"Gouverner, c'est faire croire." Nicolas Machiavel.
Il parade, il nasarde, il pétarade, il part en guerre et répand la terreur. Tous ne tomberont pas, mais tous seront frappés, les violents juvéniles, les démarreurs de mauvaises fréquentations, les ados partant à la dérive, les perturbateurs patenteux, les parents qui ne tiennent pas leurs enfants, les addicts aux écrans, les cultivateurs d'impunité, les gringalets du civisme, les totons de l'autorité, et, bien sûr, les sous-marins identitaires, les entristes islamiques, bref, tous ces déferlants de violence, fauteurs de troubles qui carabossent la vie des braves gens, les privant d'amour et de joie. Et là, point besoin de tenir conseil, les responsables du chaos sont bien identifiés, bien alignés, les teigneux, les scabieux, d'où suinte tout le mal et qu'il faut tatouiller promptement.
Quel bouillon, quel tourbillon, après le "choc des savoirs", le port de l'uniforme à l'école, les dispositifs de tri sélectif, voici la bourrade républicaine salvatrice et purificatrice. On est ébaubi, tout étourdi par tant d'audace jaculatoire, de créativité performative, gorgé d'admiration pour cet audacieux Picrochole qui s'attaque au royaume de la délinquance scolaire et périscolaire à coup de braquemart compulsif.
Sachez-le, la voie est tracée, la contre-attaque engagée, la République sera redressée, voici proclamé "un vrai sursaut d'autorité" !
Avec un bagout de vendeur de bretelles, dans un discours fort calibré, métallique et spasmodique, notre premier ministre, si jeune, si propret, si rassurant, si bien-pensant, après avoir posé le diagnostic, identifié les germes du fléau, délivre une sévère ordonnance à même d'en soulager les innocentes victimes.
Amendes, réparations, travaux d'intérêt général, encadrement, internement, retrait de points aux examens, comparution immédiate, saisine de la justice, sanctions, plaider coupable ("composition pénale" en langue de bois), le champ lexical en dit long sur la nature de ces "mesures d'intérêt éducatif" (sic) qui devraient, à coup sûr, anéantir toute velléité de violence chez les mineurs et ainsi tranquilliser la popote.
Et puis, figurez-vous, les potaches devront se lever quand le professeur entrera en classe, si, si…, les parents signer un "contrat d’engagement à respecter l’autorité et les valeurs de la République".*
Et si cela ne suffisait pas, un service médical d'urgence académique serait mobilisé pour assister et ranimer les personnels souffreteux, inaptes à ventiler icelles valeurs et à sauvegarder la laïcité menacée.
Enfin, pour faire reculer "la violence des mineurs", il faudra punir les jeunes comme s'ils étaient vieux, on appellera cela, savourez la litote, "atténuation de l'excuse de minorité".
Tout ce fatras, cette mobilisation sanitaire, ces potions purgatives et roboratives à la Diafoirus, prêteraient à rire n'était le sérieux de la situation qui tourmente le monde scolaire aujourd'hui et ne feront qu'anesthésier le patient sans aucunement éradiquer la tumeur. "Trop de mots pour trop peu de sens" aurait dit Régis Debray.
Alors, désigner de présumés coupables à la vindicte populaire, ainsi l'âne de la fable, les stigmatiser publiquement, branler la crécelle, menacer du gourdin, sans vraiment être capable d'extirper les profondes racines du mal dont on détourne le regard, c'est toujours bon, ça donne le vertige, car, avec ce bavardage et cette musique incessante, on empêche l’esprit de s'interroger, de réfléchir, et, surtout, de demander des comptes à celles et ceux qui, depuis des lustres, ont exercé de lourdes responsabilités politiques ayant contribué à la destruction de l'état social à l'origine de ce délitement, à l'école et hors de l'école, et se refusent lâchement de les assumer.
De telles propositions qui viennent s'empiler sur beaucoup d'autres, idéologiques, législatives…une telle démagogie boueuse pour prétendre faire face à la "violence des mineurs", ravissent le Rassemblement National et le dispensent de mener campagne : d'autres appliquent déjà son programme, tout en proclamant cyniquement le dénoncer et faire barrage à ses promoteurs.
Et, au fond, cela démontre clairement, comme l'écrivait François Mauriac, "L'effroyable disproportion entre l'histoire et les petits hommes qui se bousculent pour la faire."
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* Petit rappel, dans les établissements scolaires, il ne peut y avoir de "contrat", qui serait donc librement négocié. C'est un règlement intérieur, n'ayant pas de caractère contractuel au sens juridique, qui énonce les droits et les obligations des élèves. A l'inscription de leurs enfants, les parents en prennent connaissance et leur signature vaut nécessairement adhésion, Attal, peuchère...