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Billet de blog 20 avril 2016

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La meilleure sécurité dans la ville, c'est le lien social.

Mon intervention lors du Conseil municipal d'Apt (Vaucluse) le 12 avril 2016 sur un projet de "vidéo protection".

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Délibération 13 - Programme de video protection 2016-2019.

     Madame le Maire, chers collègues, je sollicite cinq minutes d'attention sur un sujet particulièrement sensible.

     Je voudrais d'abord rappeler que la Loi sur la sécurité intérieure du 14 mars 2011, (Loi de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure, dite LOPPSI 2) indique qu’aucune ville ne peut installer un système de télé surveillance sans établir de manière très précise le bien fondé de cette installation. C'est à dire un système qui doit répondre au principe de nécessité et de proportionnalité entre les moyens  de police envisagés et la mesure des risques encourus sur l'espace public communal. (dégradations, actes délictueux commis dans ces lieux ou à proximité).

    Or, la note de synthèse que nous avons sous les yeux, ne présente aucune étude des besoins, aucun état des lieux qui justifierait une telle installation et un tel investissement . En guise d'analyse précise de la situation locale vous vous appuyez sur un courrier du Préfet datant du 13 juillet 2011 et faisant référence à l'année 2010 !  Vous me permettrez de dire que c'est un peu léger !  

     Le Plan Départemental de la Prévention de la Délinquance du Vaucluse que vous citez préconise que "Les sites devant prioritairement faire l'objet d'un équipement doivent être identifiés, notamment dans les Zones de Sécurité Prioritaires et les zones vulnérables aux cambriolages et aux vols à main armée." Que je sache, Apt ne fait pas partie de ces zones et rien ne démontre que les lieux que vous ciblez soient, de ce point de vue, particulièrement vulnérables. Votre objectif véritable, et vous l'écrivez, en haut  de la page 2 c'est d'instaurer une surveillance de l'environnement urbain, une surveillance donc, à priori, une surveillance de principe, ce qui est totalement contraire au droit et aux libertés publiques.

     Et pourtant la politique de prévention de la Ville d'Apt mise en place ces dernières années donne des résultats globalement satisfaisants,comme en témoignent clairement  les deux dernières sessions plénières du Conseil Local de Sécurité et de Prévention de Délinquance. Avec le Pôle Prévention, créé en 2011, la Ville a mené, et mène, une politique dynamique,  efficace et reconnue, fondée sur une présence active à la fois policière et éducative et un partenariat énergique entre les acteurs de terrain,  institutionnels où associatifs. Vous avez déclaré, d'ailleurs, vouloir  poursuivre et développer cette politique.

      Mais je doute que les éléments négatifs qui subsistent, à savoir la hausse de l'atteinte aux biens, l'augmentation constatée des cambriolages en 2015, puisse trouver dans la télésurveillance de l'espace public l'outil performant et indispensable à leur éradication.

      Bref,  ce programme est inopportun, inapproprié, car la situation d'Apt ne répond absolument pas aux critères de nécessité et de proportionnalité justifiant l'installation d'un système de vidéo protection.

     Deuxième réflexion. Il est établi que  la vidéosurveillance peut se révéler efficace quand elle est utilisée dans des buts précis, afin de gérer des risques concrets bien identifiés, dans des espaces clos notamment.  

     Mais des études et des rapports divers (à partir d'expériences étrangères, notamment en Angleterre, ou françaises, des études universitaires menées par le CNRS) démontrent clairement que son efficacité sur des espaces publics ouverts est plus que douteuse.

     Un rapport de la Cour des comptes de 2011 dit :"Ces études ont, dans l’ensemble, conclu à  l’absence d’impact statistiquement significatif de la vidéosurveillance sur l’évolution de la délinquance. Malgré un usage désormais plus répandu, la proportion des faits de délinquance élucidés grâce à la vidéosurveillance de la voie publique est relativement faible."                                                                                                                      

     On lit dans un rapport du Sénat plus récent (2013) : "La video surveillance : un investissement à fonds perdus" et le rapport "...déplore cet investissement d'un coût élevé dans les systèmes de surveillance potentiellement attentatoires aux libertés publiques, et dont aucune étude sérieuse n'a prouvé l'efficacité en terme de sécurité publique."

     D'autres  études montrent que la video protection ne réduit  pas la délinquance, mais se contente de la déplacer. C'est ce qu'on appelle joliment  "l'effet plumeau ".

     Au cours d'une réunion publique tenue à la salle des fêtes le 4 juillet 2012, l'un des participants, le commissaire Chalumeau déclarait :  "La vidéo protection n'agit pas sur les causes de la délinquance et ne peut se substituer aux actions de proximité..." 

     Ainsi la video protection n'a de protection que le nom.

     Peut-on croire sérieusement, en effet, que  les  cambriolages, les violences domestiques, les nuisances diverses, les trafics en tous genres, les incivilités, les  troubles du voisinage, tout ce qui bouscule et pollue la vie de ceux qui en sont victimes et alimente le sentiment d'insécurité des plus fragiles, reculeront davantage parce que les Aptésiennes et les Aptésiens seront filmés sur les places et dans les rues ?

     Je ne le pense pas et il me semble qu'il est de l'intérêt de tous de ne pas tomber dans cette sorte d' illusion technologique.

      Et c'est une illusion qui coûte cher :131 580 euros d'investissement pour 2016, dont 76 720 euros à la charge de la commune, ça n'est pas rien, et ce n'est qu'un début ! Il faudra  ajouter les frais de fonctionnement, de personnel, de formation, l'usure, les dégradations éventuelles...alors entièrement à la charge des contribuables aptésiens. Par ces temps de disette budgétaire l'argent public mérite de bien meilleurs usages. On pourrait, par exemple, consacrer ces quelques 76 000 euros à poursuivre l'amélioration des bâtiments et des équipements scolaires. D'autant plus que, si l'on croit que la finalité du système est l’élucidation des faits de délinquance, ce qui est entièrement du ressort de la gendarmerie et de l’autorité judiciaire, pourquoi serait-ce aux collectivités locales de régler la facture pour une compétence exclusivement régalienne ?

      En outre, comme le note le Sénat, ce système estpotentiellement attentatoire aux libertés publiques, à la protection de la vie privée, au droit à l'image, j'ajouterai, surtout dans une petite ville ou tout le monde se connaît.

     En résumé on nous propose de mettre en place un système qui se révèle inapproprié, inefficace, coûteux et potentiellement dangereux. Voilà de bonnes raisons pour le rejeter !

      Enfin, et c'est peut-être là l'essentiel, j'ose dire que nous sommes devant  un véritable choix de société à l'échelle de notre territoire. Pour notre part, nous ne voulons pas de ce Big Brother local. Nous voulons  une société du dialogue et de l'échange, une société de solidarité car la meilleure sécurité dans la ville, c'est le lien social.  Nous le savons bien, il est bousculé par le chômage et la précarité, raison de plus de tout mettre en oeuvre pour le renforcer avec audace et avec les moyens nécessaires et pertinents. Cela s'appelle prévention, éducation, attention aux autres, rencontre, présence humaine, vie de quartier, vie associative, sportive, festive, culturelle.

      Avec ce projet je crains fort que vous introduisiez, sans raison, un élément  illusoire et clivant, alors que la ville a besoin d'apaisement, de sérénité et de confiance.

     C'est pourquoi je voterai résolument contre.

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