"Il n'y a pas de réussite facile ni d'échec définitif." Marcel Proust.
Il faut se rendre à l'évidence, cruelle, la gauche a perdu la bataille des retraites. La loi, qui porte notamment l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans en 2030, contre laquelle elle s'est "mobilisée" pendant de longues semaines, est aujourd'hui promulguée et en cours d'application, à la suite d'un processus parlementaire que le Conseil Constitutionnel avait pourtant jugé inhabituel…mais légal.
Car, si toute action politique se mesure à ses effets, à quels résultats concrets ont abouti les manifestations, grèves, actions diverses qu'elle a menées parallèlement aux syndicats ? Le constat est amer, aucun. Et ce n'est, hélas, pas nouveau : toutes les luttes sociales générales depuis des décennies ont échoué.
Pourtant on a eu une NUPES, unie, combative, constructive, n'étaient les gesticulations débraillées et les blocages stériles de la France insoumise à l'Assemblée nationale, des syndicats soudés comme jamais, des défilés nombreux et massifs, un soutien largement majoritaire de l'opinion, mais rien n'y a fait, le pouvoir n'a pas reculé.
Afin de sortir de cette aboulie politique, et décliner l'opprobre, certes anachronique, mais assez bien vu du genre "Hier, on faisait des révolutions, aujourd'hui des processions"*, il est temps de dresser le bilan et de reconnaître humblement la défaite, d'en tirer les enseignements, non pour gérer la fatalité mais pour façonner l'avenir.
Certes, on peut toujours espérer qu'il reste quelque trace prometteuse de cet épisode dans les esprits et les cœurs momentanément désenchantés, bavocher sur la crise de la démocratie, réelle, se projeter avec élan vers une VIème République, désirable mais lointaine, et parier sur une hypothétique germination qui fleurirait lors des prochaines échéances électorales, celles qui renverseraient la table et ouvriraient la voie. Rien n'est moins sûr si l'on en croit les enquêtes d'opinions qui situent la gauche à un tiers de l'électorat et, pire, qui désignent le Rassemblement national, lui qui n'a pas bougé le petit doigt dans l'affaire, comme le principal bénéficiaire de la séquence ("Une déraison n'est jamais sans raison" dirait Régis Debray, à méditer…). Mais, après tout, l'Histoire a peut-être plus d'imagination que nous.
La gauche, je veux dire progressiste, écologique, émancipatrice, pas celle qui se dit "de gouvernement" (qui a gouverné de 2012 à 2017 avec le succès que l'on sait et dont le chef a renoncé piteusement à se représenter à l'élection présidentielle pour continuer à gouverner), serait donc bien inspirée de repousser les illusions du contentement, d'éviter les chemins de dévotion, d'analyser lucidement non seulement ses présupposés idéologiques et culturels, la cohérence de son discours, de ses postures, de ses adresses et de ses actes, mais aussi et surtout d'interroger la pertinence de ses modes d'action si elle veut renouer avec quelque chance de succès.
Et même, si "Apprendre lance l'errance", comme le pensait Michel Serres, il serait temps pour elle de lâcher la rive des certitudes et des croyances, des pratiques codifiées et de se jeter hardiment dans les tourments du fleuve des réalités, de remonter le courant en évitant de noyer le drapeau. On dirait, banalement aujourd'hui, revoir le logiciel.
Ce qui peut rassurer et inspirer, ce sont les possibles des luttes victorieuses, quand elles sont clairement ciblées, délimitées à un objet, un secteur ou un territoire, concrètes, avec des objectifs concis et précis, conduites par des forces rassemblées et populaires et qui sont radicalement déterminées à aller jusqu'au bout. Les exemples abondent**, fort heureusement, et, si la gauche veut relever le défi et tenter de combler le vide d'espérance, il faudrait sans doute en soutirer les leçons.
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*Amilcare Cipriani (1844-1918)
**De la victoire des Fralib en 2014 qui, après 1336 jours de lutte, ont fait plier Unilever, à Verbaudet récemment…et bien d'autres.