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Billet de blog 18 décembre 2021

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Nouvelle-Calédonie, le déni

L'édifiant discours du Président de la République à la suite du référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

     Raconte-moi une histoire…C'est ce qu'a fait le Président de la République, dans une brève et lyrique allocution, le 12 décembre dernier, commentant la victoire, écrasante, du "non" au troisième référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Un récit en sept phrases bien balancées qui mérite le détour.

      Ainsi, les Calédoniennes et les Calédoniens auraient "choisi de rester Français". Ah, le joli présupposé, car, s 'ils ont choisi de "rester", c'est donc qu'ils l'étaient déjà, c'est évident. Il est vrai, de fraîche date, depuis 1853 seulement, lorsque Napoléon III a ordonné de hisser le drapeau français sur une côte de Grande Terre, et de prendre possession de la Nouvelle-Calédonie pour y établir une colonie pénitentiaire. (22 000 personnes seront envoyées au bagne à partir de 1864, puis 4250 révolutionnaires déportés de la Commune de Paris, dont Louise Michel). Passons, c'est du passé…Oublions aussi les quelques irritations historiques, car figurez-vous, cette terre n'était pas sans peuple, le peuple kanak ("premier" comme on dit), qui, en 1878, se rebellait contre la colonisation française. Engagés de force dans l'armée française lors de la première guerre mondiale, les Kanaks devront attendre 1946 pour être reconnus citoyens français, ce qui ne les empêchera pas de créer, en 1984, le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste).

     Nous apprenons ensuite qu'ils l'auraient "décidé librement." Ils, c'est-à-dire, en fait, quatre électeurs sur dix, si l'on rapporte le nombre de "non" au chiffre des électeurs inscrits. Pas de quoi pavoiser sinon en hyperbolisant les 96,50% de "non" de ceux qui se sont exprimés, un score digne des plus resplendissants régimes autocratiques. Ceux qui, précisément, ne se sont pas exprimés, sont ceux qui avaient choisi de boycotter un référendum qui aura eu lieu malgré l’avis de la communauté kanak et de l'ensemble des mouvements indépendantistes, dans l’irrespect des coutumes et rites du deuil nécessaires après les nombreux décès dus à la pandémie qui frappe l’île. Enterrés les accords de 1988 et 1998 qui prévoyaient une évolution progressive et pacifique vers la souveraineté pleine et entière des Kanaks sur leur terres ancestrales et une ultime consultation…en septembre 2022.

     Pour célébrer cette éclatante victoire de la mère patrie, anaphore à la clé, le discours en appelle à l'histoire, la France est fière, la France est reconnaissante, la France est belle, la France a de la chance, elle le doit, aussi, aux Kanaks (si, si…), la France s'enracine, la France occupe l'espace, la France regarde l'avenir…Un nouveau chapitre à annexer au roman national digne du regretté Ernest Lavisse.

     Retour au mythe de la France éternelle, déni des réalités, mépris du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, permanence de l'esprit colonial toujours bien installé sur l'exploitation de richesses naturelles abondantes, (le nickel, 5ème production mondiale, mais, chut, la France est la patrie des droits de l'homme, voyons…), tel est l'envers moisi du tableau.

     En décembre 1954, un ministre de l'Intérieur, proclamait, vigoureusement et lucidement (!), "L'Algérie c'est la France". *  On sait ce qu'il advint.

     Rassurez-vous, la Nouvelle-Calédonie, plus personne n'en parle aujourd'hui.

     Mais "Le peuple a sa colère et le volcan sa lave qui dévaste d'abord et qui féconde après." **

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*François Mitterrand

**Victor Hugo  

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