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Billet de blog 18 octobre 2024

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Le droit et le tordu

Selon le ministre Barrot, la France est "toujours du côté des opprimés, du droit international et de la justice". Voire...

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     "Personne ne peut porter longtemps le masque". Sénèque.

     Ne reculant devant aucun sacrifice, j'écoute ce matin 18 octobre, à 8h20, sur France Inter, les propos d'un certain Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, jusqu'à peu inconnu du grand public, propulsé sur le devant de la scène internationale et chargé, paraît-il, d'y représenter la France, comme ce fut le cas à l'ONU en septembre dernier.

     Perché sur d'éminents titres de gloire, diplômé HEC, lauréat (promotion 2020) du programme "Young Leaders" de la French-American Foundation, fortuné jusqu'à près de 5 millions d'euros, dit-on, il offre toutes les garanties nécessaires à une mission qui consiste, avant tout, à ne pas empiéter sur le domaine réservé élyséen. Ce qui ne lui interdit pas de se répandre sur les ondes pour porter quelques bribes de la bonne parole présidentielle…tel un ventriloque fidèle et accrédité. (1)

     En entendant "Nous sommes toujours du côté des opprimés, du droit international et de la justice", je sursaute, je suffoque, je lache ma biscotte; victime d'une crispation jaculatoire, elle vole en éclat, comme dans une fameuse scène de la Cage aux Folles ! Comment peut-on, en effet, avaler mollement de telles affirmations, de telles contre-vérités, proférées sur une radio publique, servies sans aucune contradiction d'ailleurs, et ne pas s'étrangler en buvant son café matutinal ? Comment ce ministre naissant et débutant dans la fonction, peut-il prétendre, avec autant d'aplomb, que la France (mais, la France, de qui parle-t-on exactement ?) se tiendrait "toujours" du côté des opprimés, du droit international et de la justice ? Toujours ?

     Aurait-on affaire à l'énoncé de faits alternatifs, de fake-news, voire de post-vérité, à chacun de choisir, que la réalité constatée dément jour après jour et notamment depuis le 7 octobre 2023, où la juste condamnation par la France des crimes de guerre barbares perpétrés par le Hamas, la déploration légitime des 1200 victimes israéliennes, n'ont pas été suivies depuis lors, par la même déploration, la même condamnation des crimes de guerre israéliens qui ont enseveli sous les bombes 40 à 43 000 victimes palestiniennes, majoritairement civiles (2), par la même solidarité avec les opprimés, le même rappel du droit international, le même sens de la justice ?

     Mais, que voulez-vous, "La France se tient aux côtés d’Israël et est indéfectiblement attachée à sa sécurité", a confessé le prédicant, une sécurité pourtant largement assurée par les USA, économiquement, militairement, financièrement, diplomatiquement, médiatiquement, une sécurité qui consiste à mettre à feu et à sang une région entière et envoie ad patres, indistinctement, hommes, femmes et enfants.  

     C'est ainsi, l'écrasement des Gazaouis et maintenant des Libanais, les bombardements en Syrie, en Iran, par une armée au service d'un gouvernement criminel et potentiellement génocidaire (3), comme les exactions coloniales en Cisjordanie, ne provoquent chez nos gouvernants aucune indignation, aucune condamnation, sinon de papier, aucune velléité de sanctions à l'encontre du mis en cause.

     Assurer ainsi un gouvernement peu ragoûtant d'un soutien inconditionnel, relève non seulement d'un acquiescement passif et coupable à la dévastation de Gaza au mépris du droit international, ce dont Israël est coutumier depuis des décennies, pire, témoigne d'une complicité active qui ne peut qu'encourager la poursuite du crime et la mort toujours recommencée. Et, ainsi, on disqualifie la France dans son affirmation d'être le pays toujours (sic) "du côté des opprimés, du droit international et de la justice".

    Alors, de quel bois durci, de quelle pathologie verbale relève, en effet, une telle escobarderie langagière, incompétence, aveuglement, propagande, cette fraude des mots qui, selon Platon, est à l'origine de la "perversion de la cité " (4) ? Tordre ainsi la réalité au mépris du droit et de la justice précisément, inverser aussi impunément les valeurs, occulter voire falsifier le passé pour obscurcir le présent, c'est ce qu'il faut inlassablement démasquer car la France, traduisez les dirigeants qui sont chargés de la représenter, font perdre à notre pays toute crédibilité aux yeux du monde des opprimés et des justes, le condamnent à l'impuissance, dilapident gravement la moindre prétention à une quelconque autorité morale, une marque que l'histoire retiendra longtemps comme une "étrange défaite". (5)  

     Heureusement, l'honneur sera sauvé par celles et ceux qui courageusement et solidairement osent s'exprimer et prendre parti pour la défense des victimes palestiniennes et libanaises, pour le respect véritable du droit international, militant conséquemment et en bonne justice pour des sanctions à l'encontre de toute organisation ou de tout état qui le transgresse, comme cela se fit pour l'Afrique du Sud jadis, et pour la paix au Moyen-Orient, celles et ceux-là mêmes que certains stigmatisent en les taxant ignominieusement d'antisémites, et, en tentant de criminaliser leur cause, prétendent bâillonner.

     Mais qu'on se rassure, notre ministre ne se paye pas seulement de mots, il agit. On a appris que Paris (sic) avait annoncé vendredi 11 octobre la convocation de l'ambassadeur d'Israël en France, après les tirs essuyés par la Force de maintien de la paix des Nations unies dans le sud du Liban (Finul). On a dû, à cette occasion, lui rappeler sans doute les principes du droit et de la justice, et lui passer un sacré savon, à l'ambassadeur, assorti d'une observation portée sur le carnet de correspondance, en lui signifiant qu'après trois observations il aurait un avertissement, qu'après trois avertissements…etc…etc…Il en tremble encore.

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(1) Allusion à Emmanuel Macron qui reproche à ses ministres et aux médias d'avoir déformé ses propos sur Israël : "Je crois que je dis suffisamment sur la situation au Proche-Orient pour ne pas avoir besoin de ventriloques." 

(2) Selon Guillaume Ancel, ancien officier de l'armée de l'air française, "on arrive plutôt à un chiffre de 100000 morts, auquel il faut ajouter 3,5 fois plus de blessés, entre 300 000 et 400 000".  

(3) Voir l’arrêt rendu par la CIJ le 26 janvier 2024 qui reconnaît le risque plausible de génocide de la population de Gaza.

 (4) "La perversion de la cité commence par la fraude des mots." Platon.

 (5) Voir Didier Fassin, Une étrange défaite. La Découverte, 2024.

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