirent à des jours heureux même si, parfois, ils empruntent des chemins hasardeux pour y parvenir. (4)
Et en ces temps mouvementés, déclarer, comme Confucius : "Faîtes preuve de courage, vainquez votre peur et reprenez espoir !"
Est-ce possible ? Le temps presse.
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(1) Hegel, Leçons sur l'histoire.
(2) Un petit rappel : en 2007, l'ancien Premier ministre Lionel Jospin déclarait "Nous avons été face à un parti, le Front national, qui était un parti d’extrême droite, un parti populiste aussi, à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste, et même pas face à un parti fasciste."
(3) Karl Marx, à propos de la religion, "La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur."
(4) Ainsi que le fit audacieusement Maurice Thorez en 1936, dans un climat politique autrement plus dramatique: " Nous te tendons la main, catholique, ouvrier, employé, artisan, paysan, nous qui sommes des laïques, parce que tu es notre frère.[...] Nous te tendons la main, volontaire national, ancien combattant devenu Croix-de-Feu, parce que tu es un fils de notre peuple."